Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 16Le Pêcheur et sa femme

Il y avait une fois un pêcheur et safemme ; ils vivaient dans une misérable hutte près du bord dela mer. Le pêcheur, qui se nommait Pierre, allait tous les joursjeter son hameçon, mais il restait souvent bien des heures avant deprendre quelque poisson.

Un jour qu’il se tenait sur la plage,regardant sans cesse les mouvements du hameçon, voilà qu’il le voitdisparaître et aller au fond ; il tire, et au bout de la lignese montre un gros cabillaud.

– Je t’en supplie, dit l’animal,laisse-moi la vie, je ne suis pas un vrai poisson, mais bien unprince enchanté. Relâche-moi, je t’en prie ; rends-moi laliberté, le seul bien qui me reste.

– Pas besoin de tant de paroles, réponditle brave Pierre. Un poisson, qui sait parler, il mérite bien qu’onle laisse nager à son aise.

Et il détacha la bête, qui s’enfuit de nouveauau fond de l’eau, laissant derrière elle une traînée de sang. Deretour dans sa cahute, il raconta à sa femme quel beau poisson ilavait pris et comment il lui avait rendu la liberté.

– Et tu ne lui as rien demandé enretour ? dit la femme.

– Mais non, qu’aurais-je donc dûsouhaiter ? répondit Pierre.

– Comment, n’est-ce pas un supplice, quede demeurer toujours dans cette vilaine cabane, sale etinfecte ; tu aurais bien pu demander une gentillechaumière.

L’homme ne trouvait pas que le service qu’ilavait rendu bien volontiers au pauvre prince valût une si bellerécompense. Cependant, il alla sur la plage, et, arrivé au bord dela mer, qui était toute verte, il s’écria :

– Cabillaud, cher cabillaud, ma femme,mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.

Aussitôt apparut le poisson, et ildit :

– Eh bien, que lui faut-il ?

– Voilà, dit le pêcheur ; parce queje t’ai rendu la liberté, elle prétend que tu devrais m’accorder unsouhait ; elle en a assez de notre hutte, elle voudraithabiter une gentille chaumière.

– Soit, répondit le cabillaud, retournechez toi, et tu verras son vœu accompli.

En effet, Pierre aperçut sa femme sur la ported’une chaumière coquette et proprette.

– Viens donc vite, lui cria-t-elle, viensvoir comme c’est charmant ici ; il y a deux belles chambres,et une cuisine, derrière nous avons une cour avec des poules et descanards, et un petit jardin avec des légumes et quelquesfleurs.

– Oh ! quelle joyeuse existence nousallons mener maintenant, dit Pierre.

– Oui, dit-elle, je suis au comble de mesvœux !

Pendant une quinzaine de jours ce fut unenchantement continuel ; puis tout à coup la femmedit :

– Écoute, Pierre, cette chaumière est partrop étroite et son jardin n’est pas plus grand que la main. je neserai heureuse que dans un grand château en pierres de taille. Vatrouver le cabillaud et fais-lui savoir que tel est mon désir.

– Mais, répondit le pêcheur, voilà quinzejours à peine que cet excellent prince nous a fait cadeau d’une sijolie chaumière, comme nous n’aurions jamais osé en rêver unepareille. Et tu veux que j’aille l’importuner de nouveau ! Ilm’enverra promener, et il aura raison.

– Du tout, dit la femme ; je le saismieux que toi, il ne demande pas mieux que de nous faire plaisir.Va le trouver, comme je te le dis.

Le brave homme s’en fut sur la plage ; lamer était bleu foncé, presque violette, mais calme. Le pêcheurs’écria :

– Cabillaud, mon cher cabillaud ! mafemme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelquechose.

– Que lui faut-il donc ? répondit lepoisson, qui apparut sur-le-champ, la tête hors de l’eau.

– Imagine-toi, répondit Pierre toutconfus, que la belle chaumière ne lui convient plus, et qu’elledésire un palais en pierres de taille !

