Ramuntcho

XVII

Le lendemain dimanche, ils étaient allésreligieusement, tous ensemble, entendre une des messes du clairmatin, pour pouvoir rentrer à Etchézar le jour même, aussitôt aprèsla grande partie de paume. Or, c’était ce retour, plus encore quele jeu, qui intéressait Gracieuse et Raymond, car, suivant leurespérance, Pantchika et sa mère resteraient à Erribiague, et euxs’en iraient, serrés l’un contre l’autre, dans la très petitevoiture des Detcharry, sous la surveillance indulgente et légèred’Arrochkoa : cinq ou six heures de voyage, tous trois seuls,par les routes de printemps, sous les verdures nouvelles, avec deshaltes amusantes dans des villages inconnus.

Dès 11 heures du matin, ce beau dimanche, lesabords de la place s’encombrèrent de montagnards, descendus de tousles sommets, accourus de tous les sauvages hameaux d’alentour.C’était une partie internationale, trois joueurs de France contretrois d’Espagne, et, dans l’assistance, les Basques espagnolsdominaient ; on y voyait même quelques larges sombreros, desvestes et des guêtres du vieux temps.

Les juges des deux nations, désignés par lesort, se saluèrent avec une courtoisie surannée, et la parties’engagea, dans un grand silence d’attente, sous un accablantsoleil qui gênait les joueurs malgré leurs bérets rabattus envisière sur leurs yeux.

Ramuntcho bientôt, et après lui Arrochkoa,furent acclamés comme des triomphateurs. Et on regardait ces deuxpetites étrangères, si attentives, au premier rang, si jolies aussiavec leurs élégants corsages roses, et on se disait :« Ce sont leurs promises, aux deux beaux joueurs. AlorsGracieuse, qui entendait tout, se sentait très fière de son jeunefiancé. »

Midi. Ils jouaient depuis bientôt une heure.Le vieux mur, au faîte arrondi comme une coupole, se fendillait desécheresse et de chaleur sous son badigeon d’ocre jaune. Lesgrandes masses pyrénéennes, plus voisines encore ici qu’à Etchézar,plus écrasantes et plus hautes, dominaient de partout ces petitsgroupes humains qui s’agitaient dans un repli profond de leursflancs. Et le soleil tombait d’aplomb sur les lourds bérets deshommes, sur les têtes nues des femmes, chauffant les cerveaux,grandissant les enthousiasmes. La foule passionnée donnait de lavoix, et les pelotes bondissaient, quand commença de tinterdoucement l’angélus. Alors un vieil homme, tout couturé, toutbasané, qui attendait ce signal, emboucha son clairon, – son ancienclairon des zouaves d’Afrique, – et sonna « aux champs ».Et on vit se lever toutes les femmes qui s’étaient assises ;tous les bérets tombèrent, découvrant des chevelures noires,blondes ou blanches, et le peuple entier fit le signe de la croix,tandis que les joueurs, aux poitrines et aux fronts ruisselants,s’étaient immobilisés au plus ardent de la partie, et demeuraientrecueillis, la tête inclinée vers la terre…

Au coup de deux heures, le jeu ayant finiglorieusement pour les Français, Arrochkoa et Ramuntcho montèrentdans leur petite voiture, reconduits et acclamés par tous lesjeunes d’Erribiague ; puis Gracieuse prit place entre euxdeux, et ils partirent pour leur longue route charmante, les pochesgarnies de l’or qu’ils venaient de gagner, ivres de joie, de bruitet de soleil.

Et Ramuntcho, qui gardait à sa moustache legoût du baiser d’hier, avait envie, en s’en allant, de leur crier àtous : « Cette petite, que vous voyez, si jolie, est àmoi ! Ses lèvres sont à moi, je les tenais hier entre lesmiennes et je les y reprendrai encore ce soir ! »

Ils partirent et tout de suite retrouvèrent lesilence, dans les vallées ombreuses aux parois garnies de digitaleset de fougères…

Rouler pendant des heures sur les petitesroutes pyrénéennes, changer de place presque tous les jours,parcourir le pays basque en tous sens, aller d’un village à unautre, appelé ici par une fête, là par une aventure de frontière,c’était maintenant la vie de Ramuntcho, la vie errante que le jeude paume lui faisait pendant ses journées, et la contrebandependant ses nuits.

