Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 20La Petite table, l’âne et le bâton

Il y a bien longtemps, il était un tailleurqui avait trois fils et une seule chèvre.

La chèvre devait les nourrir tous les troisavec son lait ; il fallait qu’elle mangeât bien et qu’on lamenât tous les jours aux champs. Les fils s’en occupaient chacun àson tour.

Un jour, l’aîné la mena au cimetière, oùl’herbe était la plus belle, la laissa là à manger et à gambader.Le soir, quand le moment fut venu de rentrer à la maison, ildemanda :

– Alors, chèvre, es-tu repue ?

La chèvre répondit :

– J’ai tant mangé que je ne peux plusavaler – bê, bê, bê, bê !

– Eh bien ! viens à la maison, ditle garçon.

Il la prend par sa corde, la conduit àl’écurie et l’attache.

– Alors, demanda le vieux tailleur, lachèvre a-t-elle assez mangé ?

– Oh ! répondit le fils, elle a tantmangé qu’elle ne peut plus rien avaler.

Le père voulut s’en rendre compte parlui-même. Il alla à l’écurie, caressa la chère petite chèvre etdemanda :

– Chèvre, es-tu repue ?

La chèvre répondit :

– De quoi devrais-je être repue ?Parmi les tombes j’ai couru pour me nourrir rien n’ai trouvé bê,bê, bê, bê !

– Qu’entends-je ! s’écria letailleur. Il rentre à la maison et dit au garçon :

– Ah, menteur, tu dis que la chèvre estrepue et tu l’as laissée sans nourriture ! Et, dans sa colère,il prend une canne et en bat son fils en le jetant dehors.

Le lendemain, c’était au tour du second fils.Il chercha dans le jardin un coin où poussaient de belles herbes etla chèvre s’en régala. Le soir, comme il voulait rentrer, ildemanda :

– Chèvre, es-tu repue ?

La chèvre répondit :

– J’ai tant mangé que je ne peux plusavaler – bê, bê, bê, bê !

– Alors, rentre à la maison, dit legarçon.

Il la tira vers la maison, l’attacha dansl’écurie.

– Eh bien ? demanda le vieuxtailleur, la chèvre a-t-elle assez mangé ?

– Oh ! répondit le fils, elle a tantmangé qu’elle ne peut plus rien avaler. Le tailleur n’avait pasconfiance. Il se rendit à l’écurie et demanda :

– Chèvre, es-tu repue ?

La chèvre répondit :

– De quoi devrais-je être repue ?Parmi les sillons j’ai couru pour me nourrir n’ai rien trouvé bê,bê, bê bê !

– L’impudent mécréant ! s’écria letailleur. Laisser sans nourriture un animal si doux !

Il rentre à la maison et, à coups d’aune, metle garçon à la porte.

C’est maintenant au tour du troisième fils. ilveut bien faire les choses, recherche les taillis les plus touffuset y fait brouter la chèvre. Le soir, comme il veut rentrer, ildemande à la chèvre :

– Chèvre, es-tu repue ?

La chèvre répondit :

– J’ai tant mangé que je ne peux plusavaler – bê, bê, bê, bê !

– Alors viens à la maison, dit legarçon.

Et il la conduisit à l’écurie etl’attacha.

– Eh bien ? demanda le vieuxtailleur, la chèvre a-t-elle assez mangé ?

– Oh ! répondit le fils, elle a tantmangé qu’elle ne peut plus rien avaler. Le tailleur ne le croitpas.

Il sort et demande :

– Chèvre, es-tu repue ?

La méchante bête répondit :

– De quoi devrais-je être repue ?Parmi les sillons j’ai couru pour me nourrir n’ai rien trouvé – bê,bê, bê, bê !

– Ah ! le vilain menteur, s’écria letailleur. Ils sont aussi fourbes et oublieux du devoir l’un quel’autre ! Vous ne me ferez pas plus longtemps tourner enbourrique !

Et, de colère hors de lui, il rentre à lamaison, frappe le pauvre garçon avec l’aune, si fort qu’il le jettepar la porte.

Et voilà le vieux tailleur seul avec sachèvre. Le lendemain matin, il va à l’écurie, caresse la chèvre etdit :

– Viens, ma mignonne, je vais te conduiremoi-même au champ.

Il la prend par sa longe et la mène là où setrouvent les baies que les chèvres mangent avec le plus deplaisir.

– Pour une fois, tu peux y aller de boncœur, lui dit-il, et il la laissa brouter jusqu’au soir. Il demandaalors :

– Chèvre, es-tu repue ?

Elle répondit :

– J’ai tant mangé que je ne puis plusrien avaler, bê, bê, bê, bê !

