Ramuntcho

XI

Un clair matin d’avril, ils cheminaient tousdeux vers l’église, Gracieuse et Raymond. Elle, d’un airdemi-grave, demi-moqueur, d’un petit air particulier et très drôle,le menant là pour lui faire faire une pénitence qu’elle lui avaitcommandée.

Dans le saint enclos, les parterres des tombesrefleurissaient, comme aussi les rosiers des murailles. Une fois deplus les sèves nouvelles s’éveillaient, au-dessus du long sommeildes morts. Ils entrèrent ensemble, par la porte d’en bas, dansl’église vide, où la vieille benoîte en mantille noireétait seule, époussetant les autels.

Quand Gracieuse eut donné à Ramuntcho l’eaubénite et qu’ils eurent fait leur signe de croix, elle leconduisit, à travers la nef sonore pavée de dalles funéraires,jusqu’à une étrange image accrochée au mur, dans un recoin d’ombre,sous les tribunes des hommes.

C’était une peinture, empreinte d’unmysticisme ancien, qui représentait la figure de Jésus les yeuxfermés, le front sanglant, l’expression lamentable et morte ;la tête semblait tranchée, séparée du corps, et posée là sur unlinge gris. Au-dessous, se lisaient les longues Litanies de laSainte-Face, qui ont été composées, comme chacun sait, pourêtre dites en punition par les blasphémateurs repentants. Laveille, Ramuntcho, étant en colère, avait juré trèsvilainement : une kyrielle tout à fait inimaginable de mots,où les sacrements et les plus saintes choses se trouvaient mêlésaux cornes du diable et à d’autres vilenies plus affreuses encore.C’est pourquoi la nécessité d’une pénitence s’était imposée àl’esprit de Gracieuse.

« Allons, mon Ramuntcho, recommandat-elle en s’éloignant, n’omets rien de ce qu’il fautdire. »

Elle le quitta donc devant la Sainte-Face,commençant de murmurer ses litanies à voix basse, et se renditauprès de la benoîte, pour l’aider à changer l’eau des pâquerettesblanches, devant l’autel de la Vierge.

Mais quand le langoureux soir fut revenu, etGracieuse assise dans l’obscurité à rêver sur son banc de pierre,une jeune forme humaine surgit tout à coup près d’elle ;quelqu’un qui s’était approché en espadrilles, sans faire plus debruit que les hiboux soyeux dans l’air, venant du fond du jardinsans doute, après quelque escalade, et qui se tenait là, droit etcambré, la veste jetée sur une épaule : celui vers quiallaient toutes ses tendresses de cette terre, celui qui incarnaitl’ardent rêve de son cœur et de ses sens…

« Ramuntcho ! dit-elle… Oh !que j’ai eu peur de toi !… D’où es-tu sorti à une heurepareille ? Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tuvenu ?

– Pourquoi je suis venu ? A mon tour,pour te commander une pénitence, répondit-il en riant.

– Non, dis vrai, qu’est-ce qu’il y a,qu’est-ce que tu viens faire ?

– Mais, te voir seulement ! C’est ça queje viens faire… Qu’est-ce que tu veux ! nous ne nous voyonsplus jamais !… Ta mère m’éloigne davantage chaque jour. Je nepeux pas vivre comme ça, moi… Nous ne faisons pas de mal aprèstout, puisque c’est pour nous marier, dis !… Et tu sais, jepourrai venir tous les soirs, si cela te va, sans que personne s’endoute…

– Oh ! non !… Oh ! ne fais pasça, jamais, je t’en supplie «

Ils causèrent un instant et si bas, si bas,avec plus de silences que de paroles, comme s’ils avaient peurd’éveiller les oiseaux dans les nids. Ils ne reconnaissaient plusle son de leurs voix, tant elles étaient changées et tant ellestremblaient, comme s’ils avaient commis là quelque crime délicieuxet damnable, rien qu’en restant près l’un de l’autre, dans le grandmystère caressant de cette nuit d’avril, qui couvait autour d’euxtant de montées de sèves, de germinations et d’amours…

Il n’avait même pas osé s asseoir à sescôtés ; il demeurait debout, prêt à fuir sous les branches àla moindre alerte comme un rôdeur nocturne.

Cependant, quand il voulut partir, ce fut ellequi demanda, confuse, en hésitant et de façon à être à peineentendue :

« Et…, tu reviendras demain,dis ?

Alors, sous sa moustache commençante, ilsourit de voir ce brusque changement d’idée et ilrépondit :

« Mais oui, bien sûr !… Demain ettous les soirs !… Tous les soirs où nous n’aurons pas detravail pour l’Espagne…, je viendrai… »

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