Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 22La Princesse Méline

Il était une fois un roi. Il avait un fils quiavait demandé la main de la fille d’un roi puissant. Elles’appelait Méline et était admirablement belle. Mais son père avaitrefusé la demande du prince, car il avait déjà décidé de donner lamain de sa fille à un autre prince. Or, les deux jeunes genss’aimaient d’un amour tendre.

– Je ne veux que lui, déclara Méline, etje n’en épouserai aucun autre.

Le père se fâcha et fit construire une tour àl’intérieur de laquelle pas un seul rayon de soleil ni la lueur dela lune ne pouvaient passer. Et il dit :

– Tu seras enfermée dans cette tourpendant sept ans ; ensuite, je viendrai, pour voir si tonobstination et ton entêtement ont été brisés.

On apporta dans la tour à manger et à boirepour sept ans et Méline et sa femme de chambre y furent emmenées etemmurées. Coupées de la terre et du ciel, elles devaient rester là,dans l’obscurité totale. Le prince venait souvent près de la touret appelait Méline par son nom, mais le mur épais ne laissait paspasser sa voix.

Et le temps passa et selon la quantité denourriture et d’eau qui restait, Méline et sa femme de chambredevinèrent que les sept années touchaient à leur fin. Ellespensaient que leur libération était déjà proche, mais aucun bruitde l’extérieur ne leur parvint. Elles n’entendirent pas des coupsde marteau, pas la plus petite pierre du mur ne tomba. Ellesn’avaient plus que très peu de nourriture et une mort atroce lesattendait. Méline dit alors :

– Il n’y a pas d’autre moyen : nousdevons tenter de percer le mur.

Elle prit le couteau à pain et commença àgratter et à fouiller le mortier pour essayer de dégager unepierre ; lorsqu’elle était fatiguée, sa femme de chambre laremplaçait. Elles travaillèrent ainsi longtemps, jusqu’à cequ’elles arrivassent à détacher une pierre, puis une deuxième, puisune troisième et au bout de trois jours elles purent percevoir lepremier rayon de soleil. Finalement, la brèche fut suffisammentgrande pour qu’elles puissent voir dehors. Le ciel était d’un bleumagnifique et une brise fraîche les salua. Mais quel spectacles’offrait à leurs yeux ! Du palais lui-même il ne restait quedes ruines, la ville et les villages à l’entour étaient brûlés etles champs étaient en friche. Et on ne voyait pas âme quivive !

Lorsqu’elles eurent agrandi la brèche dans lemur, suffisamment pour pouvoir se glisser à travers, ellessautèrent à terre. Mais maintenant, que faire ? L’ennemi avaitdévasté tout le royaume, et massacré toute la population. Elles semirent à marcher, au hasard, pour trouver un autre pays. Mais ellesne trouvèrent ni un toit pour se réfugier, ni une seule personnequi leur tende un morceau de pain. Tout allait si mal qu’ellesfinirent par arracher des orties pour se nourrir. Après une longuemarche, elles arrivèrent dans un autre royaume. Elles offraientleurs services partout mais où qu’elles frappaient, personne n’envoulait et personne n’eut pitié d’elles. Finalement, ellesarrivèrent dans une grande ville et se dirigèrent vers le palaisroyal. Mais de là aussi, elles se firent chasser. Un jour, tout demême, un cuisinier eut pitié d’elles et leur permit de rester pourl’aider à la cuisine.

Il arriva que le fils du roi de ce royaumeétait justement le prince qui, autrefois, avait demandé la main deMéline. Son père lui avait choisi une fiancée laide et au cœur dur.Le mariage approchait inexorablement, la fiancée était déjà là,mais à cause de sa laideur elle ne s’était jamais montrée. Elles’était enfermée dans sa chambre et Méline lui portait à mangerdirectement de la cuisine.

Le jour des noces arriva et la mariée devaitaccompagner son futur époux à l’église. Consciente de sa laideur,elle avait honte de se montrer en public elle dit alors àMéline :

– C’est ton jour de chance ! je mesuis tordu le pied et je ne peux pas bien marcher ; tu mettrasma robe et tu me remplaceras lors du mariage.

