Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 43Le Vieux Sultan

Un paysan possédait un chien fidèle, nomméSultan. Or le pauvre Sultan était devenu si vieux qu’il avait perdutoutes ses dents, si bien qu’il lui était désormais impossible demordre. Il arriva qu’un jour, comme ils étaient assis devant leurporte, le paysan dit à sa femme :

– Demain un coup de fusil me débarrasserade Sultan, car la pauvre bête n’est plus capable de me rendre leplus petit service.

La paysanne eut pitié du malheureuxanimal :

– Il me semble qu’après nous avoir étéutile pendant tant d’années et s’être conduit toujours en bon chienfidèle, il a bien mérité pour ses vieux jours de trouver chez nousle pain des invalides.

– Je ne te comprends pas, répliqua lepaysan, et tu calcules bien mal : ne sais- tu donc pas qu’iln’a plus de dents dans la gueule, et que, par conséquent, il acessé d’être pour les voleurs un objet de crainte ? Il estdonc temps de nous en défaire. Il me semble que s’il nous a rendude bons services, il a, en revanche, été toujours bien nourri.Partant quitte.

Le pauvre animal, qui se chauffait au soleil àpeu de distance de là, entendit cette conversation qui le touchaitde si près, et je vous laisse à penser s’il en fut effrayé. Lelendemain devait donc être son dernier jour ! Il avait un amidévoué, sa seigneurie le loup, auquel il s’empressa d’aller, dès lanuit suivante, raconter le triste sort dont il était menacé.

– Écoute, compère, lui dit le loup, ne tedésespère pas ainsi ; je te promets de te tirer d’embarras. Ilme vient une excellente idée. Demain matin à la première heure, tonmaître et sa femme iront retourner leur foin ; comme ils n’ontpersonne au logis, ils emmèneront avec eux leur petit garçon. J’airemarqué que chaque fois qu’ils vont au champ, ils déposentl’enfant à l’ombre derrière une haie. Voici ce que tu auras àfaire. Tu te coucheras dans l’herbe auprès du petit, comme pourveiller sur lui. Quand ils seront occupés à leur foin, je sortiraidu bois et je viendrai à pas de loup dérober l’enfant ; alorstu t’élanceras de toute ta vitesse à ma poursuite, comme pourm’arracher ma proie ; et, avant que tu aies trop longtempscouru pour un chien de ton âge, je lâcherai mon butin, que turapporteras aux parents effrayés. Ils verront en toi le sauveur deleur enfant, et la reconnaissance leur défendra de temaltraiter ; à partir de ce moment, au contraire, tu entrerasen faveur, et désormais tu ne manqueras plus de rien.

L’invention plut au chien, et tout se passasuivant ce qui avait été convenu. Qu’on juge des cris d’effroi quepoussa le pauvre père quand il vit le loup s’enfuir avec son petitgarçon dans la gueule ! qu’on juge aussi de sa joie quand lefidèle Sultan lui rapporta son fils !

Il caressa son dos pelé, il baisa son frontgaleux, et dans l’effusion de sa reconnaissance, ils’écria :

– Malheur à qui s’aviserait jamaisd’arracher le plus petit poil à mon bon Sultan ! J’entendsque, tant qu’il vivra, il trouve chez moi le pain des invalides,qu’il a si bravement gagné !

Puis, s’adressant à sa femme :

– Grétel, dit-il, cours bien vite à lamaison, et prépare à ce fidèle animal une excellente pâtée ;puisqu’il n’a plus de dents, il faut lui épargner lescroûtes ; aie soin d’ôter du lit mon oreiller ; j’entendsqu’à l’avenir mon bon Sultan n’aie plus d’autre couchette.

Avec un tel régime, comment s’étonner queSultan soit devenu le doyen des chiens.

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