– Alors viens à la maison ! dit letailleur.

Il la conduisit à l’écurie et l’attacha. Avantde partir, il se retourna une dernière fois et dit :

– Alors te voilà donc repue pour unefois ?

Mais la chèvre ne fut pas meilleure avec luiqu’avec les autres. Elle s’écria :

– De quoi devrais- je être repue ?Parmi les sillons j’ai couru pour me nourrir n’ai rien trouvé – bê,bê, bê, bê !

Quand le tailleur entendit cela, il en restatout interdit et vit bien qu’il avait chassé ses fils sansraison.

– Attends voir, s’écria-t-il, misérablecréature ! Ce serait trop peu de te chasser ; je vais temarquer de telle sorte que tu n’oseras plus te montrer devantd’honnêtes tailleurs !

En toute hâte, il rentre à la maison, prendson rasoir, savonne la tête de la chèvre et la tond aussi rasqu’une pomme. Et, parce que l’aune eût été trop noble, il prend unecravache et lui en assène de tels coups qu’elle se sauve à touteallure.

Quand le tailleur se retrouva si seul dans samaison, il fut saisi d’une grande tristesse. Il aurait bien vouluque ses fils fussent de nouveau là. Mais personne ne savait cequ’ils étaient devenus.

L’aîné était entré en apprentissage chez unmenuisier. Il travaillait avec zèle et constance. Lorsque son tempsfut terminé et que vint le moment de partir en tournée, son patronlui offrit une petite table, qui n’avait rien de particulier, enbois très ordinaire. Mais elle avait une qualité : quand on ladéposait quelque part et que l’on disait : « Petitetable, mets le couvert ! » on la voyait tout à coups’habiller d’une petite nappe bien propre. Et il y avait dessus uneassiette, avec couteau et fourchette, et des plats avec légumes etviandes, tant qu’il y avait la place. Et un grand verre plein devin rouge étincelait que ça en mettait du baume au cœur. Le jeunecompagnon pensa : en voilà assez jusqu’à la fin de tesjours ! Et, de joyeuse humeur, il alla de par le monde, sansse préoccuper de savoir si l’auberge serait bonne ou mauvaise et sil’on y trouvait quelque chose à manger ou non. Quand la fantaisiel’en prenait, il restait dans les champs, les prés ou les bois, oùcela lui plaisait, décrochait la petite table de son dos,l’installait devant lui et disait : « Petite table, metsle couvert ! » Et tout de suite, tout ce que son cœursouhaitait était là. Finalement, il lui vint à l’esprit qu’ilvoudrait bien revoir son père. Sa colère avait dû s’apaiser et avecla « petite-table-mets-le-couvert », il l’accueilleraitvolontiers.

Il arriva que, sur le chemin de la maison, ilentra un soir dans une auberge pleine de monde. On lui souhaita labienvenue et on l’invita à prendre place parmi les hôtes et àmanger avec eux car on trouverait difficilement quelque chose pourlui tout seul.

– Non, répondit le menuisier, je ne veuxpas vous prendre le pain de la bouche. Il vaut mieux que vous soyezmes hôtes à moi.

Ils rirent et crurent qu’il plaisantait. Maislui, pendant ce temps, avait installé sa table de bois au milieu dela salle et il dit :

– Petite table, mets lecouvert !

Instantanément, elle se mit à porter des metssi délicats que l’aubergiste n’aurait pas pu en fournir de pareils.Et le fumet en chatouillait agréablement les narines desclients.

– Allez-y, chers amis, dit lemenuisier.

Et quand les hôtes virent que c’était sérieux,ils ne se le firent pas dire deux fois. Ils approchèrent leurschaises, sortirent leurs couteaux et y allèrent de bon cœur. Ce quiles étonnait le plus, c’était que, lorsqu’un plat était vide, unautre, bien rempli, prenait aussitôt sa place.

L’aubergiste, dans un coin, regardait lascène. Il ne savait que dire. Mais il pensait : « Voilàun cuisinier comme il m’en faudrait un ! »

Le menuisier et toute la compagnie festoyèrentgaiement jusque tard dans la nuit. Finalement, ils allèrent secoucher. Le jeune compagnon se mit également au lit et plaça satable miraculeuse contre le mur. Mais des tas d’idées trottaientdans la tête de l’aubergiste. Il lui revint à l’esprit qu’ilpossédait dans un débarras une petite table qui ressemblait à celledu menuisier, comme une sœur. Il la chercha en secret et en fitl’échange. Le lendemain matin, le jeune homme paya sa chambre,installa la petite table sur son dos, sans penser que ce n’étaitplus la bonne, et reprit son chemin. À midi, il arriva chez sonpère qui l’accueillit avec une grande joie.

