Ramuntcho

XII

Le logis de Raymond était, dans la maison desa mère et juste au-dessus de l’étable, une chambre très nettementbadigeonnée à la chaux ; il avait là son lit, toujours propreet blanc, mais où la contrebande lui laissait maintenant peud’heures pour dormir. Des livres de voyages ou de cosmographie, quelui prêtait le curé de sa paroisse, posaient sur sa table, –inattendus dans cette demeure. Les portraits encadrés de différentssaints ornaient les murailles, et plusieurs gants de joueur depelote pendaient aux poutres du plafond, – de ces longs gantsd’osier et de cuir, qui semblent plutôt des engins de chasse ou depêche.

Franchita, à son retour au pays, avait rachetécette maison, qui était celle de ses parents défunts, avec unepartie de la somme donnée par l’étranger à la naissance de sonfils. Elle avait placé le reste ; puis elle travaillait àfaire des robes ou à repasser du linge pour les personnesd’Etchézar, et louait, à des fermiers d’une terre environnante,deux chambres d’en bas, avec l’étable où ceux-ci mettaient leursvaches et leurs brebis.

Différentes petites musiques familièresberçaient Ramuntcho dans son lit. D’abord, le bruit constant d’untorrent très proche ; puis, des chants de rossignolsquelquefois, des aubades de divers oiseaux. Et, à ce printempssurtout, les vaches, ses voisines d’en bas, excitées sans doute parla senteur du foin frais, se remuaient toute la nuit, s’agitaienten rêve, avec de continuels tintements de leurs clochettes.

Souvent, après les longues expéditionsnocturnes, il rattrapait son sommeil pendant l’après-midi, étendu àl’ombre dans quelque coin de mousse et d’herbes. D’ailleurs, commeles autres contrebandiers, il n’était guère matinal pour un garçonde village, et s’éveillait des fois bien après le lever du jour,quand déjà, entre les bois mal joints de son plancher, des raisd’une lumière vive et gaie arrivaient de l’étable d’en dessous, –dont la porte restait toujours grande ouverte au levant après ledépart des bêtes pour les pâturages. Alors, il allait à sa fenêtre,poussait le vieux petit auvent en bois de châtaignier massif peintd’un ton olive, et s’accoudait sur l’appui de la muraille épaissepour regarder les nuages ou le soleil du matin nouveau.

Ce qu’il voyait là, aux entours de sa maison,était vert, vert, magnifiquement vert, comme le sont au printempstous les recoins de ce pays d’ombre et de pluie. Les fougères, quiprennent à l’automne une si chaude couleur de rouille, étaientmaintenant, à cet avril, dans l’éclat de leur plus verte fraîcheuret couvraient le flanc des montagnes comme d’un immense tapis dehaute laine frisée, où des fleurs de digitale faisaient partout destaches roses. En bas, dans un ravin, le torrent bruissait sous desbranches. En haut, des bouquets de chênes et de hêtress’accrochaient sur les pentes, alternant avec des prairies ;puis, au-dessus de ce tranquille Eden, vers le ciel, montait lagrande cime dénudée de la Gizune, souveraine ici de la région desnuages. Et on apercevait aussi, un peu en recul, l’église et lesmaisons, – ce village d’Etchézar, solitaire et haut perché sur l’undes contreforts pyrénéens, loin de tout, loin des lignes decommunication qui ont bouleversé et perdu le bas pays desplages ; à l’abri des curiosités, des profanations étrangères,et vivant encore de sa vie basque d’autre fois.

Les réveils de Ramuntcho s’imprégnaient, àcette fenêtre, de paix et d’humble sérénité. D’ailleurs, ilsétalent pleins de joie, ses réveils de fiancé, depuis qu’il avaitl’assurance de retrouver le soir Gracieuse au rendez-vous promis.Les vagues inquiétudes, les tristesses indéfinies, quiaccompagnaient en lui jadis le retour quotidien des pensées,avaient fui pour un temps, chassées par le souvenir et l’attente deces rendez-vous-là ; sa vie en était toute changée ;sitôt que ses yeux se rouvraient, il avait l’impression d’unmystère et d’un enchantement immense, l’enveloppant au milieu deces verdures et de ces fleurs d’avril. Et cette paix printanière,ainsi revue chaque matin, lui semblait toutes les fois une chosenouvelle, très différente de ce qu’elle avait été les autresannées, infiniment douce à son cœur et voluptueuse à sa chair,ayant des dessous insondables et ravissants…

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