Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 32Tom Pouce

Un pauvre laboureur assis un soir au coin deson feu dit à sa femme, qui filait à côté de lui :

– Quel grand chagrin pour nous de ne pasavoir d’enfants. Notre maison est si triste tandis que la gaieté etle bruit animent celle de nos voisins.

– Hélas ! dit la femme, en poussantun soupir quand nous n’en aurions qu’un gros comme le pouce, jem’en contenterais, et nous l’aimerions de tout notre cœur.

Sur ces entrefaites, la femme devintsouffrante et mit au monde au bout de sept mois un enfant bienconformé dans tous ses membres mais n’ayant qu’un pouce dehaut.

Ils dirent :

– Il est tel que nous l’avons souhaité etnous ne l’en aimerons pas moins de, tout notre cœur.

Ils l’appelèrent Tom Pouce à cause de sataille… Ils ne le laissaient manquer de rien ; cependantl’enfant ne grandit pas et conserva toujours sa petite taille. Ilavait les yeux vifs, la physionomie intelligente et se montrabientôt avisé et adroit, de sorte que tout ce qu’il entreprit luiréussit.

Le paysan s’apprêtait un jour à aller abattredu bois dans la forêt et il se disait à lui-même :

– Ah ! si j’avais quelqu’un quivoulût conduire ma charrette !

– Père, s’écria Tom Pouce, je laconduirai bien, vous pouvez vous reposer sur moi, elle arriveradans le bois à temps.

L’homme se mit à rire.

– Comment cela est-il possible, dit-il,tu es beaucoup trop petit pour conduire, le cheval par labride.

– Ça ne fait rien, si maman veut attelerje m’installerai dans l’oreille du cheval et je lui crierai où ilfaudra qu’il aille.

– Eh bien, dit le père, nous allonsessayer.

La mère attela et installa Tom Pouce dansl’oreille du cheval. Le petit homme lui cria le chemin qu’ilfallait prendre. « Hue ! dia ! Rue !dia ! » et le cheval marcha ainsi, comme, s’il eût étéguidé, par un véritable charretier ; la charrette arriva dansle bois par la bonne route.

Au moment où la voiture tournait au coin d’unehaie, tandis que, le petit criait : Dia, Dia ! deuxétrangers vinrent à passer.

– Voilà, s’écria l’un d’eux, unecharrette qui marche sans que l’on voie le charretier et cependanton entend sa voix.

– C’est étrange, en effet, dit l’autre,suivons-la et voyons où elle s’arrêtera.

Elle poursuivit sa route et s’arrêta juste àl’endroit où se trouvait le bois abattu.

Quand Tom Pouce, aperçut son père, il luicria :

– Vois-tu, père, me voilà avec lavoiture, maintenant viens me faire descendre.

Le père saisit la bride du cheval de la maingauche et de la main droite retira de l’oreille son fils et ledéposa à terre. Celui-ci s’assit joyeusement sur un fétu. En voyantTom Pouce les deux étrangers ne surent que dire dans leurétonnement.

L’un d’eux prit l’autre à part et luidit :

– Écoute, ce petit être ferait notrefortune si nous l’exhibions pour de l’argent dans une grande ville.Achetons-le.

Ils s’adressèrent au paysan et luidirent :

– Vendez-nous ce petit bonhomme, nous enaurons bien soin.

– Non, répond le père, c’est mon enfantet il n’est pas à vendre pour tout l’or du monde.

Cependant, en entendant cette proposition, TomPouce avait grimpé le long des plis des vêtements de son Père. Ilse posa sur son épaule et de là lui souffla dansl’oreille :

– Livrez-moi toujours, père, je sauraibien revenir.

Son père le donna donc aux deux hommes pourune belle pièce d’or.

– Où veux-tu te, mettre luidemandèrent-ils.

– Posez-moi sur le bord de votre chapeau,je pourrai m’y promener et voir le paysage ; je ne tomberaipas.

Ils firent comme il le demanda et quand TomPouce eut fait ses adieux à son père ils l’emmenèrent avec eux. Ilsmarchèrent ainsi jusqu’au soir. À ce moment le petit homme leurdit :

– Posez-moi un peu par terre, j’ai besoinde descendre.

