XXVI
Le jour du départ. Des adieux à des amis, çàet là ; des souhaits joyeux d’anciens soldats revenus durégiment. Depuis le matin, une sorte de griserie ou de fièvre, et,en avant de lui, tout l’imprévu de la vie.
Arrochkoa, très gentil ce dernier jour,s’était offert avec instances pour le conduire avec sa voiture àSaint-Jean-de-Luz et avait combiné qu’on partirait au déclin dusoleil, de façon à arriver là-bas juste au passage du train denuit.
Donc, le soir étant inexorablement arrivé,Franchita voulut accompagner son fils sur la place, où cettevoiture des Detcharry l’attendait toute prête, et là son visage,malgré sa volonté, se contracta de douleur, tandis que lui seraidissait pour conserver cet air crâne qui sied aux conscrits enpartance pour le régiment :
« Faites-moi une petite place,Arrochkoa », dit-elle brusquement, « je vais monter entrevous deux jusqu’à la chapelle de Saint-Bitchentcho ; je m’enreviendrai à pied… »
Et ils partirent au soleil baissant qui, sureux comme sur toutes choses, épandait la magnificence de ses ors etde ses cuivres rouges…
Après un bois de chênes, la chapelle deSaint-Bitchentcho passa, et la mère voulut rester encore. D’untournant à un autre, remettant chaque fois la grande séparation,elle demandait à le conduire toujours plus loin.
« Allons, ma mère, en haut de la côted’Issaritz il faudra descendre ! dit-il tendrement. Tum’entends, Arrochkoa, tu arrêteras ta voiture où je viens dedire ; je ne veux pas qu’elle aille plus loin, mamère… »
A cette côte d’Issaritz, le cheval avait delui-même ralenti son allure. La mère et le fils, les yeux brûlés delarmes retenues, restaient la main dans la main, et on allaitdoucement, doucement, en un silence absolu, comme si c’était unemontée solennelle vers quelque calvaire.
Enfin, tout en haut de la côte, Arrochkoa, quisemblait muet, lui aussi, tira légèrement sur les guides, avec unsimple petit : « Ho !…, là !… » discretcomme un signal lugubre qu’on hésite à donner, – et la voiture futarrêtée.
Alors, sans rien dire, Raymond sauta sur laroute, fit descendre sa mère, lui donna un grand baiser très long,puis remonta lestement sur le siège :
« Va, Arrochkoa, vite, enlève ton cheval,partons ! »
Et en deux secondes, à la descente rapided’après, il perdit de vue celle dont le visage enfin s’inondait delarmes.
Maintenant ils s’éloignaient l’un de l’autre,Franchita et son fils. En sens inverse, ils cheminaient sur cetteroute d’Etchézar, – à la splendeur du soleil couchant, dans unerégion de bruyères roses et de fougères jaunies. Elleremontait : lentement vers son logis, rencontrant quelquesgroupes isolés de laboureurs, quelques troupeaux menés travers lesoir d’or par de petits pâtres en bérets. – Et lui descendaittoujours, et très vite, par des vallées bientôt obscures, vers lebas pays où le chemin de fer passe…