– Alors, mon cher fils, qu’as-tuappris ? lui demanda-t-il.

– Père, je suis devenu menuisier.

– C’est un bon métier ! rétorqua levieux.

– Mais que ramènes-tu de toncompagnonnage ?

– Père, le meilleur de ce que je ramèneest une petite table.

Le père l’examina sur toutes ses faces etdit :

– Tu n’as pas fabriqué là unchef-d’œuvre. C’est une vieille et méchante petite table.

– Voire ! C’est une tablemystérieuse, magique, répondit le fils. Lorsque je l’installe etlui dis de mettre le couvert, les plus beaux plats s’y trouventinstantanément, avec le vin qui met du baume au cœur. Tu n’as qu’àinviter tous tes parents et amis. Pour une fois, ils se délecterontet se régaleront car la petite table les rassasiera tous.

Quand tout le monde fut rassemblé, il installala petite table au milieu de la pièce et dit :

– Petite table, mets lecouvert !

Mais rien ne se produisit et la table restaaussi vide que n’importe quelle table qui n’entend pas la parolehumaine. Alors le pauvre gars s’aperçut qu’on lui avait échangé satable et il eut honte de passer pour un menteur. Les parents s emoquaient de lui et il leur fallut repartir chez eux, affamés etassoiffés. Le père reprit ses chiffons et se remit à coudre. Lefils trouva du travail chez un patron.

Le deuxième fils était arrivé chez un meunieret il avait fait son apprentissage chez lui. Lorsque son temps futpassé, le patron lui dit :

– Puisque ta conduite a été bonne, je tefais cadeau d’un âne d’une espèce particulière. Il ne tire pas devoiture et ne porte pas de sacs.

– À quoi peut-il bien servir dans cecas ? demanda le jeune compagnon.

– Il crache de l’or, répondit le meunier.Si tu le places sur un drap et que tu dis« BRICKLEBRIT », cette bonne bête crache des pièces d’orpar devant et par derrière.

– Voilà une bonne chose, dit le jeunehomme.

Il remercia le meunier et partit de par lemonde. Quand il avait besoin d’argent, il n’avait qu’à dire« BRICKLEBRIT « à son âne et il pleuvait des pièces d’or.Il n’avait plus que le mal de les ramasser. Où qu’il arrivât, lemeilleur n’était jamais trop bon pour lui et plus cela coûtaitcher, mieux c’était. Il avait toujours un sac plein de pièces à sadisposition. Après avoir visité le monde un bout de temps, ilpensa : « Il te faut partir à la recherche de tonpère ! Quand tu arriveras avec l’âne à or, il oubliera sacolère et te recevra bien ».

Par hasard, il descendit dans la même aubergeque celle où la table de son frère avait été échangée. ilconduisait son âne par la bride et l’aubergiste voulut le luienlever pour l’attacher. Le jeune compagnon lui dit :

– Ne vous donnez pas ce mal ; jeconduirai moi-même mon grison à l’écurie et je l’attacherai aussimoi-même. Il faut que je sache où il est.

L’aubergiste trouva cela curieux et pensa quequelqu’un qui devait s’occuper soi-même de son âne ne ferait pas unbon client. Mais quand l’étranger prit dans sa poche deux piècesd’or et lui dit d’acheter quelque chose de bon pour lui, il ouvritde grands yeux, courut partout pour acheter le meilleur qu’il pûttrouver.

Après le repas, l’hôte demanda ce qu’ildevait. L’aubergiste voulait profiter de l’occasion et lui ditqu’il n’avait qu’à ajouter deux autres pièces d’or à celles qu’illui avait déjà données. Le jeune compagnon plongea sa main dans sapoche, mais il n’avait plus d’argent.

– Attendez un instant, Monsieurl’aubergiste, dit-il, je vais aller chercher de l’or.

Il emmena la nappe.

L’aubergiste ne comprenait pas ce que celasignifiait. Curieux, il suivit son client et quand il le vitverrouiller la porte de l’écurie, il regarda par un trou du mur.L’étranger avait étendu la nappe autour de l’âne et criait :« BRICKLEBRIT ». Au même moment, l’animal se mit àcracher, par devant et par derrière, de l’or qui s’empilaitrégulièrement sur le sol.

– Quelle fortune ! dit l’aubergiste.Voilà des ducats qui sont vite frappés ! Un sac à sous commecela, ce n’est pas inutile !

Le client paya son écot et alla se coucher.L’aubergiste, lui, se faufila pendant la nuit dans l’écurie,s’empara de l’âne à or et en mit un autre à la place.

