Ramuntcho

X

L’hiver, le vrai hiver s’étendit par degréssur le pays basque, après ces quelques jours de gelée qui étaientvenus anéantir les plantes annuelles, changer l’aspect trompeur descampagnes, préparer le suivant renouveau.

Et Ramuntcho prit tout doucement ses habitudesd’abandonné ; dans sa maison, qu’il habitait encore, sanspersonne pour le servir, il s’arrangeait seul, comme aux coloniesou à la caserne, connaissant les mille petits détails d’entretienque pratiquent les soldats soigneux. Il conservait l’orgueil de satenue extérieure, s’habillait proprement et bien, le ruban desbraves à la boutonnière, la manche toujours entourée d’un largecrêpe.

D’abord il était peu assidu aux cidreries devillage, où les hommes s’assemblent par les froides soirées. En cestrois ans de voyages, de lectures, de causeries avec les uns et lesautres, trop d’idées nouvelles avaient pénétré dans son esprit déjàouvert ; parmi ses compagnons d’autrefois, il se sentait plusdéclassé qu’avant, plus détaché des mille petites choses dont leurvie était composée.

Peu à peu cependant, à force d’être seul, àforce de passer devant ces salles de buveurs, – sur les vitresdesquelles toujours quelque lampe dessine les ombres des béretsattablés, – il avait fini par se faire une coutume d’entrer, et des’asseoir, lui aussi.

C’était la saison où les villages pyrénéens,débarrassés des promeneurs que les étés y amènent, enfermés par lesnuées, les brumes ou les neiges, se retrouvent davantage telsqu’aux anciens temps. Dans ces cidreries – seuls petits pointséclairés, vivants, au milieu de l’immense obscurité vide descampagnes – un peu de l’Esprit d’autrefois se ranime encore, auxveillées d’hiver. En avant des grands tonneaux de cidre rangés dansles fonds où il fait noir, la lampe, suspendue aux solives, jettesa lumière sur les images de saints qui décorent les murailles, surles groupes de montagnards qui causent et qui fument. Parfoisquelqu’un chante une complainte venue de la nuit des siècles ;un battement de tambourin fait revivre de vieux rythmesoubliés ; un raclement de guitare réveille une tristesse del’époque des Maures… Ou bien, l’un devant l’autre, deux hommes,castagnettes en mains, tout à coup dansent le fandango, en sebalançant avec une grâce antique.

Et, de ces innocents petits cabarets, l’on seretire de bonne heure, – surtout par ces mauvaises nuits pluvieusesdont les ténèbres sont si particulièrement propices à lacontrebande, chacun ici ayant quelque chose de clandestin à fairelà-bas, du côté de l’Espagne.

Dans de tels lieux, en compagnie d’Arrochkoa,Ramuntcho mûrissait et commentait son cher projet sacrilège ;ou bien, – durant les belles nuits de lune qui ne permettent derien tenter à la frontière, – c’était sur les routes, où tous deux,par habitude de noctambules, faisaient longuement les cent pasensemble.

De persistants scrupules religieuxl’arrêtaient encore beaucoup, sans qu’il s’en rendît compte, desscrupules qui pourtant ne s’expliquaient plus, puisqu’il avaitcessé de croire. Mais toute sa volonté, toute son audace, toute savie se concentraient et tendaient, de plus en plus, vers ce butunique.

Et la défense, faite par Itchoua, de revoirGracieuse avant la grande tentative, exaspérait son impatientrêve.

L’hiver, capricieux comme toujours dans cepays, suivait sa marche inégale, avec, de temps en temps, dessurprises de soleil et de chaleur. C’étaient des pluies de déluge,de grandes bourrasques saines qui montaient de la mer de Biscaye,s’engouffraient dans les vallées, courbant les arbres furieusement.Et puis, des reprises de vent de Sud, des souffles chauds comme enété, des brises qui sentaient l’Afrique, sous un ciel à la foishaut et sombre, entre des montagnes d’une intense couleur brune. Etaussi, quelques matins glacés, où l’on voyait, en s’éveillant, lescimes devenues neigeuses et blanches.

L’envie le prenait souvent de tout brusquer…Mais il y avait cette affreuse crainte de ne pas réussir, et deretomber alors sur soi-même, seul à jamais, n’ayant plus d’espoirdans la vie.

D’ailleurs, les prétextes raisonnables pourattendre ne manquaient pas. Il fallait bien en avoir fini avec leshommes d’affaires, avoir réglé la vente de la maison et réalisé,pour la fuite, tout l’argent possible. Il fallait aussi connaîtrela réponse de l’oncle Ignacio, auquel il avait annoncé sonémigration prochaine et chez qui, en arrivant là-bas, il espéraitencore trouver un asile.

Ainsi les jours passaient et bientôt allaitfermenter le hâtif printemps. Déjà les primevères jaunes et lesgentianes bleues, en avance ici de plusieurs semaines,fleurissaient dans les bois et le long des chemins, aux dernierssoleils de janvier…

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