Ramuntcho

VII

Cela marchait très vite maintenant, entre lesfièvres desséchantes qui lui faisaient des joues rouges, desnarines pincées, ou bien les épuisements dans des bains de sueur,le pouls battant à peine.

Et Ramuntcho n’avait plus d’autre pensée quesa mère ; l’image de Gracieuse cessait de le visiter pendantces funèbres jours.

Elle s’en allait, Franchita ; elle s’enallait, muette et comme indifférente, ne demandant rien, ne seplaignant jamais…

Une fois cependant, à une veillée, ellel’appela tout à coup d’une pauvre voix d’angoisse, pour jeter lesbras autour de lui, l’attirer contre elle, appuyer la tête sur sajoue. Et, en cette minute, Raymond vit passer dans ses yeux lagrande Épouvante, – celle de la chair qui se sent finir, celle deshommes et celle des bêtes, l’horrible et la même pour tous…Croyante, elle l’était bien un peu ; pratiquante plutôt, commetant d’autres femmes autour d’elle ; timorée vis-à-vis desdogmes, des observances, des offices, mais sans conception clairede l’au-delà, sans lumineux espoir… Le ciel, toutes les belleschoses promises après la vie… Oui, peut-être… Mais pourtant, letrou noir était là, proche et certain, où il faudrait pourrir… Cequi était sûr, ce qui était inexorable, c’est que jamais, jamaisplus son visage détruit ne s’appuierait d’une façon réelle surcelui de Ramuntcho ; alors, dans le doute d’avoir une âme quis’envolerait, dans l’horreur et la misère de s’anéantir, de devenirde la poudre et du rien, elle voulait encore des baisers de cefils, et elle s’accrochait à lui comme s’accrochent les naufragésqui coulent dans les eaux noires et profondes…

Lui, comprit tout cela, que disaient si bienles pauvres yeux finissants. Et la pitié si tendre, qu’il avaitdéjà éprouvée à voir les rides et les cheveux blancs de sa mère,déborda comme un flot de son cœur très jeune ; il répondit àson appel par tout ce qu’on peut donner d’étreintes etd’embrassements désolés.

Mais ce fut de courte durée. Elle n’avaitd’ailleurs jamais été de celles qui s’amollissent longuement ou dumoins qui le laissent paraître. Ses bras dénoués, sa tête retombée,elle referma les yeux, inconsciente maintenant, – ou bienstoïque…

Et Raymond, debout, n’osant plus la toucher,pleura sans bruit de lourdes larmes en détournant a tête, – tandisque, dans le lointain, la cloche de la paroisse commençait desonner le couvre-feu, chantait la tranquille paix du village,emplissait l’air de vibrations douces, protectrices, conseillèresde bon sommeil à ceux qui ont encore des lendemains…

Le matin suivant, après s’être confessée, elletrépassa, silencieuse et hautaine, ayant eu comme une honte de sasouffrance et de son râle, – pendant que la même cloche, là-bas,sonnait lentement son agonie.

Et le soir, Ramuntcho se trouva seul, à côtéde cette chose couchée et refroidie que l’on conserve et regardequelques heures encore, mais qu’il faut se hâter d’en fouir dans laterre…

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