Les Gens de bureau

Chapitre 47

 

C’était le lendemain de la première représentation desOisifs, qui avaient obtenu un immense succès.

Caldas, que l’émotion avait empêché de dîner la veille,déjeunait de bon appétit entre mademoiselle Célestine etSaint-Adolphe. Sa modeste chambre d’hôtel garni était la salle dubanquet, mais le menu avait été fourni par Chevet.

Saint-Adolphe avait la parole :

– Savez-vous, disait-il à son collaborateur, que votre succèsd’hier soir avance diablement mes affaires. L’Odéon met demainnotre pièce en répétition.

– Et j’y aurai un rôle ? demanda mademoiselleCélestine.

– Il y en a un, reprit le galant chef de bureau, que j’ai écritexprès pour vous. Mais revenons à la représentation d’hier. Toutl’Équilibre y était, et par ma foi, j’ai lieu d’être satisfait denos bureaucrates.

– Je parie, dit mademoiselle Célestine, que chacun d’eux croyaitavoir fait la pièce.

– Parbleu ! répondit Saint-Adolphe, qui croyait bien avoirfait la moitié du Zèle. J’ai vu dans des loges undirecteur et deux chefs de division. Got a joué devant un parterrede chefs de bureau.

– Est-ce pour cela, dit Romain, que j’ai entendu deux coups desifflet au troisième acte ?

– C’était mon ancien sous-chef, dit Saint-Adolphe ; quellecanaille !

– J’ai idée, reprit Romain, que ce doit être l’inconnu qui ahérité de mon tiroir et n’a pas jugé à propos de me rendre montroisième acte. Il aura trouvé la seconde épreuve plusfaible que la première ; il a fait preuve de goût.

Mademoiselle Célestine, de sa blanche main, servit le café auxconvives.

Caldas prit une feuille de papier et, sous la dictée deSaint-Adolphe, il commença à écrire sa démission.

À ce moment la porte s’ouvrit, et M. Krugenstern apparut.

Il était radieux aujourd’hui, M. Krugenstern ; il avait euun billet pour la première représentation, un billet defamille ; il y avait mené sa femme et ses deux demoiselles. Ilavait ri, il avait pleuré, il avait applaudi surtout.

Quelque chose de la gloire de Romain rejaillissait sur lui, etil avait dit au foyer, dans un cercle de journalistes :

– C’édre moi gue che l’hapille !

Aussi il venait proposer à son client de lui faire douzehabillements complets.

– Ah ! prenez garde, dit Romain, posant sa plume, c’est queje quitte le ministère.

– Che fus audorise, répondit M. Krugenstern.

La réussite n’a point fait oublier à Caldas son savoir vivre. Ilreconnaît encore ses amis, quand il les rencontre.

Sa démission envoyée officiellement par la poste, il se renditau ministère prendre congé des gens à côté desquels il avaitvécu.

M. Le Campion est le dernier qu’il eut l’honneur de saluer.

Cet homme impénétrable se départit en cette circonstance de sonmutisme habituel :

– J’ai vu votre pièce, lui dit-il ; elle révèle un grandtalent. Vous avez tort pourtant de quitter l’Administration ;votre écriture s’y était beaucoup améliorée.

 

FIN

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