Ramuntcho

VI

Il s’agit d’une grande partie de paume pourdimanche prochain, à l’occasion de la Saint-Damase, au bourgd’Hasparitz.

Arrochkoa et Ramuntcho, compagnons decontinuelles courses à travers le pays d’alentour, cheminent lejour entier, dans la petite voiture des Detcharry, pour organisercette partie-là, qui représente à leurs yeux un événementconsidérable.

D’abord, ils ont été consulter Marcos, l’undes Iragola. Au coin d’un bois, devant la porte de sa maison verdieà l’ombre, ils l’ont trouvé assis sur une souche de châtaignier,toujours grave et sculptural, les yeux inspirés et le geste noble,en train de faire manger la soupe à un tout petit frère encore dansses maillots.

« C’est le petit onzième,celui-là ? » ont-ils demandé en riant.

« Ah ! ouai !… » a répondule grand aîné, il court déjà comme un lapin dans la bruyère, leonzième de nous ! C’est le numéro douze, celui-ci !…,vous savez bien, le petit Jean-Baptiste, le petit nouveau qui, jele pense, ne sera pas le dernier.

Et puis, baissant la tête pour ne pas seheurter aux branches ils ont traversé les bois, les futaies dechênes sous lesquelles s’étend à l’infini la dentelle rousse desfougères.

Et ils ont traversé plusieurs villages aussi,– villages basques, groupés tous autour de ces deux choses qui ensont le cœur et qui en symbolisent la vie : l’église et le jeude paume. Çà et là, ils ont frappé à des portes de maisons isolées,maisons hautes et grandes, soigneusement blanchies à la chaux, avecdes auvents verts, et des balcons de bois où sèchent au derniersoleil des chapelets de piments rouges. Longuement ils ontparlementé, en leur langage si fermé aux étrangers de France, avecles joueurs fameux, les champions attitrés, – ceux dont on a vu lesnoms bizarres sur tous les journaux du Sud-Ouest, sur toutes lesaffiches de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz, et qui, dans la vieordinaire, sont de braves aubergistes de campagne, des forgerons,des contrebandiers, la veste jetée à l’épaule et les manches dechemise retroussées sur des bras de bronze.

Maintenant que tout est réglé et les parolesfermes échangées, il est trop tard pour rentrer cette nuit chez euxà Etchézar, alors, suivant leurs habitudes d’errants, ilschoisissent pour y dormir un village à leur guise, Zitzarry, parexemple, qu’ils ont déjà beaucoup fréquenté pour leurs affaires decontrebande. A la tombée du jour donc, ils tournent bride vers celieu, qui est proche et confine à l’Espagne. C’est toujours par lesmêmes petites routes pyrénéennes, ombreuses et solitaires sous lesvieux chênes qui s’effeuillent, entre des talus richement feutrésde mousse et de fougères rouillées. Et c’est tantôt dans les ravinsoù bruissent les torrents, tantôt sur les hauteurs d’oùapparaissent de tous côtés les grandes cimes assombries.

D’abord, il faisait froid, un vrai froidcinglant le visage et la poitrine. Mais voici que des boufféescommencent à passer, étonnamment chaudes et embaumées de senteursde plantes : le vent de Sud, presque africain, qui se lèveencore une fois, ramenant tout à coup l’illusion de l’été. Et,alors, cela devient pour eux une sensation délicieuse, de fendrel’air si brusquement changé, d’aller vite sous les souffles tièdes,au bruit des grelots de leur cheval qui galope follement dans lesmontées, flairant le gîte du soir.

Zitzarry, un village de contrebandiers, unvillage perdu qui frôle la frontière. Une auberge délabrée et demauvais aspect, où, suivant la coutume, les logis pour les hommesse trouvent directement au-dessus des étables, des écuries noires.Ils sont là des voyageurs très connus, Arrochkoa et Ramuntcho, et,tandis qu’on allume le feu pour eux, ils s’asseyent près d’uneantique fenêtre à meneau, qui a vue sur la place du jeu de paume etl’église ; ils regardent finir la tranquille petite vie de lajournée dans ce lieu si séparé du monde.

Sur cette place solennelle, les enfantss’exercent au jeu national ; graves et ardents, déjà forts,ils lancent leur pelote contre le mur, tandis que, d’une voixchantante et avec l’intonation qu’il faut, l’un d’eux compte etannonce les points, en la mystérieuse langue des ancêtres.Alentour, les hautes maisons, vieilles et blanches, aux mursdéjetés, aux chevrons débordants, contemplent par leurs fenêtresvertes ou rouges ces petits joueurs si lestes qui courent aucrépuscule comme les jeunes chats. Et les chariots à bœufs rentrentdes champs, avec des bruits de sonnailles, ramenant des charges debois, des charges d’ajoncs coupés ou de fougères mortes… Le soirtombe, tombe avec sa paix et son froid triste. Puis, l’angélussonne – et c’est dans tout le village, un tranquille recueillementde prière…

Alors Ramuntcho, silencieux, s’inquiète de sadestinée, se sent comme prisonnier ici, avec toujours ses mêmesaspirations, vers on ne sait quoi d’inconnu, qui le troublent àl’approche des nuits. Et son cœur aussi se serre, de ce qu’il estseul et sans appui au monde, de ce que Gracieuse est d’unecondition différente de la sienne et ne lui sera peut-être jamaisdonnée.

Mais voici qu’Arrochkoa, très fraternel cettefois, dans un de ses bons moments, lui frappe sur l’épaule commes’il avait compris sa rêverie et lui dit d’un ton de gaietélégère :

« Eh bien ! il paraît que vous avezcausé ensemble, hier au soir, la sœur et toi – c’est elle qui mel’a appris, – et que vous êtes joliment d’accord tousdeux !… »

Ramuntcho lève vers lui un long regardd’interrogation anxieuse et grave, qui contraste avec ce début deleur causerie :

« Et qu’est-ce que tu penses, toi,demande-t-il, de ce que nous avons dit tous deux ?

– Oh ! moi, mon ami, répond Arrochkoadevenu plus sérieux lui aussi, moi, parole d’honneur, ça me va trèsbien !… Même, comme je prévois que ce sera dur avec la mère,si vous avez besoin d’un coup de main, je suis prêt à vous ledonner, voilà !… »

Et la tristesse de Raymond est dissipée commeun peu de poussière sur laquelle on a soufflé. Il trouve le souperdélicieux, l’auberge gaie. Il se sent bien plus le fiancé deGracieuse, à présent que quelqu’un est dans la confidence, etquelqu’un de la famille qui ne le repousse pas. Il avait crupressentir qu’Arrochkoa ne lui serait pas hostile, mais ce concourssi nettement offert dépasse de beaucoup ses espoirs. – Pauvre petitabandonné, si conscient de l’humilité de sa situation, que l’appuid’un autre enfant, un peu mieux établi dans la vie, suffit à luirendre courage et confiance !…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer