Les Gens de bureau

Chapitre 6

 

Romain suivit le garçon de bureau.

Ils longèrent un grand corridor sombre, tournèrent à droite,descendirent douze marches, traversèrent deux vestibules, unegalerie, remontèrent un étage et demi, s’engagèrent de nouveau dansun corridor plus sombre que le premier, à la suite duquel setrouvait une grande pièce où deux messieurs en habit noir causaientà un bureau.

Caldas s’apprêtait à les saluer, quand il aperçut à leur coucertaine chaîne d’acier en sautoir.

Ces messieurs étaient deux huissiers de Son Excellence.

– Peste ! il fait bon ici, se dit-il, de remuer trois foisla main avant de la porter à son chapeau. L’habit ne fait pas lechef.

Sur cet aphorisme trouvé, il perdit son guide. Le garçon de M.Le Campion avait brusquement tourné à gauche, Caldas prit à droite,hâtant le pas pour rejoindre son pilote. Il marcha droit devantlui, enfila le corridor B, descendit l’escalier 3, gagna l’ailenord, et comme il n’avait pas eu la précaution en passant le matindans le Luxembourg de ramasser des cailloux à l’instar duPetit-Poucet, il se trouva complètement désorienté dans les paragesdu corridor L.

Un monsieur passa tête nue avec des paperasses sous lebras ; Romain l’aperçut avec plus de joie que Colomb lespremiers oiseaux qui lui annonçaient la terre, et c’est avecl’anxiété du naufragé qu’il le pria de lui indiquer le cabinet deM. Mareschal.

– Attendez, lui dit le monsieur, nous sommes ici dans lecorridor L ; tout au fond à gauche vous prenez l’escalier 5,vous le descendez jusqu’au bas ; vous traversez la cour de lafontaine, le portique, la cour des statues, et puis… mais au fait,non, c’est inutile, vous ne vous y retrouverez jamais.

– Au moins, Monsieur, dit Caldas, je vous en prie, enseignez-moicomment sortir d’ici.

– Toujours devant vous et ensuite toujours à gauche, dit lemonsieur en s’éloignant.

– Bien obligé, lui cria Caldas ! Et il s’assit sur uncoffre à bois.

– Je ne m’étonne plus, pensa-t-il, que la moitié des affairesrestent en chemin ; il y a trop de détours dans ce sérail.

– Ah ! vous voilà, grommela derrière lui une voix demauvaise humeur, par où diable êtes-vous passé ?

Caldas reconnut le profil de son cornac.

– Vous me cherchiez ? demanda-t-il.

– Moi ! pas du tout, répondit le garçon ; mais puisquevous voilà, suivez-moi et tâchez de ne plus me perdre.

Caldas avait presque envie de prendre le pan de l’habitmarron-clair, comme les enfants prennent le pan du tablier de leurbonne ; mais cette précaution fut inutile, et il arriva sansencombre au cabinet du chef de division.

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