Ramuntcho

XXIII

Déjà les feux de la Saint-Jean ont flambé,joyeux et rouges dans une claire nuit bleue, – et la montagneespagnole, là-bas, semblait ce soir-là brûler comme une gerbe depaille, tant il y en avait de ces feux de joie, allumés sur sesflancs. La voici donc commencée, la saison de lumière, de chaleuret d’orage, vers la fin de laquelle Raymond doit partir.

Et les sèves, qui au printemps montaient sivite, déjà s’alanguissent dans le développement complet desverdures, dans l’épanouissement large des fleurs. Et le soleil,toujours plus brûlant, surchauffe toutes les têtes, de béretscoiffées, exalte les ardeurs et les passions, fait lever partout,dans ces villages basques, des ferments d’agitation bruyante et deplaisir. Tandis qu’en Espagne commencent les grandes coursessanglantes, c’est ici l’époque de tant de fêtes, de tant de partiesde paume, de tant de fandangos dansés le soir, de tantd’alanguissements d’amoureux dans la tiède volupté desnuits !

C’est bientôt la splendeur chaude de juilletméridional. La mer de Biscaye s’est faite très bleue et la côteCantabrique a pour un temps revêtu ses fauves couleurs de Maroc oud’Algérie.

Avec les lourdes pluies d’orage, alternent lesmerveilleux beaux temps qui donnent à l’air des limpiditésabsolues. Et il y a les journées aussi où les choses un peudistantes sont comme mangées de lumière, poudrées d’une poussièrede soleil ; alors, au-dessus des bois et du villaged’Etchézar, la Gizune très pointue devient plus vaporeuse et plushaute, et, sur le ciel, flottent, pour le faire paraître plus bleu,de tout petits nuages d’un blanc doré avec un peu de gris de nacredans leurs ombres.

Et les sources coulent plus minces et plusrares sous l’épaisseur des fougères, et, le long des routes, s’envont plus lents, sous la conduite des hommes demi-nus, les chars àbœufs, qu’un essaim de mouches environne.

A cette saison, Ramuntcho, dans le jour,vivait de sa vie agitée de pelotari, tout le temps encourses, avec Arrochkoa, de village en village, pour organiser desparties de paume et pour les jouer.

Mais, à ses yeux, les soirs existaientseuls.

Les soirs !… Dans l’obscurité odorante etchaude du jardin, être assis très près de Gracieuse ; nouerles bras autour d’elle, peu à peu l’attirer et l’appuyer contre lapoitrine pour la tenir comme blottie, et rester ainsi longuementsans rien dire, le menton appuyé sur ses cheveux, à respirer lasenteur jeune et saine de son corps.

Il s’énervait dangereusement, Raymond, à cescontacts prolongés qu’elle ne défendait pas. D’ailleurs, il ladevinait assez abandonnée à lui maintenant, et confiante, pour toutpermettre ; mais il ne voulait pas tenter d’aller jusqu’à lacommunion suprême, par pudeur d’enfant, par respect de fiancé, parexcès et par profondeur d’amour. Et il lui arrivait par fois de selever brusquement pour se détendre, – à la manière d’un chat quis’étire, disait-elle comme jadis à Erribiague, – quand il se voyaitpris d’un tremblement dangereux et d’une plus impérieuse tentationde se fondre en elle, pour une minute d’ineffable mort…

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