De grand matin, le compagnon prit la routeavec un âne, qu’il croyait être le sien. À midi, il arriva chez sonpère qui se réjouit en le voyant et l’accueillit volontiers.

– Qu’es-tu devenu, mon fils ?demanda le vieux.

– Un meunier, cher père, répondit-il.

– Qu’as-tu ramené de toncompagnonnage ?

– Rien en dehors d’un âne.

– Des ânes, il y en a bien assez, dit lepère. J’aurais préféré une bonne chèvre !

– Oui, répondit le fils, mais ce n’estpas un âne ordinaire, c’est un âne à or. Quand je dis« BRICKLEBRIT », la bonne bête vous crache un drap pleinde pièces d’or. Appelle tous les parents, je vais en faire des gensriches.

– Voilà, qui me plaît, dit le tailleur.Je n’aurai plus besoin de me faire de souci avec mon aiguille.

Il s’en fut lui-même à la recherche de sesparents, qu’il ramena. Dès qu’ils furent rassemblés, le meunier lespria de faire place, étendit son drap et amena l’âne dans lachambre.

– Maintenant, faites attention !dit-il. Et il cria : « BRICKLEBRIT ».

Mais ce ne furent pas des pièces d’or quitombèrent et il apparut que l’animal ne connaissait rien à cet artqui n’est pas donné à n’importe quel âne. Le pauvre meunier faisaittriste figure ; il comprit qu’il avait été trompé et demandapardon à ses parents qui s’en retournèrent chez eux aussi pauvresqu’ils étaient venus. Il ne restait plus rien d’autre à faire pourle père que de reprendre son aiguille et pour le fils, de s’engagerchez un meunier.

Le troisième frère était entré chez untourneur sur bois et comme il s’agissait d’un métier d’art, ce futlui qui resta le plus longtemps en apprentissage. Ses frères luifirent savoir par une lettre comment tout avait mal tourné pour euxet comment, au dernier moment, l’aubergiste les avait dépouillés deleurs cadeaux magiques.

Lorsque le tourneur eut terminé ses études,son maître lui offrit, en récompense de sa bonne conduite, un sacet dit :

– Il y a un bâton dedans.

– Je peux prendre le sac et il peut merendre service, mais pourquoi ce bâton ? il ne fait quel’alourdir.

– Je vais te dire ceci, répondit lepatron. Si quelqu’un t’a causé du tort, tu n’auras qu’à dire :« Bâton, hors du sac ! » aussitôt, le bâton sauteradehors parmi les gens et il dansera sur leur dos une si joyeusedanse que, pendant huit jours, ils ne pourront plus faire unmouvement. Et il ne s’arrête pas avant que tu dises :« Bâton, dans le sac ! »

Le compagnon le remercia, mit le sac sur sondos et quand quelqu’un s’approchait de trop près pour l’attaquer ildisait : « Bâton, hors du sac ! » Aussitôt lebâton surgissait et se secouait sur les dos, manteaux et pourpointsjusqu’à ce que les malandrins en hurlassent de douleur. Et celaallait si vite que, avant que l’on s’en aperçût, son tour étaitdéjà venu.

Le jeune tourneur arriva un soir à l’aubergeoù l’on avait dupé ses frères. Il déposa son havresac devant lui,sur la table, et commença à parler de tout ce qu’il avait vu deremarquable dans le monde.

– Oui, dit-il, on trouve bien une« petite-table-mets-le-couvert », un âne à or et d’autreschoses semblables ; ce sont de bonnes choses que je nemésestime pas ; mais cela n’est rien à comparer au trésor queje me suis procuré et qui se trouve dans mon sac.

L’aubergiste dressal’oreille. « Qu’est-ce que ça peut bien être »,pensait-il. « Le sac serait-il bourré de diamants ?Il faudrait que je l’obtienne à bon marché lui aussi ; jamaisdeux sans trois ».

Lorsque le moment d’aller dormir fut arrivé,l’hôte s’étendit sur le banc et disposa son sac en guised’oreiller. Quand l’aubergiste crut qu’il était plongé dans unprofond sommeil, il s’approcha de lui, poussa et tira doucement,précautionneusement le sac pour essayer de le prendre et d’enmettre un autre à la place. Le tourneur s’attendait à cela depuislongtemps. Lorsque l’aubergiste voulut donner la dernière poussée,il cria :

– Bâton, hors du sac !

Aussitôt, le bâton surgit, frotta les côtes del’aubergiste à sa façon. L’aubergiste criait pitié. Mais plus fortil criait, plus vigoureusement le bâton lui tapait sur le dosjusqu’à ce qu’il tombât sans souffle sur le sol. Alors le tourneurdit :

– Si tu ne me rends pas la« petite-table-mets-le-couvert » et l’âne à or, ladanse recommencera.