Mais Méline refusa :

– Je ne veux pas être honorée par ce quine m’est pas dû de bon droit.

La mariée lui offrit même de l’or, mais rienn’y fit. Voyant que la jeune fille ne cédait pas, elle se mit à lamenacer :

– Si tu ne m’obéis pas, tu le paieras deta vie.

Méline fut forcée d’obéir. Elle dut se vêtirde la magnifique robe de mariée et se parer de ses bijoux.Lorsqu’elle entra dans la salle royale, tout le monde fut frappépar sa beauté. Le roi dit à son fils :

– C’est la mariée que je t’ai choisie etque tu conduiras à l’autel. Le marié fut frappé d’étonnement.

– C’est le portrait même de Méline,pensa-t-il. Si je ne savais pas que ma bien aimée est enferméedepuis des années dans sa tour et qu’elle est peut-être même déjàmorte, je croirais, ma foi, que je l’ai devant moi.

Il offrit son bras à la mariée et la conduisità l’église. Des orties poussaient près de la route et Méline leurdit :

Ortie, petite plante gracieuse, tu m’as l’airbien soucieuse !

Ne t’inquiète pas, je n’ai pas oublié le tempsdu chagrin refoulé,

Le temps où tu fus ma seule pitance, peu douceet crue, mais en abondance.

– Qu’est-ce que tu dis ? demanda leprince.

– Rien, rien, répondit-elle, je pensaisseulement à la princesse Méline.

Le marié fut surpris que sa fiancée connûtMéline, mais il se tut.

Ils passèrent près du cimetière et lorsqu’ilsarrivèrent devant l’escalier de l’église, Méline dit :

Supportez-moi, les marches, souffrez que jevous emprunte,

De la mariée qui n’en est pas une, écoutez lacomplainte.

– Que disais-tu ? demanda leprince.

– Rien, je pensais seulement à laprincesse Méline.

– La connais-tu ?

– Mais non, rétorqua-t-elle, commentpourrais-je la connaître ? Mais j’ai entendu parlerd’elle.

Ils s’arrêtèrent devant la porte de l’égliseet Méline dit :

0 toi, la grande porte ! Que je passe,supporte !

De la mariée qui n’en est pas une, écoute lademande infime.

– Et maintenant, qu’est-ce que tu viensde dire ? s’étonna le prince.

– Oh, Je pensais encore à la princesseMéline, répondit-elle.

Le marié prit un collier de très grande valeuret le lui passa au cou.

Ils entrèrent dans l’église et devant l’autelle prêtre lia leurs mains et les maria. Sur le chemin de retour,Méline ne prononça pas un mot. De retour au palais, elle courutaussitôt dans la chambre de la mariée, ôta la belle robe, rangeales bijoux et remit sa chemise grise. Elle ne garda que le collierque le marié lui avait passé autour du cou devant l’église.

La nuit tomba et la mariée devait êtreconduite dans la chambre du prince.

Elle voila son visage pour que le prince nes’aperçût pas de la supercherie. Dès que tous furent partis, leprince demanda :

– Qu’as-tu dit aux orties près de laroute ?

– À quelles orties ? s’étonna lamariée. je ne parle pas aux orties.

– Si tu ne leur as pas parlé, tu n’es pasla vraie mariée, dit le prince.

Mais la mariée trouva la parade.

– Attends !s’écria-t-elle :

Ma femme de chambre, j’appelle, car dans mespensées lit-elle.

Elle sortit de la chambre et s’en prit àMéline :

– Servante ! Qu’as-tu dit aux ortiesprès de la route ?

– je n’ai dit que cela :

Ortie, petite plante gracieuse, Tu m’as l’airbien soucieuse !

Ne t’inquiètes pas, je n’ai pas oublié Letemps du chagrin refoulé,

Le temps où tu fus ma seule pitance, Peu douceet crue, mais en abondance.

La mariée retourna dans la chambre duprince.