L’homme ôta son chapeau et en retira Tom Poucequ’il déposa dans un champ près de la route. Aussitôt il s’enfuitparmi les mottes de terre, puis il se glissa dans un trou de sourisqu’il avait cherché exprès.

– Bonsoir, mes amis, rentrez sans moi,leur cria-t-il d’un ton moqueur.

Ils voulurent le rattraper et fourragèrentavec des baguettes le trou de souris, peine perdue. Tom Pouce s’yenfonça toujours plus avant, et, comme la nuit était venue tout àfait, ils durent rentrer chez eux en colère et les mains vides.

Quand ils furent partis, Tom Pouce sortit desa cachette souterraine. Il est dangereux de s’aventurer de nuitdans les champs, on a vite fait de se casser une jambe. Ilrencontra par bonheur une coque vide d’escargot.

– Je pourrai passer ici la nuit ensûreté ; et il s’y installa. Sur le point de s’endormir, ilentendit passer deux hommes dont l’un dit :

– Comment s’y prendre pour dérober son oret son argent à ce richard de curé ?

– Je vais vous le dire, interrompit TomPouce.

– Que veut dire ceci s’écria l’un desvoleurs effrayés ; j’ai entendu quelqu’un parler.

Ils s’arrêtèrent et prêtèrent l’oreille. TomPouce répéta :

– Emmenez-moi, je vous aiderai.

– Mais où es-tu ?

– Cherchez par, terre, répondit-il, et ducôté d’où vient la voix.

Les voleurs finirent par le trouver.

– Comment peux-tu avoir la prétention denous être utile, petit drôle ? lui demandèrent-ils.

– Je me glisserai à travers les barreauxdans la fenêtre du curé, et vous passerai tout ce que vousvoudrez.

– C’est bien, répondirent-ils, nousallons voir ce que tu sais faire.

Quand ils furent arrivés au presbytère, TomPouce se coula dans la chambre du curé, puis il se mit à crier detoutes ses forces :

– Voulez-vous tout ce qu’il y aici ?

Les voleurs furent effrayés et ils luidirent :

– Parle plus bas, tu vas éveiller tout lemonde.

Mais Tom Pouce feignit de ne pas avoir entenduet cria de nouveau :

– Qu’est-ce que vous désirez ?Voulez-vous tout ce qu’il y a ici ?

La servante qui reposait dans la chambrecontiguë entendit ces mots, elle se leva sur son séant et prêtal’oreille. Les voleurs avaient commencé à battre en retraite, maisils reprirent courage, et, pensant que le petit drôle voulaits’amuser à leurs dépens, ils revinrent sur leurs pas et lui direnttout bas :

– Allons, sois sérieux et passe-nousquelque chose.

Alors Tom Pouce cria encore une fois, le plusfort qu’il put :

– Je vous passerai tout ; tendez-moiles mains.

Cette fois, la servante entendit biennettement, elle sauta à bas de son lit et se précipita vers laporte. Les voleurs s’enfuirent comme si le diable eût été à leurstrousses, mais n’ayant rien remarqué, la servante alla allumer unechandelle. Quand elle revint, Tom Pouce alla se cacher dans lefoin, et la servante, ayant fouillé, partout sans avoir rien pudécouvrir, crut avoir rêvé les yeux ouverts et alla serecoucher.

Tom Pouce s’était blotti dans le foin et s’yétait arrangé une bonne, place, pour dormir ; il comptait s’yreposer jusqu’au jour et puis retourner chez ses parents. Mais ildut en voir bien d’autres, car ce monde est plein de peines et de,misères. La servante se leva dès l’aurore, pour donner à manger auxbestiaux. Sa première visite fut pour la grange où elle prit unebrassée du foin là où se trouvait précisément endormi le pauvreTom. Mais il dormait d’un sommeil si profond qu’il ne s’aperçut derien et ne s’éveilla que quand il fut dans la bouche d’une vachequi l’avait pris avec son foin.

– Mon Dieu ! s’écria-t-il, me voilàdans le moulin à foulon.

