Ramuntcho

VII

A l’aube incertaine et un peu glacée, ils’éveilla dans sa chambrette d’auberge, avec une impressionpersistante de sa joie d’hier, au lieu de ces confuses angoissesqui, si souvent, accompagnaient chez lui le retour progressif despensées. Dehors, on entendait des sonnailles de troupeaux partantpour les pâturages, des vaches qui beuglaient au jour levant, descloches d’églises, – et déjà, contre le mur de la grande place, lescoups secs de la pelote basque : tous les bruits d’un villagepyrénéen qui recommence sa vie coutumière pour un jour nouveau. Etcela semblait à Raymond une aubade de fête.

De bonne heure ils remontèrent, Arrochkoa etlui, dans leur petite voiture, et, enfonçant leurs bérets pour levent de la course, partirent au galop de leur cheval, sur lesroutes un peu saupoudrées de gelée blanche.

A Etchézar, quand ils arrivèrent pour midi, onaurait cru l’été, – tant le soleil était beau.

Dans le jardinet devant sa maison, Gracieusese tenait assise sur le banc de pierre :

« J’ai parlé à Arrochkoa ! lui ditRamuntcho, avec un bon sourire heureux, dès qu’il se trouva seulavec elle… Et il est tout à fait pour nous, tu sais !

– Oh ! ça, répondit la petite fiancée,sans perdre l’air tristement pensif qu’elle avait ce matin-là,oh ! ça…, mon frère Arrochkoa, je m’en doutais, c’étaitsûr ! Un joueur de pelote comme toi, tu penses, c’est faitpour lui plaire, à son idée c’est tout ce qu’il y a desupérieur…

– Mais ta maman, Gatchutcha, depuis quelquesjours elle est bien mieux pour moi, je trouve… Ainsi, dimanche, tut’en souviens, quand je t’ai demandée pour danser…

– Oh ! ne t’y fie pas, monRamuntchito ! tu veux dire avant-hier, à la sortie de lamesse ?… C’est qu’elle venait de causer avec la Bonne-Mère,n’as-tu pas vu ?… Et la Bonne-Mère avait tempêté pour que jene danse plus avec toi sur la place ; alors, rien que dans lebut de la contrarier, tu comprends… Mais, ne t’y fie pas, non…

– Ah !…, répondit Ramuntcho, dont la joieétait déjà tombée, c’est vrai, qu’elles ne sont pas trop bienensemble…

– Bien ensemble, maman et laBonne-Mère ?… Comme chien et chat, oui !… Depuis qu’il aété question de mon entrée au couvent, tu ne te rappelles donc pasl’histoire ? »

Il se rappelait très bien, au contraire, etcela l’épouvantait encore. Les souriantes et mystérieuses nonnesnoires avaient une fois cherché à attirer dans la paix de leursmaisons cette petite tête blonde, exaltée et volontaire, possédéed’un immense besoin d’aimer et d’être aimée…

« Gatchutcha, tu es toujours chez lessœurs ou avec elles ; pourquoi si souvent ?explique-moi : elles te plaisent donc bien ?

– Les sœurs ? non, mon Ramuntcho, cellesd’à présent surtout, qui sont nouvelles au pays et que je connais àpeine – car on nous les change souvent, tu sais… Les sœurs, non… Jete dirai même que, pour la Bonne-Mère, je suis comme maman, je nepeux pas la sentir…

– Eh bien, alors, quoi ?…

– Non, mais, que veux-tu, j’aime leurscantiques, leurs chapelles, leurs maisons, tout… Je ne peux pasbien t’expliquer, moi… Et puis, d’ailleurs, les garçons, ça necomprend rien… »

Son petit sourire, pour dire cela, fut tout desuite éteint, changé en une expression contemplative ou uneexpression d’absence, que Raymond lui avait déjà souvent vue. Elleregardait attentivement devant elle où il n’y avait pourtant que laroute sans promeneurs, que les arbres effeuillés, que la massebrune de l’écrasante montagne ; mais on eût dit que Gracieuseétait ravie en mélancolique extase par des choses aperçues au-delà,par des choses que les yeux de Ramuntcho ne distinguaient pas… Et,pendant leur silence à tous deux, l’angélus de midi commença desonner, jetant plus de paix encore sur le village tranquille qui sechauffait au soleil d’hiver ; alors, courbant la tête, ilsfirent naïvement ensemble leur signe de croix…

Puis, quand finit de vibrer la sainte cloche,qui dans les villages basques interrompt la vie, comme en Orient lechant des muezzins, Raymond se décida à dire :

« Ça me fait peur, Gatchutcha, de te voiren leur compagnie toujours… Je ne suis pas sans me demander, va,quelle idée tu gardes au fond de ta tête… »

Fixant sur lui le noir profond de ses yeux,elle répondit, un reproche très doux :

« Voyons, c’est toi, qui me parles ainsi,après ce que nous avons dit ensemble dimanche soir !… Si jevenais à te perdre, oui, alors, peut-être…, pour sûr, même !…Mais jusque-là, oh ! non…, oh ! sois bien tranquille, monRamuntcho… »

Il soutint longuement son regard, qui peu àpeu ramenait en lui toute la confiance délicieuse, et il finit parsourire d’un sourire d’enfant :

« Pardonne-moi, demanda-t-il… Je dis desbêtises très souvent, tu sais !…

– Ça, par exemple, c’estvrai ! »

Alors, on entendit sonner leurs deux rires,qui, en des intonations différentes, avaient la même fraîcheur etla même jeunesse. Ramuntcho, d’un geste de brusquerie et de grâcequi lui était familier, changea sa veste d’épaule, tira son béretde côté, et, sans autre adieu qu’un petit signe de tête, ils seséparèrent, parce que Dolorès arrivait là-bas au bout duchemin.

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