– Ça y est, cria-t-elle, je me rappellemaintenant de ce que j’ai dit aux orties. Et elle répéta lesparoles qu’elle venait d’entendre.

– Et qu’as-tu dit aux marches de l’égliselorsque nous les montions ? demanda à nouveau le prince.

– Aux marches de l’église ? s’étonnala mariée. je ne parle jamais aux marches.

– Tu n’es donc pas la vraie mariée.

Et la mariée dit promptement :

Ma femme de chambre, j’appelle, car dans mespensées lit-elle.

Elle sortit par la porte en courant et s’enprit de nouveau à Méline :

– Servante ! Qu’as-tu dit auxmarches devant l’église ?

– je leur ai dit simplement :

Supportez-moi, les marches, souffrez que jevous emprunte,

De la mariée qui n’en est pas une, écoutez lacomplainte.

– Cela te coûtera la vie, l’avertit lamariée, mais elle retourna vite auprès du prince pour luiexpliquer :

– Ça y est, je sais ce que j’ai dit àl’escalier !

Et elle répéta ce que la jeune fille lui avaitdit.

– Et qu’as-tu dit à la porte del’église ?

– À la porte de l’église ? s’affolala mariée. je ne parle pas aux portes.

– Tu n’es donc pas la vraie mariée.

Elle sortit en courant et elle harcela Mélineà nouveau :

– Servante ! Qu’avais-tu à raconterà la porte de l’église ?

– Je ne lui ai rien raconté, j’ai ditseulement :

Ô toi, la grande porte ! Que je passe,supporte !

De la mariée qui n’en est pas une, écoute lademande infime.

– Tu me le paieras, tu auras la têtecoupée, dit la mariée, folle de rage ; mais elle se dépêcha derevenir auprès du prince pour lui dire :

– Je me souviens maintenant ce quej’avais dit à la porte.

Et elle répéta les paroles de Méline.

– Et où est le collier que je t’ai donnédevant la porte de l’église ?

– Quel collier ? dit-elle. Tu nem’as pas donné de collier.

– Je te l’ai moi-même passé autour ducou. Si tu ne le sais pas, tu n’es pas la vraie mariée.

Il lui arracha son voile et vit son visageincroyablement laid. Effrayé, il fit un bond en arrière.

– Comment es-tu arrivée là ? Quies-tu ?

– Je suis ta fiancée promise, maisj’avais peur que les gens se moquent de moi en me voyant dans larue. C’est pourquoi j’ai ordonné à la petite souillon de mettre marobe et d’aller à l’église à ma place.

– Où est cette fille ? demanda leprince. Je veux la voir. Va la chercher !

La mariée sortit de la chambre et dit auxserviteurs que sa femme de chambre était une faussaire, et qu’ilfallait sans tarder l’amener dans la cour et lui couper la tête.Les serviteurs attrapèrent Méline et voulurent l’emmener. MaisMéline se mit à crier et à appeler au secours si fort que le princeentendit sa voix et arriva en courant. Il ordonna qu’on relâche lajeune fille sur-le-champ. On apporta la lumière et le prince putvoir que la Jeune fille avait autour du cou le collier en or qu’illui avait donné.

– C’est toi la vraie mariée, dit-il,c’est toi que j’ai amenée à l’autel. Viens dans ma chambre.

Et une fois seuls, le princedemanda :

– Pendant le trajet vers l’église, tu asparlé de la princesse Méline à laquelle j’ai été fiancé. Si Jepouvais espérer que cela fût possible, je penserais qu’elle estdevant moi ; tu lui ressembles tant !

Et la jeune fille répondit :

– Je suis Méline, celle qui, par amourpour toi, fut emprisonnée pendant sept ans dans un cachot obscur,celle qui a souffert de faim et de soif et qui a vécu si longtempsdans la misère et la détresse. Mais aujourd’hui enfin le soleil ade nouveau brillé pour moi. On nous a mariés à l’église et je suista femme légitime. Ils s’embrassèrent et vécurent heureux jusqu’àla fin de leurs jours.

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