Ramuntcho

XI

On est cette fois dans la cidrerie du hameaude Gastelugaïn, près de la frontière, attendant le moment de sortiravec des caisses de bijouterie et d’armes.

Et c’est Itchoua qui parle :

« Si elle hésite, vois-tu…, et ellen’hésitera pas, sois-en sûr…, mais enfin, si elle hésite, ehbien ! nous l’enlèverons… Laisse-moi mener ça, mon plan estfait. Ce sera le soir, tu m’entends bien ?… Nous la conduironsn’importe où pour l’enfermer dans une chambre avec toi… Parexemple, si ça tourne mal…, enfin, supposons que je sois dansl’obligation de quitter le pays, moi, après avoir fait ce coup pourton plaisir ; alors, il faudra bien me donner plus d’argentque ça, tu comprends… Au moins, que je puisse aller chercher monpain en Espagne…

– En Espagne !… Quoi ? Alors,comment comptez-vous donc vous y prendre, Itchoua ? Vousn’avez pas dans la tête de faire des choses trop graves, aumoins ?

– Oh ! là, n’aie pas peur, mon ami, jen’ai l’envie d’assassiner personne.

– Dame ! vous parlez de vous sauver…

– Eh ! mon Dieu, j’ai dit ça comme autrechose, tu sais. D’abord, elles ne vont plus, les affaires, depuisquelque temps. Et puis, admettons que ça tourne mal, comme je tedisais, et que la police fasse une enquête. Eh bien !j’aimerais mieux partir, c’est sûr…, car ces messieurs de laJustice, quand une fois leur nez s’est fourré chez vous, ils vontchercher tout ce qui s’est passé dans les temps, et ça n’en finitplus… »

Au fond de ses yeux, expressifs tout à coup,avaient paru le crime et la peur. Et Ramuntcho regardait avec unsurcroît d’inquiétude cet homme, que l’on croyait solidement établidans le pays, avec du bien au soleil, et qui acceptait sifacilement l’idée de s’enfuir. Quel bandit était-il donc aussi,pour tant redouter la Justice ?… Et quelles pouvaient être ceschoses, qui s’étaient passées « dans les temps ?… »Après un silence entre eux, il reprit plus bas, en méfianceextrême :

« D’ailleurs, l’enfermer… Vous dites çasérieusement, Itchoua ?… Et où donc l’enfermerais-je, s’ilvous plaît ? Je n’ai pas de château, moi, ni d’oubliettes,pour la garder cachée… »

Alors Itchoua, avec un sourire de faune qu’onne lui connaissait pas, en lui frappant sur l’épaule :

« Oh ! l’enfermer…, pour une nuitseulement, mon petit !… Ça suffira, tu peux m’en croire… Ellessont toutes les mêmes, vois-tu : le premier pas leurcoûte ; mais le second, elles le font toutes seules et plusvite qu’on ne pense. Est-ce que tu t’imagines qu’elle voudrarentrer chez les bonnes sœurs, quand une fois elle en auragoûté ?… »

L’envie de souffleter ce morne visage passa ensecousse électrique dans le bras et la main de Ramuntcho. Il secontint cependant par une longue habitude de respect pour le vieuxchantre des liturgies et demeura silencieux, le sang aux joues, leregard détourné. Il était révolté d’entendre quelqu’un parler ainsid’elle – et si surpris, du reste, que ce fût cet homme,qui lui semblait fermé aux choses d’amour, cet Itchoua, qu’il avaitde tout temps connu l’époux tranquille d’une femme laide etvieille. Mais le coup porté par l’impertinente phrase suivait quandmême dans son imagination un chemin dangereux et imprévu…Gracieuse, « enfermée dans une chambre avec lui ! »La possibilité immédiate de cela, si nettement présentée d’un motrude et grossier, faisait tourner sa tête comme une liqueur trèsviolente.

Il l’aimait d’une trop haute tendresse, safiancée, pour se complaire aux espérances brutales. D’ordinaire, ilécartait plutôt de son esprit ces images ; mais maintenant cethomme venait de les lui mettre sous les yeux, avec une cruditédiabolique, et il sentait les frissons de cela courir dans sachair ; voici qu’il tremblait comme s’il eût fait grandfroid…

Oh ! que l’aventure tombât ou non sous lecoup de la Justice, eh bien, tant pis, après tout ! Il n’avaitplus rien à perdre, n’est-ce pas ? tout lui était égal !Et à partir de cette soirée, dans la fièvre d’un désir nouveau, ilse sentit décidé plus témérairement à braver les règles, les lois,les entraves quelconques de ce monde. D’ailleurs, des sèvesmontaient partout autour de lui, sur le flanc des Pyrénéesbrunes ; il y avait des soirs plus longs et plus tièdes ;les sentiers se bordaient de violettes et de pervenches…

Mais les scrupules religieux, voilà, c’étaittout ce qui le tenait encore. Cela demeurait toujours,inexplicablement, au fond de son âme en déroute : instinctivehorreur des profanations ; croyance quand même à quelque chosede surnaturel enveloppant, pour les défendre, les églises et lescloîtres…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer