Joseph Balsamo – Tome III (Les Mémoires d’un médecin)

Chapitre 26La portière de Marat

La porte s’ouvrit et donna passage à dame Grivette.

Cette femme, que nous n’avons pas pris le temps d’esquisser
parce que sa figure était de celles que le peintre relègue au dernier plan tant
qu’il n’a pas besoin d’elles ; cette femme s’avance maintenant dans le
tableau mouvant de cette histoire, et demande à prendre sa place dans l’immense
panorama que nous avons entrepris de dérouler aux yeux de nos lecteurs ;
panorama dans lequel nous encadrerions, si notre génie égalait notre volonté, depuis
le mendiant jusqu’au roi, depuis Caliban jusqu’à Ariel, depuis Ariel jusqu’à
Dieu.

Nous allons donc essayer de crayonner dame Grivette, qui se
détache de son ombre et qui s’avance vers nous.

C’était une longue et sèche créature de trente-deux à
trente-trois ans, jaune de couleur, avec des yeux bleus bordés de noir, type
effrayant du dépérissement que subissent à la ville, dans des conditions de
misère, d’asphyxie incessante et de dégradation physique et morale,ces
créatures que Dieu a faites belles, et qui fussent devenues magnifiques dans
leur entier développement, comme le sont en ce cas-là toutes les créatures de l’air,
du ciel et de la terre, quand l’homme n’a pas fait de leur vie un long supplice,
c’est-à-dire lorsqu’il n’a pas fatigué leur pied avec l’entrave et leur estomac
avec la faim, ou avec une nourriture presque aussi fatale que pourrait l’être l’absence
de toute nourriture.

Ainsi la portière de Marat eût été une belle femme, si, depuis
l’âge de quinze ans, elle n’eût habité un taudis sans air et sans jour, si le
feu de ses instincts naturels, alimenté par cette chaleur de four,ou par un
froid de glace, eût sans cesse brûlé avec mesure. Elle avait des mains longues
et maigres, que le fil de la couturière avait sillonnées de petites coupures, que
l’eau savonneuse de la buanderie avait crevassées et amollies, que la braise de
la cuisine avait rôties et tannées ; mais, malgré tout cela,des mains, on
le voyait à la forme, c’est-à-dire à cette trace indélébile du muscle divin ;
des mains qu’on eût appelées des mains royales, si, au lieu des ampoules du
balai, elles eussent eu celles du sceptre.

Tant il est vrai que ce pauvre corps humain n’est que l’enseigne
de notre profession.

Dans cette femme, l’esprit, supérieur au corps, et qui, par
conséquent, avait mieux résisté que lui, l’esprit veillait comme une lampe ;
il éclairait, pour ainsi dire, le corps par un reflet diaphane, et parfois on
voyait monter à des yeux hébétés et ternis un rayon de l’intelligence, de la
beauté, de la jeunesse, de l’amour, de tout ce qu’il y a d’exquis enfin dans la
nature humaine.

Balsamo regarda longtemps cette femme, ou plutôt cette nature
singulière, qui, au reste, avait dès la première vue frappé son œil
observateur.

La portière entra donc tenant la lettre à la main, et, d’une
voix doucereuse, d’une voix de vieille femme, car les femmes condamnées à la
misère sont vieilles à trente ans :

– Monsieur Marat, dit-elle, voici la lettre que vous avez demandée.

– Ce n’est pas la lettre que je désirais avoir, c’est vous
que je voulais voir, dit Marat.

– Eh bien, votre servante, monsieur Marat, me voici.

Dame Grivette fit une révérence.

– Que désirez-vous ?

– Je désire savoir des nouvelles de ma montre, dit Marat ;
vous vous en doutez bien.

– Ah ! dame ! ça, je ne peux pas dire ce qu’elle
est devenue. Je l’ai vue hier toute la journée, pendue à son clou,à la cheminée.

– Vous vous trompez : toute la journée, elle a été dans
mon gousset ; seulement, à six heures du soir, comme je sortais, comme j’allais
au milieu d’une grande foule, comme je craignais qu’on me la volât,je l’ai
mise sous le chandelier.

– Si vous l’avez mise sous le chandelier, elle doit y être encore.

Et la portière, avec une bonhomie feinte qu’elle ne se doutait
pas être si puissamment révélatrice, alla lever justement, des deux chandeliers
qui ornaient la cheminée, celui sous lequel Marat avait caché sa montre.

– Oui, voilà bien le chandelier, dit le jeune homme ;
mais la montre ?

– Non, en vérité, elle n’y est plus. Est-ce que vous ne l’aviez
pas mise là, monsieur Marat ?

– Mais, lorsque je vous dis…

– Cherchez bien.

– Oh ! j’ai cherché, dit Marat avec un regard
courroucé.

– Vous l’aurez perdue, alors.

– Mais je vous dis qu’hier, moi-même, je l’ai mise là, sous
ce chandelier.

– Quelqu’un alors sera entré ici, dit dame Grivette ;
vous recevez tant de gens, tant d’inconnus !

– Prétexte ! prétexte ! s’écria Marat s’emportant
de plus en plus ; vous savez bien que personne n’est entré depuis hier.
Non, non, ma montre a pris le chemin qu’a pris la pomme d’argent de ma dernière
canne, qu’a pris cette petite cuiller d’argent que vous savez, qu’a pris mon
couteau à six lames ! On me vole, dame Grivette, on me vole.J’ai supporté
bien des choses, mais je ne supporterai pas celle-là ;prenez-y garde !

– Mais, monsieur, dit dame Grivette, est-ce que vous m’accusez,
par hasard ?

– Vous devez surveiller mes effets.

– Je n’ai pas seule la clef.

– Vous êtes la portière.

– Vous me donnez un écu par mois, et vous voudriez être
servi comme par dix domestiques.

– Il m’importe peu d’être mal servi ; il m’importe fort
de n’être pas volé.

– Monsieur, je suis une honnête femme !

– Une honnête femme que je livrerai au commissaire de police,
si, d’ici à une heure, ma montre n’est pas retrouvée.

– Au commissaire de police ?

– Oui.

– Au commissaire de police, une honnête femme comme moi ?

– Une honnête femme, une honnête femme !…

– Oui, et sur laquelle il n’y a rien à dire,entendez-vous !

– Allons, assez, dame Grivette.

– Ah ! je me doutais déjà que vous me soupçonniez quand
vous êtes sorti.

– Je vous soupçonne depuis la disparition du pommeau de ma
canne.

– Eh bien, moi, je vous dirai une chose, monsieur Marat, à
mon tour.

– Laquelle ?

– C’est que, pendant votre absence, j’ai consulté…

– Qui cela ?

– Mes voisins.

– À quel propos ?

– À ce propos que vous me soupçonniez.

– Je ne vous en avais rien dit encore.

– Je le voyais bien.

– Et les voisins ? Je suis curieux de savoir ce qu’ils
vous ont dit, les voisins.

– Ils ont dit que, si vous me soupçonniez et que si vous
aviez le malheur de faire part de vos soupçons à quelqu’un, il faudrait aller
jusqu’au bout.

– Eh bien ?

– C’est-à-dire prouver que la montre a été prise.

– Elle a été prise, puisqu’elle était là et qu’elle n’y est
plus.

– Oui, mais par moi, prise par moi, entendez-vous !Ah !
mais, c’est que, devant la justice, il faut des preuves ;c’est qu’on ne
vous croira pas sur parole, monsieur Marat ; c’est que vous n’êtes pas
plus que nous, monsieur Marat.

Balsamo, calme comme toujours, regardait toute cette scène ;
il voyait que, quoique la conviction de Marat n’eût point changé,il baissait
le ton.

– Si bien, continuait la portière, que, si vous ne rendez
pas justice à ma probité, voyez-vous, que, si vous ne me faites pas réparation,
c’est moi qui irai chercher le commissaire de police, comme notre propriétaire
me le conseillait encore tout à l’heure.

Marat se mordit les lèvres. Il savait qu’il y avait là un
danger réel. Le propriétaire était un vieux marchand retiré riche des affaires.
Il occupait l’appartement du troisième, et la chronique scandaleuse du quartier
prétendait que, quelque dix ans auparavant, il avait fort protégé la portière, autrefois
fille de cuisine chez sa femme.

