Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 4Jorinde et Joringel

Il était une fois un vieux château au cœurd’une grande forêt épaisse où vivait toute seule une vieille femmequi était une très grande magicienne. Le jour, elle se transformaiten chatte ou en chouette, mais le soir elle reprenait ordinairementforme humaine. Elle avait le pouvoir d’attirer les oiseaux et legibier, et elle les tuait ensuite pour les faire cuire et rôtir. Siquelqu’un approchait du château à plus de cent pas, il était forcéde s’arrêter et ne pouvait plus bouger de là tant qu’elle nel’avait pas délivré d’une formule magique : mais si une purejeune fille entrait dans ce cercle de cent pas, elle lamétamorphosait en oiseau, puis elle l’enfermait dans une corbeillequ’elle portait dans une chambre du château. Elle avait bien septmille corbeilles de cette sorte dans le château avec un oiseauaussi rare dans chacune d’elle.

Or, il était une fois une jeune fille quis’appelait Jorinde ; elle était plus belle que toutes lesautres filles. Et puis il y avait un très beau jeune homme nomméJoringel : ils s’étaient promis l’un à l’autre. Ils étaient autemps de leurs fiançailles et leur plus grand plaisir était d’êtreensemble.

Un jour, ils allèrent se promener dans laforêt afin de pouvoir parler en toute intimité.

– Garde-toi, dit Joringel, d’aller aussiprès du château.

C’était une belle soirée, le soleil brillaitentre les troncs d’arbres, clair sur le vert sombre de la forêt, etla tourterelle chantait plaintivement sur les vieux hêtres. Jorindepleurait par moment, elle s’asseyait au soleil et gémissait ;Joringel gémissait lui aussi. Ils étaient aussi consternés ques’ils allaient mourir ; ils regardaient autour d’eux, ilsétaient perdus et ne savaient pas quelle direction ils devaientprendre pour rentrer chez eux. Il y avait encore une moitié desoleil au-dessus de la montagne, l’autre était déjà derrière.Joringel regarda à travers les taillis et vit la vieille murailledu château tout près de lui ; il fut pris d’épouvante etenvahi par une angoisse mortelle. Jorinde se mit àchanter :

« Mon petit oiseau bagué du rouge anneau,Chante douleur, douleur :

Te voilà chantant sa mort au tourtereau,

Chante douleur, doul…tsitt, tsitt,tsitt. »

Joringel se tourna vers Jorinde. Elle étaittransformée en rossignol qui chantait « Tsitt, Tsitt ».Une chouette aux yeux de braise vola trois fois autour d’elle etpar trois fois cria « hou, hou, hou ». Joringel nepouvait plus bouger : il restait là comme une pierre, il nepouvait ni pleurer, ni parler, ni remuer la main ou le pied. Àprésent, le soleil s’était couché : la chouette vola dans lebuisson, et aussitôt après une vieille femme en sortit, jaune,maigre et voûtée avec de grands yeux rouges et un nez crochu dontle bout lui atteignait le menton. Elle marmonna, attrapa lerossignol et l’emporta sur son poing. Joringel ne put rien dire, neput pas avancer : le rossignol était parti.

Enfin, la femme revint et dit d’une voixsourde :

« Je te salue, Zachiel, si la lune brillesur la corbeille, détache-le, Zachiel, au bon moment. »

Alors Joringel fut délivré. Il tomba à genouxdevant la femme et la supplia de lui rendre sa Jorinde, mais elledéclara qu’il ne l’aurait plus jamais et s’en alla. Il appela,pleura et se lamenta, mais ce fut en vain.

Joringel s’en fut et finit par arriver dans unvillage inconnu où il resta longtemps à garder les moutons. Ilallait souvent tourner autour du château, mais pas trop près.Enfin, une nuit, il rêva qu’il trouvait une fleur rouge sang avecune belle et grosse perle en son cœur. Il cueillait cette fleur etl’emportait pour aller au château : tout ce qu’il touchaitavec la fleur était délivré de l’enchantement, et il rêva aussiqu’il avait trouvé Jorinde de cette manière.

En se réveillant le matin, il se mit en quêtepar monts et par vaux d’une fleur semblable : il cherchajusqu’au neuvième jour, et voilà qu’à l’aube il trouva la fleurrouge sang. En son cœur, il y avait une grosse goutte de rosée,aussi grosse que la perle la plus belle.

Il porta cette fleur jour et nuit jusqu’à cequ’il arrivât au château. Quand il s’approcha à cent pas duchâteau, il ne fut point cloué sur place, mais il continua àmarcher jusqu’à la porte. Joringel s’en réjouit fort, il toucha laporte de sa fleur et elle s’ouvrit d’un coup. Il entra, traversa lacour, prêtant l’oreille pour savoir s’il n’entendrait pas lesnombreux oiseaux : enfin, il les entendit. Il alla dans cettedirection et trouva la salle où la magicienne était en train dedonner à manger aux oiseaux dans leurs sept mille corbeilles.

Quand elle aperçut Joringel, elle sefâcha : prise d’une grande fureur, elle l’injuria et vomittout son fiel contre lui, mais elle ne put pas l’approcher à plusde deux pas. Il ne tint pas compte de la magicienne et allaexaminer les corbeilles aux oiseaux ; mais c’est qu’il y avaitlà des centaines de rossignols. Comment allait-il retrouver saJorinde maintenant ?

Pendant qu’il regardait ainsi, il s’aperçutque la sorcière s’emparait à la dérobée d’une petite corbeillecontenant un oiseau et gagnait la porte avec elle. Sur-le-champ ilbondit sur elle, toucha la petite corbeille avec sa fleur et lavieille femme aussi : maintenant elle ne pouvait plus rienensorceler, et Jorinde était là, le tenant embrassé, aussi bellequ’elle l’était auparavant. Alors Joringel refit aussi de tous lesautres oiseaux des jeunes filles, puis il rentra avec sa Jorinde,et ils vécurent longtemps heureux.

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