– Retourne chez toi, dit le cabillaud,son souhait est déjà accompli.

En effet, le pêcheur trouva sa femme sepromenant dans la vaste cour d’un splendide château.

– Oh ! ce gentil cabillaud,dit-elle ; regarde donc comme tout est magnifique !

Ils entrèrent à travers un vestibule enmarbre ; une foule de domestiques galonnés d’or leur ouvrirentles portes des riches appartements, garnis de meubles dorés etrecouverts des plus précieuses étoffes. Derrière le châteaus’étendait un immense jardin où poussaient les fleurs les plusrares puis, venait un grandissime parc, où folâtraient des cerfs,des daims et toute espèce d’oiseaux ; sur le côté setrouvaient de vastes écuries, avec des chevaux de luxe et uneétable, qui contenait une quantité de belles vaches.

– Quel sort digne d’envie, que le nôtre,dit le brave pêcheur, écarquillant les yeux à l’aspect de cesmerveilles ; j’espère que tes vœux les plus téméraires sontsatisfaits.

– C’est ce que je me demande, répondit lafemme ; mais j’y réfléchirai mieux demain.

Puis, après avoir goûté des mets délicieux quileur furent servis pour le souper, ils allèrent se coucher.

Le lendemain matin, qu’il faisait à peinejour, la femme, éveillant son mari, en le poussant du coude, luidit :

– Maintenant que nous avons ce palais, ilfaut que nous soyons maîtres et seigneurs de tout le pays àl’entour.

– Comment, répondit Pierre, tu voudraisporter une couronne ? quant à moi, je ne veux pas êtreroi.

– Eh bien, moi je tiens à être reine.Allons, habille-toi, et cours faire savoir mon désir à ce chercabillaud.

Le pêcheur haussa les épaules, mais il n’enobéit pas moins. Arrivé sur la plage, il vit la mer couleur grissombre, et assez houleuse ; il se mit à crier :

– Cabillaud, cher cabillaud ! Mafemme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelquechose.

– Que lui faut-il donc ? dit lepoisson qui se présenta aussitôt, la tête hors de l’eau.

– Ne s’est-elle pas mise en tête dedevenir reine !

– Rentre chez toi, la chose est déjàfaite, dit la bête.

Et, en effet, Pierre trouva sa femme installéesur un trône en or, orné de gros diamants, une magnifique couronnesur la tête, entourée de demoiselles d’honneur, richement habilléesde brocard, et l’une plus belle que l’autre ; à la porte dupalais, qui était encore bien plus splendide que le château de laveille, se tenaient des gardes en uniformes brillants une musiquemilitaire jouait une joyeuse fanfare ; une nuée de laquaisgalonnés était répandue dans les vastes cours, où étaient rangés demagnifiques équipages.

– Eh bien, dit le pêcheur, j’espère quete voilà au comble de tes vœux ; naguère pauvre entre les pluspauvres, te voilà une puissante reine.

– Oui, répondit la femme, c’est un sortassez agréable, mais il y a mieux, et je ne comprends pas commentje n’y ai pas pensé ; je veux être impératrice, ou plutôtempereur ; oui, je veux être empereur !

– Mais, ma femme, tu perds le sens ;non, je n’irai pas demander une chose aussi folle à ce boncabillaud ; il finira par m’envoyer promener, et il auraraison.

– Pas d’observations,répliqua-t-elle ; je suis la reine et tu n’es que le premierde mes sujets. Donc, obéis sur-le-champ.

Pierre s’en fut vers la mer, pensant qu’ilfaisait une course inutile. Arrivé sur la plage, il vit la mernoire, presque comme de l’encre ; le vent soufflait avecviolence et soulevait d’énormes vagues.

– Cabillaud, cher cabillaud,s’écria-t-il, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut encorequelque chose.

– Qu’est-ce encore ? dit le poissonqui se montra aussitôt.

