Ramuntcho

XXI

La cloche d’Etchézar, la même chère vieillecloche, celle des tranquilles couvre-feu, celle des fêtes et celledes agonies, sonnait joyeusement, au beau soleil de juin. Levillage était tendu partout de draps blancs, de broderies blanches,et la procession de la Fête-Dieu défilait très lente, sur une vertejonchée de fenouils et de roseaux coupés dans les marais d’enbas.

Les montagnes paraissaient proches et sombres,un peu farouches avec leurs tons bruns et leurs tons fauves,au-dessus de cette blanche théorie de petites filles cheminant surun tapis de feuilles et d’herbes fauchées.

Toutes les vieilles bannières de l’égliseétaient là, éclairées par ce soleil qu’elles connaissent depuis dessiècles, mais qu’elles ne voient qu’une ou deux fois l’an, auxjours consacrés.

La grande, celle de la Vierge, en soie blanchebrodée d’or éteint, s’avançait portée par Gracieuse, qui marchaittout de blanc vêtue et les yeux perdus en plein rêve mystique.Derrière les jeunes filles, venaient les femmes, toutes les femmesdu village, coiffées d’un voile noir, y compris Dolorès etFranchita, les deux ennemies. Des hommes, assez nombreux encore,fermaient ce cortège, le cierge à la main, le béret bas, – maisc’étaient surtout des chevelures grises, des visages auxexpressions vaincues et résignées, des têtes de vieillards.

Gracieuse, en tenant haut la bannière de laVierge, devenait à cette heure une petite illuminée ; elle secroyait en marche, comme après la mort, vers les célestestabernacles. Et quand, par instants, le souvenir des lèvres deRaymond traversait son rêve, elle avait l’impression, au milieu detout ce blanc, d’une souillure cuisante, bien que délicieuse.Vraiment, à mesure que ses pensées de jour en jour s’élevaient, cequi la ramenait sans cesse vers lui, c’était moins les sens,susceptibles chez elle d’être domptés, que de plus en plus latendresse, la vraie, la profonde, celle qui résiste au temps et auxdéceptions de la chair. Et cette tendresse-là, d’ailleurs,s’augmentait encore de ce que Raymond était moins fortunéqu’elle-même et plus abandonné dans la vie, n’ayant pas eu depère…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer