Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 24Raiponce

Il était une fois un mari et sa femme quiavaient depuis longtemps désiré avoir un enfant, quand enfin lafemme fut dans l’espérance et pensa que le Bon Dieu avait bienvoulu accomplir son vœu le plus cher. Sur le derrière de leurmaison, ils avaient une petite fenêtre qui donnait sur unmagnifique jardin où poussaient les plantes et les fleurs les plusbelles ; mais il était entouré d’un haut mur, et nul n’osaits’aventurer à l’intérieur parce qu’il appartenait à une sorcièredouée d’un grand pouvoir et que tout le monde craignait. Un jourdonc que la femme se tenait à cette fenêtre et admirait le jardinen dessous, elle vit un parterre planté de superbes raiponces avecdes rosettes de feuilles si vertes et si luisantes, si fraîches etsi appétissantes, que l’eau lui en vint à la bouche et qu’elle rêvad’en manger une bonne salade. Cette envie qu’elle en avait nefaisait que croître et grandir de jour en jour ; mais commeelle savait aussi qu’elle ne pourrait pas en avoir, elle tomba enmélancolie et commença à dépérir, maigrissant et pâlissant toujoursplus. En la voyant si bas, son mari s’inquiéta et luidemanda : « Mais que t’arrive-t-il donc, ma chèrefemme ?

– Ah ! lui répondit-elle, je vaismourir si je ne peux pas manger des raiponces du jardin de derrièrechez nous ! »

Le mari aimait fort sa femme et pensa :« plutôt que de la laisser mourir, je lui apporterai de cesraiponces, quoi qu’il puisse m’en coûter ! » Le jourmême, après le crépuscule, il escalada le mur du jardin de lasorcière, y prit en toute hâte une, pleine main de raiponces qu’ilrapporta à son épouse. La femme s’en prépara immédiatement unesalade, qu’elle mangea avec une grande avidité. Mais c’était si bonet cela lui avait tellement plu que le lendemain, au lieu que sonenvie fût satisfaite, elle avait triplé. Et pour la calmer, ilfallut absolument que son mari retournât encore une fois dans lejardin. Au crépuscule, donc, il fit comme la veille, mais quand ilsauta du mur dans le jardin, il se figea d’effroi car la sorcièreétait devant lui !

– Quelle audace de t’introduire dans monjardin comme un voleur, lui dit-elle avec un regard furibond, et devenir me voler mes raiponces ! Tu vas voir ce qu’il va t’encoûter !

– Oh ! supplia-t-il, ne voulez-vouspas user de clémence et préférer miséricorde à justice ? Si Jel’ai fait, si je me suis décidé à le faire, c’est que j’étaisforcé : ma femme a vu vos raiponces par notre petite fenêtre,et elle a été prise d’une telle envie d’en manger qu’elle seraitmorte si elle n’en avait pas eu.

La sorcière fit taire sa fureur et luidit : « Si c’est comme tu le prétends, je veux bien tepermettre d’emporter autant de raiponces que tu voudras, mais à unecondition : c’est que tu me donnes l’enfant que ta femme vamettre au monde. Tout ira bien pour lui et j’en prendrai soin commeune mère. »

Le mari, dans sa terreur, accepta tout sansdiscuter. Et quelques semaines plus tard, quand sa femme accoucha,la sorcière arriva aussitôt, donna à l’enfant le nom de Raiponce etl’emporta avec elle.

Raiponce était une fillette, et la plus bellequi fut sous le soleil. Lorsqu’elle eut ses douze ans, la sorcièrel’enferma dans une tour qui se dressait, sans escalier ni porte, aumilieu d’une forêt. Et comme la tour n’avait pas d’autre ouverturequ’une minuscule fenêtre tout en haut, quand la sorcière voulait yentrer, elle appelait sous la fenêtre et criait :

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Raiponce avait de longs et merveilleux cheveuxqu’on eût dits de fils d’or. En entendant la voix de la sorcière,elle défaisait sa coiffure, attachait le haut de ses nattes à uncrochet de la fenêtre et les laissait se dérouler jusqu’en bas, àvingt aunes au-dessous, si bien que la sorcière pouvait se hisseret entrer.