– Les grandeurs lui tournent la tête,elle souhaite d’être empereur.

– Retourne chez toi, répondit lepoisson ; la chose est faite.

Lorsque Pierre revint chez lui, il aperçut unimmense palais, tout construit en marbre précieux ; le toit enétait de lames d’or. Après avoir passé par une vaste cour, rempliede belles statues et de fontaines qui lançaient les plus délicieuxparfums, il traversa une haie formée de gardes d’honneur, tousgéants de plus de six pieds ; et, après avoir passé par uneenfilade d’appartements décorés avec une richesse extrême, ilatteignit une vaste salle où sur un trône d’or massif, haut de deuxmètres, se tenait sa femme, revêtue d’une robe splendide, toutecouverte de gros diamants et de rubis, et portant une couronne quià elle seule valait plus que bien des royaumes ; elle étaitentourée d’une cour composée rien que de princes et de ducs ;les simples comtes étaient relégués dans l’antichambre.

Isabelle paraissait tout à fait à son aise aumilieu de ces splendeurs.

– Eh bien, lui dit Pierre, j’espère quete voilà au comble de tes vœux ; il n’y a jamais eu de sortcomparable au tien.

– Nous verrons cela demain,répondit-elle.

Après un festin magnifique, elle alla secoucher ; mais elle ne put dormir ; elle était tourmentéeà l’idée qu’il y avait peut-être quelque chose de plus désirableencore que d’être empereur. Le matin, lorsqu’elle se leva, elle vitque le ciel était brumeux.

« Tiens, se dit-elle, je voudrais bienvoir le soleil ; les nuages sombres m’attristent. Oui, mais,pour faire lever le soleil, il faudrait être le bon Dieu. C’estcela, je veux être aussi puissante que le bon Dieu. »

Toute ravie de son idée, elles’écria :

– Pierre, habille-toi sur-le-champ, et vadire à ce brave cabillaud que je désire avoir la toute-puissancesur l’univers, comme le bon Dieu ; il ne peut pas te refusercela.

Le brave pêcheur fut tellement saisi d’effroi,en entendant ces paroles impies, qu’il dut se tenir à un meublepour ne pas tomber à la renverse.

– Mais, ma femme, dit-il, tu es tout àfait folle. Comment, il ne te suffit pas de régner sur un immenseet riche empire ?

– Non, dit-elle, cela me vexe, de ne paspouvoir faire se lever ou se coucher le soleil, la lune et lesastres. Il me faut pouvoir leur commander comme le bon Dieu.

– Mais enfin, cela passe le pouvoir de cebon cabillaud ; il se fâchera à la fin, si je viensl’importuner avec une demande aussi insensée.

– Un empereur n’admet pas d’observations,répliqua-t-elle avec colère ; fais ce que je t’ordonne, etcela, sur-le-champ.

Le brave Pierre, le cœur tout en émoi, se miten route. Il s’était levé une affreuse tempête, qui courbait lesarbres les plus forts des forêts, et faisait trembler lesrochers ; au milieu du tonnerre et des éclairs, le pêcheuratteignit avec peine la plage. Les vagues de la mer étaient hautescomme des tours, et se poussaient les unes les autres avec unépouvantable fracas.

– Cabillaud, cher cabillaud, s’écriaPierre, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut encore unedernière chose.

– Qu’est-ce donc ? dit le poisson,qui apparut aussitôt.

– J’ose à peine le dire, réponditPierre ; elle veut être toute-puissante comme le bon Dieu.

– Retourne chez toi, dit le cabillaud, ettu la trouveras dans la pauvre cabane, d’où je l’avais tirée.

Et, en effet, palais et splendeurs avaientdisparu ; l’insatiable Isabelle, vêtue de haillons, se tenaitsur un escabeau dans son ancienne misérable hutte. Pierre en pritvite son parti, et retourna à ses filets ; mais jamais plus safemme n’eut un moment de bonheur.

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