Ramuntcho

V

« Et qui as-tu vu au village, monfils ? » interrogeait-elle, le lendemain matin, pendantce mieux qui revenait chaque fois, aux premières heures du jour,après la fièvre tombée. » Et qui as-tu vu au village, monfils ?… »

En causant, elle s’efforçait de garder un airun peu enjoué, de dire des choses quelconques, dans la frayeurd’aborder les sujets graves et de provoquer d’inquiétantesréponses.

« J’ai vu Arrochkoa, ma mère »,répondit-il d’un ton qui ramenait subitement aux questionsbrûlantes.

« Arrochkoa !… Et comment s’est-ilcomporté avec toi ?

– Oh ! il m’a parlé comme si j’avais étéson frère…

– Oui, je sais, je sais… Oh ! ce n’estpas lui, va, qui l’y a poussée…

– Même, il m’a dit… »

Il n’osait plus continuer, à présent, et ilbaissait la tête.

« Il t’a dit quoi donc, monfils ?

– Eh bien, que…, que ç’avait été dur del’enfermer là…, que peut-être…, que, même encore maintenant, sielle me revoyait, il ne serait pas éloigné de croire… »

Elle se redressa sous la commotion de cequ’elle venait d’entrevoir ; avec ses mains maigres, elleécartait ses cheveux nouvellement blanchis, et ses yeux étaientredevenus jeunes et vifs, dans une expression presque mauvaise, dejoie, d’orgueil vengé :

« Il t’a dit cela, lui !…

– Est-ce que vous me pardonneriez, ma mère…,si j’essayais ? »

Elle lui prit les deux mains et ils restèrentsilencieux, n’ayant osé ni l’un ni l’autre, avec leurs scrupules decatholiques, proférer la chose sacrilège qui fermentait dans leurstêtes. Au fond de ses yeux, à elle, l’éclair mauvais achevait des’éteindre.

« Te pardonner, reprit-elle à voix trèsbasse, oh ! moi…, moi, tu sais bien que oui… Mais ne fais pascela, mon fils, je t’en supplie, ne le fais pas ; ce seraitvous porter malheur à tous deux, vois-tu !… N’y songe plus,mon Ramuntcho, n’y songe jamais… »

Puis, ils se turent, entendant les pas dumédecin qui montait pour sa visite quotidienne. Et ce fut la seule,la suprême fois qu’ils devaient en parler ensemble dans la vie.

Mais Raymond savait maintenant que, même aprèsla mort, elle ne le maudirait pas pour avoir tenté cela ou pourl’avoir commis : or, ce pardon lui suffisait, et, maintenantqu’il se sentait sûr de l’obtenir, la plus grande barrière, entresa fiancée et lui, était comme tombée tout à coup.

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