Ramuntcho

X

Le changeant mois de mars était arrivé, etavec lui l’enivrement du printemps, joyeux pour les jeunes,mélancolique pour ceux qui déclinent.

Et Gracieuse avait recommencé de s’asseoir, aucrépuscule des jours déjà allongés, sur le banc de pierre devant saporte.

Oh ! les vieux bancs de pierre, autourdes maisons, faits dans les temps passés, pour les rêveries dessoirées douces et pour les causeries éternellement pareilles desamoureux !…

La maison de Gracieuse était très ancienne,comme la plupart des maisons de ce pays basque, où les annéeschangent, moins qu’ailleurs, les choses… Elle avait deuxétages ; un grand toit débordant, en pente rapide ; desmurailles comme une forteresse, que l’on blanchissait à la chauxtous les étés ; de très petites fenêtres, avec des entouragesde granit taillé et des contrevents verts. Au-dessus de la porte defaçade, un linteau de granit portait une inscription enrelief ; des mots compliqués et longs, qui, pour des yeux deFrançais, ne ressemblaient rien de connu. Cela disait :« Que notre Sainte Vierge bénisse cette demeure, bâtie en l’an1630 par Pierre Detcharry, bedeau, et sa femme Damasa Irribarne, duvillage d’Istaritz. » Un jardinet de deux mètres de large,entouré d’un mur bas pour permettre de voir passer le monde,séparait la maison du chemin ; il y avait là un beaulaurier-rose de pleine terre, étendant son feuillage méridionalau-dessus du banc des soirs, et puis des yuccas, un palmier, et destouffes énormes de ces hortensias, qui deviennent géants ici, dansce pays d’ombre, sous ce tiède climat enveloppé si souvent denuages. Par derrière ensuite, venait un verger mal clos, quidévalait jusqu’à un chemin abandonné, favorable aux escaladesd’amants.

Les rayonnants matins de lumière qu’il eut ceprintemps-là, et les tranquilles soirs roses !…

Après une semaine de pleine lune, quimaintenait jusqu’au jour les campagnes toutes bleues de rayons, etoù les gens d’Itchoua ne travaillaient plus, – tant était clairleur domaine habituel, tant s’illuminaient leurs grands fondsvaporeux de Pyrénées et d’Espagne, – la fraude de frontière repritde plus belle, dès que le croissant aminci fut redevenu discret etmatinal. Alors, par ces beaux temps recommencés, la contrebande desnuits fut exquise à faire ; métier de solitude et de rêve oùl’âme des naïfs et très pardonnables fraudeurs grandissaitinconsciemment en contemplation du ciel et des ténèbres animéesd’étoiles, – comme il arrive pour l’âme des gens de mer veillantsur la marche nocturne des navires, et comme il arrivait jadis pourl’âme des pasteurs de l’antique Chaldée.

Elle était favorable aussi et tentante pourles amoureux, cette période attiédie qui suivit la pleine lune demars, car il faisait noir partout autour des maisons, noir danstous les chemins voûtés d’arbres, – et très noir, derrière leverger des Detcharry, dans le sentier à l’abandon où ne passaitjamais personne.

Gracieuse vivait de plus en plus sur son bancdevant sa porte.

C’était là qu’elle s’était assise, commechaque année, pour recevoir et regarder les danseurs ducarnaval : ces groupes de jeunes garçons et de jeunes fillesd’Espagne ou de France, qui, chaque printemps, s’organisent pourquelques jours en bande errante et, vêtus tous de mêmes couleursroses ou blanches, s’en vont parcourir les villages de lafrontière, danser le fandango devant les maisons, avec descastagnettes.

Elle s’attardait toujours davantage à cetteplace qu’elle aimait, sous l’abri du laurier-rose près de fleurir,et, quelquefois même, sortait sans bruit par la fenêtre, comme unepetite sournoise, pour venir là respirer longuement, après que samère était couchée. Or, Ramuntcho le savait, et, chaque soir, lapensée de ce banc troublait son sommeil.

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