Des montées, des descentes, au milieu d’unmonotone déploiement de verdure. Des bois de chênes et de hêtres,presque inviolés et demeurés tels que jadis, aux sièclestranquilles…

Quand venait à passer quelque logis antique,égaré dans ces solitudes d’arbres, ils ralentissaient pour s’amuserà lire, au-dessus de la porte, la traditionnelle légende, inscritedans le granit : « Ave Maria ! » Enl’an 1600 ou en l’an 1500, un tel, de tel village, a bâti cettemaison, pour y vivre avec une telle, son épouse.

Très loin de toute habitation humaine, dans unrecoin de ravin où il faisait plus chaud qu’ailleurs, à l’abri detous les souffles, ils rencontrèrent un marchand de saintes imagesqui s’essuyait le front. Il avait posé à terre son panier, toutplein de ces peinturlures aux cadres dorés qui représentent dessaints et des saintes, avec des légendes euskariennes, et dont lesBasques aiment encore garnir leurs vieilles chambres aux mursblancs. Et il était là, épuisé de fatigue et de chaleur, commeéchoué dans les fougères, à un tournant de ces petites routes demontagne qui s’en vont solitaires sous des chênes.

Gracieuse voulut descendre et lui acheter uneSainte Vierge.

« C’est, dit-elle à Raymond, pour, plustard, la mettre chez nous, en souvenir… »

Et l’image, éclatante dans son cadre d’or,s’en alla avec eux sous les longues voûtes vertes…

Ils firent un détour, car ils voulaient passerpar certaine vallée des Cerisiers, non pas dans l’espoir d’ytrouver déjà des cerises, en avril, mais pour montrer à Gracieusece lieu, qui est renommé dans tout le pays basque.

Il était près de cinq heures, le soleil déjàbas, quand ils arrivèrent là. Une région ombreuse et calme, où lecrépuscule printanier allait descendre en caresse sur lamagnificence des feuillées d’avril. L’air y était frais et suave,embaumé de senteurs de foins, de senteurs d’acacias. Des montagnes– très hautes surtout vers le Nord pour y faire le climat plus doux– l’entouraient de toutes parts, y jetant le mélancolique mystèredes édens fermés.

Et, quand les cerisiers apparurent, ce fut unegaie surprise : ils étaient déjà rouges, au 20avril !

Personne, dans ces chemins, au-dessus desquelsces grands cerisiers étendaient, comme un toit, leurs branchestoutes perlées de corail.

Çà et là seulement, quelques maisons d’étéencore inhabitées, quelques jardins à l’abandon, envahis par leshautes herbes et les buissons de roses.

Alors, ils mirent leur cheval au pas ;puis, chacun à son tour, se débarrassant des rênes et se tenantdebout dans la voiture, ils s’amusèrent à manger ces cerises à mêmeles arbres, en passant et sans s’arrêter. Après, ils en piquèrentdes bouquets à leur boutonnière, ils en cueillirent des branchespour les attacher à la tête du cheval, aux harnais, à lalanterne : on eût dit un petit équipage paré pour quelque fêtede jeunesse et de joie…

« A présent, dépêchons-nous ! priaGracieuse. Pourvu qu’il fasse assez clair, au moins, quand nousarriverons à Etchézar, pour que le monde nous voie passer, décoréscomme nous sommes ! »

Quant à Ramuntcho, lui, à l’approche de cetiède crépuscule, il songeait surtout au rendez-vous du soir, aubaiser qu’il oserait recommencer, pareil à celui d’hier, enreprenant la lèvre de Gracieuse entre ses lèvres à lui, comme unecerise…

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