Ramuntcho

IX

C’était le soir de la Saint-Sylvestre.

Toute la journée, s’était maintenu ce cielsombre qui est si souvent le ciel du pays basque – et qui va biend’ailleurs avec les âpres montagnes, avec la mer bruissante etmauvaise, en bas, au fond du golfe de Biscaye.

Au crépuscule de ce dernier jour de l’année, àl’heure où les feux de branches retiennent les hommes autour desfoyers épars dans la campagne, à l’heure où le gîte est désirableet délicieux, Ramuntcho et sa mère allaient s’asseoir pour souper,quand on frappa discrètement à leur porte.

L’homme qui leur arrivait de la nuit dudehors, au premier aspect leur sembla inconnu ; quand il sefut nommé seulement (José Bidegarray, d’Hasparitz), ils serappelèrent le matelot parti depuis des années pour naviguer auxAmériques.

« Voilà, dit-il après avoir accepté unechaise, voilà quelle commission l’on m’a chargé de vous faire. Unefois, à Rosario de l’Uruguay, comme je causais sur les docks avecd’autres Basques émigrés là-bas, un homme, qui pouvait avoircinquante ans environ, s’est approché de moi, en m’entendant parlerd’Etchézar.

« – Vous en êtes, vous, d’Etchézar ?m’a-t-il demandé.

« – Non, mais du bourg d’Hasparitz, quin’en est guère éloigné. »

« Alors il m’a fait des questions surtoute votre famille. J’ai dit :

« – Les vieux sont morts, le frère aîné aété tué à la contrebande, le second a disparu aux Amériques ;il ne reste plus que Franchita avec son fils Ramuntcho, un beaujeune garçon qui peut avoir dans les dix-huit ansaujourd’hui. »

« Il était tout songeur en m’écoutantparler.

« – Eh bien, m’a-t-il dit pour finir,puisque vous retournez là-bas, vous leur direz le bonjour de lapart d’Ignacio. »

« Et, après m’avoir offert un verre àboire, il s’en est allé… »

Franchita s’était levée, tremblante et encoreplus pâle que de coutume. Ignacio, le plus aventurier de toute lafamille, son frère disparu depuis dix années sans donner de sesnouvelles !…

Comment était-il ? Quelle figure ?Habillé de quelle façon ?… Avait-il l’air heureux, au moins,ou la tenue d’un pauvre ?

« Oh ! répondit le matelot, ilmarquait bien encore, malgré ses cheveux gris ; pour lecostume, il paraissait un homme à son aise, avec une belle chaîned’or à sa ceinture. »

Et c’était tout ce qu’il pouvait dire, parexemple, cela, avec ce naïf et rude bonjour dont il étaitporteur ; au sujet de l’exilé, il n’en savait pas davantage,et peut-être, jusqu’à la mort, Franchita n’apprendrait jamais riende plus sur ce frère, presque inexistant comme un fantôme.

Puis, quand il eut vidé un verre de cidre, ilreprit sa route, le messager étrange qui se rendait là-haut dansson village. Alors, ils se mirent à table sans se parler, la mèreet le fils ; elle, la silencieuse Franchita, distraite, avecdes larmes qui faisaient briller ses yeux ; lui, troubléaussi, mais d’une manière différente, par la pensée de cet oncle,courant là-bas la grande aventure.

Au sortir de l’enfance, quand Ramuntchocommençait à déserter l’école, à vouloir suivre les contrebandiersdans la montagne, Franchita avait coutume de lui dire en legrondant :

« D’ailleurs, tu tiens de ton oncleIgnacio, on ne fera jamais rien de toi !… »

Et c’était vrai qu’il tenait de son oncleIgnacio, qu’il était fasciné par toutes les choses dangereuses,inconnues et lointaines…

Ce soir donc, si elle ne parlait pas à sonfils du message qui venait de leur être transmis, c’est qu’elledevinait le sens de sa rêverie sur les Amériques et qu’elle avaitpeur de ses réponses. Du reste chez les campagnards ou chez lesgens du peuple, les petits drames profonds et intimes se jouentsans paroles, avec des malentendus jamais éclaircis, des phrasesseulement devinées et d’obstinés silences.

Mais, comme ils finissaient leur repas, ilsentendirent un chœur de voix jeunes et gaies, qui se rapprochait,accompagné d’un tambour : les garçons d’Etchèzar, venantprendre Ramuntcho pour l’emmener avec eux faire en musique le tourdu village, suivant la coutume des nuits de la Saint-Sylvestre,entrer dans chaque maison, y boire un verre de cidre et y donnerune joyeuse sérénade sur un air du vieux temps.

Et Ramuntcho, oubliant l’Uruguay et l’onclemystérieux, redevint enfant, dans son plaisir de les suivre et dechanter avec eux le long des chemins obscurs, ravi surtout depenser qu’on entrerait chez les Detcharry et qu’il reverrait uninstant Gracieuse.

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