Quelques années plus tard, il advint qu’unfils de roi qui chevauchait dans la forêt passa près de la tour etentendit un chant si adorable qu’il s’arrêta pour écouter. C’étaitRaiponce qui se distrayait de sa solitude en laissant filer sadélicieuse voix. Le fils de roi, qui voulait monter vers elle,chercha la porte de la tour et n’en trouva point. Il tourna brideet rentra chez lui ; mais le chant l’avait si fort bouleverséet ému dans son cœur, qu’il ne pouvait plus laisser passer un joursans chevaucher dans la forêt pour revenir à la tour et écouter. Ilétait là, un jour, caché derrière un arbre, quand il vit arriverune sorcière qu’il entendit appeler sous la fenêtre :

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Alors Raiponce laissa se dérouler ses natteset la sorcière grimpa. « Si c’est là l’escalier parlequel on monte, je veux aussi tenter ma chance », sedit-il ; et le lendemain, quand il commença à faire sombre, ilalla au pied de la tour et appela :

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Les nattes se déroulèrent aussitôt et le filsde roi monta. Sur le premier moment, Raiponce fut très épouvantéeen voyant qu’un homme était entré chez elle, un homme comme ellen’en avait jamais vu ; mais il se mit à lui parler gentimentet à lui raconter combien son cœur avait été touché quand ill’avait entendue chanter, et qu’il n’avait plus eu de repos tantqu’il ne l’eût vue en personne. Alors Raiponce perdit son effroi,et quand il lui demanda si elle voulait de lui comme mari, voyantqu’il était jeune et beau, elle pensa : « Celui-cim’aimera sûrement mieux que ma vieille mère-marraine, laTaufpatin », et elle répondit qu’elle le voulait bien, enmettant sa main dans la sienne. Elle ajouta aussitôt :

– Je voudrais bien partir avec toi, maisje ne saurais pas comment descendre. Si tu viens, alors apporte-moichaque fois un cordon de soie : j’en ferai une échelle, etquand elle sera finie, je descendrai et tu m’emporteras sur toncheval.

Ils convinrent que d’ici là il viendrait lavoir tous les soirs, puisque pendant la journée venait la vieille.De tout cela, la sorcière n’eût rien deviné si, un jour, Raiponcene lui avait dit : « Dites-moi, mère-marraine, comment sefait-il que vous soyez si lourde à monter, alors que le fils duroi, lui, est en haut en un clin d’œil ?

– Ah ! scélérate ! Qu’est-ceque j’entends ? s’exclama la sorcière. Moi qui croyais t’avoirisolée du monde entier, et tu m’as pourtantflouée ! »

Dans la fureur de sa colère, elle empoigna lesbeaux cheveux de Raiponce et les serra dans sa main gauche en lestournant une fois ou deux, attrapa des ciseaux de sa main droite etcric-crac, les belles nattes tombaient par terre. Mais siimpitoyable était sa cruauté, qu’elle s’en alla déposer Raiponcedans une solitude désertique, où elle l’abandonna à une existencemisérable et pleine de détresse.

Ce même jour encore, elle revint attachersolidement les nattes au crochet de la fenêtre, et vers le soir,quand le fils de roi arriva et appela :

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

La sorcière laissa se dérouler les nattesjusqu’en bas. Le fils de roi y monta, mais ce ne fut pas sabien-aimée Raiponce qu’il trouva en haut, c’était la vieillesorcière qui le fixait d’un regard féroce et empoisonné.

– Ha, ha ! ricana-t-elle, tu vienschercher la dame de ton cœur, mais le bel oiseau n’est plus au nidet il ne chante plus : le chat l’a emporté, comme il vamaintenant te crever les yeux. Pour toi, Raiponce est perdue tu nela verras jamais plus !

Déchiré de douleur et affolé de désespoir, lefils de roi sauta par la fenêtre du haut de la tour : il ne setua pas ; mais s’il sauva sa vie, il perdit les yeux entombant au milieu des épines ; et il erra, désormais aveugle,dans la forêt, se nourrissant de fruits sauvages et de racines,pleurant et se lamentant sans cesse sur la perte de sa femmebien-aimée. Le malheureux erra ainsi pendant quelques années,aveugle et misérable, jusqu’au jour que ses pas tâtonnantsl’amenèrent dans la solitude où Raiponce vivait elle-mêmemisérablement avec les deux jumeaux qu’elle avait mis aumonde : un garçon et une fille. Il avait entendu une voixqu’il lui sembla connaître, et tout en tâtonnant, il s’avança verselle. Raiponce le reconnut alors et lui sauta au cou en pleurant.Deux de ses larmes ayant touché ses yeux, le fils de roi recouvracomplètement la vue, et il ramena sa bien-aimée dans son royaume,où ils furent accueillis avec des transports de joie et vécurentheureux désormais pendant de longues, longues années debonheur.

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