– Oh ! non, s’écria l’aubergisted’une toute petite voix. Je rendrai volontiers le tout, mais faisrentrer ton esprit frappeur dans son sac.

Le jeune compagnon dit alors :

– Je veux bien que la grâce passe avantle droit, mais garde-toi de refaire le mal.

Et il cria :

– Bâton, dans le sac.

Et il le laissa tranquille.

Le tourneur partit le lendemain matin avec la« petite-table-mets-le-couvert » et l’âne à or versla maison de son père. Le tailleur se réjouit lorsqu’il le revit etlui demanda, à lui aussi, ce qu’il avait appris chez lesautres.

– Cher père, répondit-il, je suis devenutourneur sur bois.

– Un fameux métier, dit le père.

– Qu’as-tu ramené de toncompagnonnage ?

– Une pièce précieuse, cher père,répondit le fils, un bâton dans un sac.

– Quoi ? s’écria le père.

– Un bâton, ce n’était pas la peine, tupeux en cueillir à n’importe quel arbre !

– Mais pas un comme ça, cher père ;quand je dis « bâton, hors du sac », il en bondit etdonne à celui qui m’a voulu du mal une fameuse danse jusqu’à cequ’il tombe par terre et supplie qu’il s’arrête. Voyez-vous, c’estavec ce bâton que j’ai récupéré la« petite-table-mets-le-couvert » et l’âne à or quel’aubergiste voleur avait dérobés à mes frères. Maintenant, appellemes frères, et invite tous les parents. Je veux qu’ils mangent etboivent et je remplirai leurs poches d’or.

Le vieux tailleur ne croyait pas trop à cettehistoire, mais il invita quand même ses parents. Le tourneurétendit un drap dans la chambre, fit entrer l’âne à or et dit à sonfrère :

– Maintenant, cher frère, parle-lui.

Le meunier dit :

– BRICKLEBRIT

Et, à l’instant, des pièces d’or tombèrent surle drap comme s’il en pleuvait à verse et l’âne n’arrêta quelorsque tous en eurent tant qu’ils ne pouvaient plus en porter. (Jevois à ta mine que tu aurais bien voulu y être !) Alors, letourneur chercha la petite table et dit :

– Cher frère, parle-lui maintenant.

Et à peine le menuisier avait-il dit :« Petite table, mets le couvert » que déjà les plusbeaux mets apparaissaient en abondance. Il y eut un repas commejamais encore le bon tailleur n’en avait vu dans sa maison. Toutela famille resta rassemblée jusqu’au milieu de la nuit et tousétaient joyeux et comblés. Le tailleur enferma aiguilles, bobines,aune et fers à repasser dans une armoire et vécut avec ses filsdans la joie et la félicité.

Et la chèvre à cause de laquelle le tailleurjeta dehors ses trois fils, qu’est-elle devenue ?

Ne supportant pas d’avoir la tête tondue, ellealla se cacher dans le terrier d’un renard. Lorsque celui-ci revintet aperçut deux gros yeux briller au fond de son terrier, il pritpeur et se sauva à toute allure. Dans sa fuite, il rencontra unours.

– Pourquoi as-tu l’air si affolé, frèrerenard ? lui demanda celui-ci. Que t’est-il doncarrivé ?

– Mon terrier est occupé par unépouvantable animal dont les yeux lancent des flammes expliqua lerenard.

– Nous allons le chasser, s’exclamal’ours qui accompagna le renard jusqu’à son terrier.

Mais lorsque l’ours aperçut les yeux debraise, à son tour il prit peur et s’enfuit, renonçant à chasserl’intrus. Dans sa fuite, il rencontra une abeille.

– Pourquoi fais-tu cette tête, frèreours ? lui demanda-t-elle, toi qui d’ordinaire est sijoyeux ?

– Un épouvantable animal aux yeux debraise occupe le terrier du renard et nous ne réussissons pas àl’en chasser, expliqua l’ours.

L’abeille fut saisie de pitié.

– Je ne suis qu’une pauvre et faiblecréature à laquelle vous ne prêtez d’ordinaire guère attention,dit-elle. Mais peut-être pourrais-je vous aider.

L’abeille entra dans le terrier du renard, seposa sur la tête de la chèvre et la piqua si violemment quecelle-ci sauta en l’air. « Bê, Bê », hurla la chèvreen décampant à toute allure. Elle courut, courut si longtempsqu’encore aujourd’hui nul ne sait jusqu’où elle est allée.

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