Or, Marat, ayant des fréquentations mystérieuses ;
Marat, jeune homme assez peu rangé ; Marat, un peu caché ; Marat, un
peu suspect aux gens de la police, ne se souciait pas d’une affaire avec le
commissaire, affaire qui l’eût mis entre les mains de M. deSartine, lequel
aimait fort à lire les papiers des jeunes gens comme Marat, et à envoyer les
auteurs de ces beaux écrits dans ces maisons de méditation qu’on appelle
Vincennes, la Bastille, Charenton et Bicêtre.

Marat baissa donc le ton ; mais, à mesure qu’il le
baissait, la portière haussait le sien. D’accusée, elle s’était faite
accusatrice. Il en résulta que cette femme nerveuse et hystérique s’emporta
comme une flamme qui vient de trouver un courant d’air.

Menaces, jurements, cris, larmes, elle employa tout :
ce fut une véritable tempête.

Alors Balsamo jugea qu’il était temps d’intervenir ; il
fit un pas vers cette femme, debout et menaçante au milieu de la chambre, et, la
regardant avec un sinistre éclat, il lui présenta deux doigts à la poitrine en
prononçant, non pas avec les lèvres, mais avec ses yeux, avec sa pensée, avec
sa volonté tout entière, un mot que Marat ne put entendre.

Aussitôt, dame Grivette se tut, chancela, et, perdant l’équilibre,
elle alla à reculons, les yeux effroyablement dilatés, écrasée sous la
puissance du fluide magnétique, tomber sur le lit, sans prononcer une seule
parole.

Bientôt, ses yeux se fermèrent et s’ouvrirent, mais sans que
cette fois on vît la prunelle ; sa langue remua convulsivement ; le
torse ne bougea point, et, cependant, ses mains tremblèrent comme secouées par
la fièvre.

– Oh ! oh ! dit Marat, comme le blessé de l’hôpital !

– Oui.

– Elle dort donc ?

– Silence ! dit Balsamo.

Puis, s’adressant à Marat :

– Monsieur, dit-il, voici le moment où toutes vos incrédulités
vont cesser, toutes vos hésitations s’évanouir ; ramassez cette lettre que
vous apportait cette femme et qu’elle a laissé échapper lorsqu’elle est tombée.

Marat obéit.

– Eh bien ? demanda-t-il.

– Attendez.

Et, prenant la lettre des mains de Marat :

– Savez-vous de qui vient cette lettre ? demanda Balsamo
la présentant à la somnambule.

– Non, monsieur, répliqua-t-elle.

Balsamo approcha la lettre toute fermée de cette femme.

– Lisez-la pour M. Marat, qui désire savoir ce qu’elle contient.

– Elle ne sait pas, dit Marat.

– Oui ; mais vous savez lire, vous ?

– Sans doute.

– Eh bien, lisez-la, et elle lira de son côté, au fur et a
mesure que les mots se graveront dans votre esprit.

Marat se mit à décacheter la lettre et à la lire, tandis que
dame Grivette, debout et frissonnante sous la volonté toute-puissante de
Balsamo, répétait, au fur et à mesure que Marat les lisait lui-même, les
paroles suivantes :

« Mon cher Hippocrate,

« Apelles vient de faire son premier portrait ; il
l’a vendu cinquante francs ; on mange aujourd’hui ces cinquante francs à
la buvette de la rue Saint Jacques. En es-tu ?

« Il est bien entendu qu’on en boit une partie.

« Ton ami,

L. DAVID »

C’était textuellement ce qui était écrit.

Marat laissa tomber le papier.

– Eh bien, dit Balsamo, vous voyez que dame Grivette a aussi
une âme, et que cette âme veille lorsqu’elle dort.

– Et une âme étrange, dit Marat, une âme qui sait lire quand
le corps ne le sait pas.

– Parce que l’âme sait toute chose, parce que l’âme peut reproduire
par réflexion. Essayez de lui faire lire cette lettre quand elle sera réveillée,
c’est-à-dire quand le corps aura enveloppé l’âme de son ombre, et vous verrez.

Marat restait sans parole ; toute sa philosophie
matérialiste se révoltait en lui, mais ne trouvait pas une réponse.

– Maintenant, continua Balsamo, nous allons passer à ce qui
vous intéresse le plus, c’est-à-dire à ce qu’est devenue votre montre.

– Dame Grivette, dit Balsamo, qui a pris la montre de M.
Marat ?

La somnambule fit un geste de violente dénégation.

– Je ne sais pas, dit-elle.

– Vous le savez parfaitement, insista Balsamo, et vous le direz.

Puis, avec une volonté plus forte encore :

– Qui a pris la montre de M. Marat ? Dites.

– Dame Grivette n’a pas volé la montre de M. Marat. Pourquoi
M. Marat croit-il que c’est dame Grivette qui a volé sa montre ?

– Si ce n’est pas elle qui a volé la montre, dites qui.

– Je l’ignore.

– Vous voyez, dit Marat, la conscience est un refuge impénétrable.

– Eh bien, puisque vous n’avez plus que ce dernier doute,monsieur,
dit Balsamo, vous allez bientôt être convaincu.

Puis, se retournant vers la portière :

– Dites qui, je le veux !

– Allons, allons, dit Marat, n’exigez pas l’impossible.

– Vous avez entendu, dit Balsamo ; j’ai dit que je
voulais.

Alors, sous l’expression de cette impérieuse volonté, la malheureuse
femme commença, comme une folle, à se tordre les mains et les bras ; un
frémissement pareil à celui de l’épilepsie commença de lui courir par tout le
corps ; sa bouche prit une expression hideuse de terreur et de faiblesse ;
elle se renversa en arrière, se raidit comme dans une convulsion douloureuse, et
tomba sur le lit.

– Non, non ! dit-elle, j’aime mieux mourir !

– Eh bien, s’écria Balsamo avec une colère qui fit jaillir
la flamme de ses yeux, tu mourras s’il le faut, mais tu parleras.Ton silence
et ton obstination seraient pour nous de suffisants indices ;mais, pour
un incrédule, il faut la preuve la plus irréfragable. Parle, je le veux :
qui a pris la montre ?

L’exaspération nerveuse était portée à son comble ;
tout ce que la somnambule avait de force et de pouvoir réagissait contre la
volonté de Balsamo ; des cris inarticulés sortaient de sa bouche, une
écume rougeâtre frangea ses lèvres.

– Elle va tomber en épilepsie, dit Marat.

– Ne craignez rien, c’est le démon du mensonge qui est en
elle et qui ne veut pas sortir.

Puis, se tournant vers la femme en lui jetant à la face tout
ce que sa main pouvait contenir de fluide :

– Parlez, dit-il, parlez ; qui a pris la montre ?

– Dame Grivette, répondit la somnambule d’une voix à peine
intelligible.

– Et quand l’a-t-elle prise ?

– Hier au soir.

– Où était-elle ?

– Sous le chandelier.

– Et qu’en a-t-elle fait ?

– Elle l’a portée rue Saint-Jacques.

– Et à quel endroit de la rue Saint-Jacques ?

– Au n° 29.

– À quel étage ?

– Au cinquième.

– Chez qui ?

– Chez un garçon cordonnier.

– Comment s’appelle-t-il ?

– Simon.

– Qu’est-ce que cet homme ?

La somnambule se tut.

– Qu’est-ce que cet homme ? répéta Balsamo.

Même silence.

Balsamo étendit vers elle sa main imprégnée de fluide et la
malheureuse, écrasée par cette attaque terrible, n’eut que la force de murmurer :

– Son amant.

Marat poussa un cri d’étonnement.

– Silence ! dit Balsamo ; laissez la conscience
parler.

Puis, continuant de s’adresser à la femme toute tremblante
et tout inondée de sueur :

– Et qui a conseillé ce vol à dame Grivette ?
demanda-t-il.

– Personne. Elle a soulevé le chandelier par hasard ;
elle a vu la montre, alors le démon l’a tentée.

– Était-ce par besoin ?

– Non, car la montre, elle ne l’a pas vendue.

– Elle l’a donc donnée ?

– Oui.

– À Simon ?

La somnambule fit un effort.

– À Simon.

Puis elle couvrit son visage de ses deux mains et versa un
torrent de larmes.

Balsamo jeta un regard sur Marat, qui, la bouche béante, les
cheveux en désordre, les paupières dilatées, contemplait cet effrayant
spectacle.

– Eh bien, monsieur, dit-il, vous voyez enfin la lutte de l’âme
avec le corps. Voyez-vous la conscience forcée comme dans une redoute qu’elle
croyait inexpugnable ? Voyez-vous enfin que Dieu n’a rien oublié dans ce
monde et que tout est dans tout ? Ne niez donc plus la conscience ;
ne niez donc plus l’âme ; ne niez donc plus l’inconnu, jeune homme !
surtout ne niez pas la foi, qui est le pouvoir suprême ; et,puisque vous
avez de l’ambition, étudiez, monsieur Marat ; parlez peu,pensez beaucoup,
et ne vous laissez plus aller à juger légèrement vos supérieurs.Adieu, vous
avez un champ bien vaste ouvert par mes paroles ; fouillez ce champ qui
renferme des trésors. Adieu. Heureux, bien heureux si vous pouvez vaincre le
démon de l’incrédulité qui est en vous, comme j’ai vaincu celui des mensonges
qui est dans cette femme.

Et il partit sur ces mots, qui firent monter aux joues du
jeune homme la rougeur de la honte.

Marat ne songea même point à prendre congé de lui.

Mais, après la première stupeur, il s’aperçut que dame Grivette
dormait toujours.

Ce sommeil lui parut épouvantable. Marat eût préféré avoir
un cadavre sur son lit, dût M. de Sartine interpréter cette mort à sa façon.

Il regarda cette atonie, ces yeux retournés, ces
palpitations, et il eut peur.

Sa peur s’accrut encore quand le cadavre vivant se leva, vint
lui prendre la main et lui dire :

– Venez avec moi, monsieur Marat.

– Où cela ?

– Rue Saint-Jacques.

– Pourquoi ?

– Venez, venez ; il m’ordonne de vous y conduire.

Marat, qui était tombé sur une chaise, se leva.

Alors dame Grivette, toujours endormie, ouvrit la porte,descendit
l’escalier comme eût fait un oiseau ou une chatte, c’est-à-dire en effleurant à
peine les marches.

Marat la suivit, craignant qu’elle ne tombât et qu’en tombant
elle ne se brisât la tête.

Arrivée au bas de l’escalier, elle franchit le seuil de la
porte, traversa la rue, toujours suivie du jeune homme, qu’elle guida ainsi
jusque dans la maison au grenier signalé.

Elle heurta à la porte ; Marat sentait son cœur battre
si violemment, qu’il lui semblait qu’on dût l’entendre.

Un homme était dans le grenier ; il ouvrit : dans
cet homme Marat reconnut un ouvrier de vingt-cinq à trente ans,qu’il avait vu
parfois dans la loge de sa portière.

En apercevant dame Grivette suivie de Marat, il recula.

Mais la somnambule alla droit au lit et, passant sa main
sous le maigre traversin, elle en tira la montre, qu’elle remit à Marat, tandis
que le cordonnier Simon, pâle d’effroi n’osait articuler un mot et suivait d’un
œil égaré jusqu’aux moindres gestes de cette femme qu’il croyait folle.

À peine eut-elle touché la main de Marat en lui remettant la
montre, qu’elle poussa un profond soupir et murmura :

– Il m’éveille, il m’éveille.

En effet, tous ses nerfs se détendirent comme un câble abandonné
par la poulie ; ses yeux reprirent l’étincelle vitale, et, se trouvant en
face de Marat, la main dans sa main, et tenant encore cette montre,c’est-à-dire
la preuve irrécusable du crime, elle tomba évanouie sur les planches du
grenier.

– La conscience existerait-elle réellement ? se dit
Marat en sortant de la chambre, avec le doute dans le cœur et la rêverie dans
les yeux.

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