Ramuntcho

VI

Le soir, au redoublement de la fièvre, ellesemblait déjà beaucoup plus dangereusement atteinte.

Sur son corps robuste, la maladie avait euprise avec violence, – la maladie reconnue trop tard, etinsuffisamment soignée à cause de ses entêtements de paysanne, àcause de son dédain incrédule pour les médecins et les remèdes.

Et peu à peu, chez Ramuntcho, l’affreusepensée de la perdre s’installait à une place dominante ;pendant les heures de veille qu’il passait près de son lit,silencieux et seul, il commençait à envisager la réalité de cetteséparation, l’horreur de cette mort et de cet ensevelissement, –même tous les lugubres lendemains, tous les aspects de sa vieprochaine : la maison qu’il faudrait vendre avant de quitterle pays ; ensuite, peut-être, la tentative désespérée aucouvent d’Amezqueta ; puis le départ, probablement solitaireet sans désir de retour, pour les Amériques inconnues…

L’idée aussi du grand secret qu’elleemporterait avec elle à jamais, – du secret sur sa naissance, –l’obsédait davantage d’heure en heure.

Alors, se penchant sur elle et, touttremblant, comme s’il allait commettre une impiété dans une église,il finit par oser dire :

« Ma mère !… Ma mère, apprenez-moimaintenant qui est mon père ! »

Elle frémit d’abord sous la suprême question,comprenant bien que, s’il osait l’interroger ainsi, c’est qu’elleétait perdue. Puis, elle hésita une minute dans sa tête, bouillantede fièvre, un combat se livrait ; son devoir, elle ne lediscernait plus bien ; son obstination de tant d’annéeschancelait presque à cette heure, devant la soudaine apparition dela mort…

Mais, résolue enfin à tout jamais, ellerépondit bientôt, avec le ton brusque des mauvais jours :

« Ton père !… Et à quoi bon, monfils ?… Que lui veux-tu, à ton père, qui depuis plus de vingtans n’a jamais pensé à toi ?… »

Non, c’était décidé, fini, elle ne le diraitpas. D’ailleurs, il était trop tard à présent ; au moment dedisparaître, d’entrer dans l’inerte impuissance des morts, commentrisquer de changer si complètement la vie de ce fils qu’elle nesurveillerait plus, comment le livrer à son père qui peut-être enferait un incroyant et un désespéré comme lui-même ! Quelleresponsabilité et quel immense effroi !…

Ensuite, sa décision irrévocablement prise,elle songea à elle-même, sentant pour la première fois que la viese fermait derrière elle, et joignit les mains pour une sombreprière.

Quant à Ramuntcho, après cette tentative poursavoir, après ce grand effort qui lui avait presque sembléprofanateur, il courba la tête devant la volonté de sa mère etn’interrogea plus.

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