Mais il se rendit bientôt compte où il se,trouvait réellement. Il prit garde, de ne pas se laisser broyerentre les dents, et finalement glissa dans la gorge et dans lapanse. « Les fenêtres ont été oubliées dans cetappartement, se dit-il, et l’on n’y voit ni le soleil, nichandelle. » Ce, séjour lui déplut beaucoup et, ce quiaggravait encore la situation, c’est qu’il arrivait toujours dunouveau foin et que l’espace qu’il occupait devenait de plus enplus, étroit. Il se mit à crier le plus haut qu’il put :

– Ne m’envoyez plus de fourrage, nem’envoyez plus de fourrage !

La servante à ce moment était justement entrain de traire la vache. En entendant parler sans voir personne,et, reconnaissant la même voix que celle qui l’avait déjà éveilléela nuit, elle fut prise d’une telle frayeur qu’elle tomba de sontabouret et répandit son lait.

Elle alla en toute hâte trouver son maître etlui cria :

– Ah ! grand Dieu, monsieur le curé,la vache parle.

– Tu es folle, répondit le prêtre.

Il se rendit cependant à l’étable afin des’assurer de ce, qui se passait.

À peine y eut-il mis le pied que Tom Pouces’écria de nouveau :

– Ne m’envoyez plus de fourrage, nem’envoyez plus, de fourrage.

La frayeur gagna le curé lui-même et,s’imaginant qu’il y avait un diable dans le corps de la vache, ildû qu’il fallait la tuer. Ainsi fut fait, et l’on jeta au fumier lapanse, où se trouvait le pauvre Tom Pouce.

Il eut beaucoup de mal à se démêler de là etil commençait à passer sa tête quand survint un nouveau malheur. Unloup affamé qui passait par là avala la panse de la vache avec lepetit bonhomme d’une seule bouchée. Tom Pouce ne perdit pascourage. « Peut-être, se dit-il, ce loup sera-t-iltraitable. » Et de son ventre où il était enfermé il luicria :

– Cher loup, je, vais t’indiquer un bonrepas à faire.

– Et où cela ? dit le loup.

Dans telle et telle maison ; tu n’aurasqu’à te glisser par le soupirail de la cuisine, et tu trouveras desgâteaux, du lard, des saucisses à bouche que veux-tu.

Et il lui indiqua exactement la maison de sonpère.

Le loup ne se le fit pas dire deux fois. Ils’introduisit de nuit dans le soupirail et s’en donna à cœur joiedans le buffet aux provisions. Quand il fut repu et qu’il voulutsortir il s’était tellement gonflé de nourriture qu’il ne put venirà bout de repasser par la même voie. C’est là-dessus que Tom Pouceavait compté. Aussi commença-t-il à faire dans le ventre du loup unvacarme effroyable, hurlant et gambadant tant qu’il put.

– Veux-tu te tenir en repos, dit leloup ; tu vas éveiller le monde.

– Eh quoi ! répondit le petit homme,tu t’es régalé, je veux m’amuser aussi moi.

Et il recommença son tapage.

Il finit par éveiller son père et sa mère quise mirent à regarder dans la cuisine par la serrure. Quand ilsvirent le loup, ils coururent s’armer, l’homme d’une hache, lafemme d’une faux.

– Reste derrière, dit l’homme, à la femmeau moment d’entrer, je vais lui asséner un coup avec ma hache, ets’il n’en meurt pas du coup, tu lui couperas le ventre.

Tom Pouce qui entendit la voix de son père luicria :

– Cher père, c’est moi, je suis dans leventre du loup.

– Notre cher enfant nous est rendu !s’écria le père plein de joie.

Et il ordonna à sa femme de mettre la faux decôté afin de ne pas blesser Tom Pouce. Puis il leva sa hache et enporta au loup un coup qui l’étendit mort. Il lui ouvrit ensuite leventre avec des ciseaux et un couteau et en tira le petit Tom.

– Ah ! dit le père, que nous avonsété inquiets sur ton sort !

– Oui, père, j’ai beaucoup couru lemonde, heureusement que je puis enfin reprendre l’air frais.

– Où as-tu donc été ?

– Ah ! père, j’ai été dans un troude souris, dans la panse d’une vache et dans le ventre d’un loup.Mais maintenant je veux rester avec vous.

– Nous ne te vendrons plus pour tout l’ordu monde, dirent les parents en l’embrassant et le serrant contreleur cœur.

Ils lui donnèrent à manger et à boire, et luifirent confectionner d’autres vêtements, car les siens avaient étégâtés pendant le voyage.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer