Joseph Balsamo – Tome III (Les Mémoires d’un médecin)

Chapitre 8Les antichambres de M. le duc de Richelieu

M. de Richelieu, comme tous les courtisans, avait un hôtel à
Versailles, un à Paris, une maison à Marly, une à Luciennes ;un logement,
en un mot, près de chacun des logements ou des stations du roi.

Louis XIV, en multipliant ses séjours, avait imposé à tout
homme de qualité, privilégié des grandes ou des petites entrées,l’obligation d’être
fort riche, pour suivre dans une proportion égale le train de sa maison et l’essor
de ses caprices.

M. de Richelieu habitait donc, au moment du renvoi de MM. de
Choiseul et de Praslin, son hôtel de Versailles ; c’était là qu’il s’était
fait conduire la veille, au retour de Luciennes, après avoir présenté son neveu
à madame du Barry.

On avait vu Richelieu au bois de Marly avec la comtesse, on
l’avait vu à Versailles après la disgrâce du ministre, on savait son audience
secrète et prolongée à Luciennes ; c’en fut assez pour que toute la cour, avec
les indiscrétions de Jean du Barry, pour que toute la cour,disons-nous, se
crût obligée d’aller rendre ses devoirs à M. de Richelieu.

Le vieux maréchal allait donc humer à son tour ce parfum de
louanges, de flatteries et de caresses que tout intéressé fait brûler sans
discernement devant l’idole du jour.

M. de Richelieu ne s’attendait pourtant pas à ce qui allait
lui arriver, mais il se leva le matin du jour où nous sommes parvenus avec la
ferme résolution de calfeutrer ses narines contre le parfum, de même qu’Ulysse
bouchait son oreille avec de la cire contre le chant des sirènes.

Le résultat pour lui devait arriver le lendemain seulement ;
c’était, en effet, le lendemain que serait connue et publiée par le roi
lui-même la nomination du nouveau ministère.

La surprise du maréchal fut donc grande lorsqu’en se réveillant,
ou plutôt lorsque, réveillé par un grand bruit de voitures, il apprit de son
valet de chambre que les cours de l’hôtel étaient encombrées ainsi que les
antichambres et les salons.

– Oh ! oh ! dit-il, je fais du bruit, à ce qu’il
paraît.

– Il est de bien bonne heure, monsieur le maréchal, dit le
valet de chambre voyant la précipitation que le duc mettait à défaire son
bonnet de nuit.

– Désormais, répliqua le duc, il n’y aura plus d’heure pour
moi, souvenez vous de cela.

– Oui, monseigneur.

– Qu’a-t-on répondu aux visiteurs ?

– Que monseigneur n’était pas levé.

– Tout simplement ?

– Tout simplement.

– C’est une sottise ; il fallait ajouter que j’avais
veillé tard, ou, bien mieux, il fallait… Voyons, où est Rafté ?

– M. Rafté dort, dit le valet de chambre.

– Comment, il dort ? Mais qu’on le réveille, le malheureux !

– Allons, allons ! dit un vieillard vert et souriant
qui parut sur le seuil, voilà Rafté ; que lui veut-on ?

Toute la boursouflure du duc tomba devant ces paroles.

– Ah ! je disais bien aussi, moi, que tu ne dormais
pas.

– Et quand j’aurais dormi, qu’y aurait-il là d’étonnant ?
il est jour à peine.

– Mais, mon cher Rafté, tu vois que, moi, je ne dors pas.

– C’est autre chose, vous êtes ministre, vous… Comment
dormiriez-vous ?

– Allons, voilà que tu vas me gronder, dit le maréchal en
grimaçant devant la glace ; est-ce que tu n’es pas content ?

– Moi ! qu’est-ce que cela me fait ? Vous allez vous
fatiguer beaucoup, et puis vous serez malade ; il en résultera que ce sera
moi qui gouvernerai l’État, et ce n’est pas amusant,monseigneur.

– Oh ! comme tu as vieilli, Rafté.

– J’ai juste quatre ans de moins que vous, monseigneur.Oh !
oui, je suis vieux.

Le maréchal frappa du pied avec impatience.

– As-tu passé par l’antichambre ? dit-il.

– Oui.

– Qui est là ?

– Tout le monde.

– Que dit-on ?

– Chacun se raconte ce qu’il va vous demander.

– C’est bien naturel… Mais, de ma nomination, en as-tu entendu
parler ?

– Oh ! j’aime autant ne pas vous dire ce qu’on en dit.

– Ouais… ! déjà la critique ?

– Et parmi ceux qui ont besoin de vous. Que sera-ce,monseigneur,
chez les gens dont vous aurez besoin !

– Ah ! par exemple, Rafté, dit le vieux maréchal en
affectant de rire, ceux qui diraient que tu me flattes…

– Tenez, monseigneur, dit Rafté, pourquoi diable vous
êtes-vous attelé à cette charrue qu’on appelle le ministère ?Vous êtes
donc las d’être heureux et de vivre ?

– Mon cher, j’ai goûté de tout, excepté de cela.

– Corbleu ! Vous n’avez jamais goûté d’arsenic non plus ;
que n’en avalez-vous dans votre chocolat, par curiosité ?

– Rafté, tu n’es qu’un paresseux ; tu devines que toi, mon
secrétaire, tu vas avoir beaucoup de besogne, et tu recules… tu l’as dit, d’ailleurs.

Le maréchal se fit habiller avec soin.

– Donne-moi une tournure militaire, recommanda-t-il au valet
de chambre, et donne-moi mes ordres militaires.

– Il paraît que nous sommes à la Guerre ? fit Rafté.

– Mon Dieu oui, il paraît que nous sommes à cela.

– Ah çà ! mais, continua Rafté, je n’ai pas vu la
nomination du roi, ce n’est pas régulier.

– Elle va arriver, sans doute.

– Alors sans doute  est le mot officiel aujourd’hui.

– Que tu es devenu désagréable, Rafté, en vieillissant !
tu es formaliste et puriste. Si j’avais su cela, je ne t’aurais pas fait faire
mon discours de réception à l’Académie, c’est cela qui t’a rendu pédant.

– Écoutez donc, monseigneur, puisque nous sommes gouvernement,
soyons réguliers… C’est bizarre.

– Quoi donc est bizarre ?

– M. le comte de la Vaudraye, qui vient de me parler dans la
rue, m’annonçait que rien n’était fait encore pour le ministère.

Richelieu sourit.

– M. de la Vaudraye a raison, dit-il. Mais tu es donc déjà
sorti ?

– Pardieu ! il le fallait bien ; cet enragé
vacarme de carrosses m’a réveillé, je me suis fait habiller, j’ai pris mes
ordres militaires aussi, et j’ai fait un tour par la ville.

– Ah ! M. Rafté s’égaie à mes dépens ?

– Oh ! monseigneur, Dieu m’en préserve ! c’est que…

– C’est que… quoi ?

– En me promenant, j’ai rencontré encore quelqu’un.

– Qui cela ?

– Le secrétaire de l’abbé Terray.

– Eh bien ?

– Eh bien, il m’a dit que son maître était mis à la Guerre.

– Oh ! oh ! dit Richelieu avec son éternel
sourire.

– Qu’en conclut monseigneur ?

– Que, si M. Terray est à la Guerre, je n’y suis pas ;
que s’il n’y est pas, j’y suis peut-être.

Rafté en avait assez fait pour sa conscience. C’était un
homme hardi, infatigable, ambitieux, tout aussi spirituel que son maître, et
bien plus armé que lui, car il se savait roturier et dépendant,deux défauts de
cuirasse qui, pendant quarante ans, avaient exercé toute sa ruse,toute sa
force, toute son agilité d’esprit. Rafté, voyant son maître si bien assuré, crut
lui-même n’avoir plus rien à craindre.

– Allons, dit-il, monseigneur, hâtez-vous, ne vous faites
pas trop attendre, ce serait d’un mauvais augure.

– Je suis prêt ; mais qui est là, encore une fois ?

– Voici la liste.

Il présenta une longue liste à son maître, qui lut avec satisfaction
les premiers noms de la noblesse, de la robe et de la finance.

– Si j’allais être populaire, hein, Rafté ?

– Nous sommes au temps des miracles, répondit celui-ci.

– Tiens, Taverney ! dit le maréchal en continuant sa lecture.
Que vient-il faire ici ?

– Je n’en sais rien, monsieur le maréchal. Allons, faites votre
entrée.

Et, presque avec autorité, le secrétaire força son maître à
passer dans le grand salon.

Richelieu dut être satisfait, l’accueil qu’il reçut n’eût
pas été au-dessous des ambitions d’un prince du sang.

Mais toute la politesse, si fine, si habile, si cauteleuse
de cette époque et de cette société servit mal le hasard, qui ménageait à
Richelieu une dure mystification.

Par convenance et par respect de l’étiquette toute cette
foule s’abstint de prononcer devant Richelieu le mot ministère ; quelques-uns,
plus hardis, allèrent jusqu’au mot compliment ; ceux-là savaient qu’il
fallait glisser légèrement sur le mot, et que Richelieu n’y répondait qu’à
peine.

Pour tout le monde, cette visite faite au lever du soleil
fut une simple démonstration, comme un souhait par exemple.

Il n’était pas rare, à cette époque, que les insaisissables
nuances fussent comprises par des masses et à l’unanimité.

Il y eut quelques courtisans qui se hasardèrent, dans la conversation,
à exprimer un vœu, un désir, une espérance.

L’un aurait souhaité, disait-il, voir son gouvernement plus
rapproché de Versailles. Il se plaisait à causer de cela avec un homme d’un
crédit aussi grand que celui de M. de Richelieu.

Un autre prétendait avoir été oublié trois fois par M. de
Choiseul dans des promotions de chevaliers de l’ordre ; il comptait sur l’obligeante
mémoire de M. de Richelieu pour rafraîchir celle du roi, à présent que rien ne
faisait plus obstacle au bon vouloir de Sa Majesté.

Enfin, cent demandes plus ou moins avides, mais toutes enveloppées
avec un art extrême, se produisirent aux oreilles charmées du maréchal.

Peu à peu la foule s’éloigna ; on voulait, disait-on,laisser
M. le maréchal à ses importantes occupations.

Un seul homme demeura dans le salon.

Il ne s’était pas approché avec les autres, il n’avait rien
demandé, il ne s’était pas présenté même.

Quand les rangs furent éclaircis, cet homme vint au duc avec
un sourire sur les lèvres.

– Ah ! monsieur de Taverney, fit le maréchal ;
enchanté, enchanté !

– Je t’attendais, duc, pour te faire mon compliment, et un
compliment positif, un compliment sincère.

– Ah vraiment ! et de quoi donc ? répliqua
Richelieu, que la réserve de ses visiteurs avait mis lui-même dans la nécessité
d’être discret et comme mystérieux.

– Mais, mon compliment de ta nouvelle dignité, duc.

– Chut ! chut ! fit le maréchal ; ne parlons
pas de cela… Rien n’est fait, c’est un on-dit.

– Cependant, mon cher maréchal, bien des gens sont de mon
avis, car tes salons étaient pleins.

– Je ne sais vraiment pourquoi.

– Oh ! je le sais bien, moi.

– Quoi donc ? quoi donc ?

– Un seul mot de moi.

– Lequel ?

– Hier, à Trianon, j’eus l’honneur de faire ma cour au roi.
Sa Majesté me parla de mes enfants, et finit par me dire :« Vous
connaissez M. de Richelieu, je crois ; faites-lui vos compliments. »

– Ah ! Sa Majesté vous a dit cela ? répliqua
Richelieu avec un orgueil étincelant, comme si ces paroles eussent été le
brevet officiel dont Rafté suspectait l’envoi ou déplorait le retard.

– En sorte, continua Taverney, que je me suis bien douté de
la vérité ; ce n’était pas difficile, à voir l’empressement de tout Versailles,
et je suis accouru pour obéir au roi en te faisant mes compliments,et pour
obéir à mon sentiment particulier en te recommandant notre ancienne amitié.

Le duc en était arrivé à l’enivrement : c’est un défaut
de nature, les meilleurs esprits ne peuvent pas toujours s’en préserver. Il ne
vit dans Taverney qu’un de ces solliciteurs du dernier ordre,pauvres gens
attardés sur le chemin de la faveur, inutiles même à protéger,inutiles surtout
dans leur connaissance, et auxquels on fait le reproche de ressusciter de leurs
ténèbres, après vingt ans, pour venir se réchauffer au soleil de la prospérité
d’autrui.

– Je vois ce que c’est, dit le maréchal assez durement, on
vient me demander quelque chose.

– Eh bien ! tu l’as dit, duc.

– Ah ! fit Richelieu en s’asseyant, ou plutôt en s’enfonçant
dans un sofa.

– Je te disais que j’ai deux enfants, continua Taverney, souple
et rusé, car il s’apercevait du refroidissement de son grand ami et ne s’en
rapprochait que plus activement. J’ai une fille que j’aime beaucoup, et qui est
un modèle de vertu et de beauté. Celle-là est placée chez madame la dauphine, qui
a bien voulu la prendre dans une estime particulière. De celle-là,de ma belle
Andrée, je ne t’en parle pas, duc ; son chemin est fait, sa fortune est en
bon train. L’as-tu vue, ma fille ? ne te l’ai-je pas présentée quelque
part ? n’en as tu pas entendu parler ?

– Peuh !… je ne sais, fit négligemment Richelieu ;
peut-être.

– N’importe, poursuivit Taverney, voilà ma fille placée. Moi,
vois-tu, je n’ai besoin de rien, le roi m’a donné une pension qui me fait
vivre. J’aurai bien, je te l’avoue, quelque revenant-bon pour rebâtir
Maison-Rouge, dont je veux faire ma retraite suprême ; avec ton crédit, avec
celui de ma fille…

– Eh ! Eh ! fit tout bas Richelieu, qui n’avait
pas écouté jusque-là, perdu qu’il était dans la contemplation de sa propre
grandeur, et que ce mot : le crédit de ma fille, réveilla en sursaut. Eh !
eh ! ta fille… mais c’est une jeune beauté qui fait ombrage à cette bonne
comtesse ; c’est un petit scorpion qui se réchauffe sous les ailes de la
dauphine pour mordre quelqu’un de Luciennes… Voyons, voyons, ne soyons pas
mauvais ami, et, quant à la reconnaissance, cette chère comtesse,qui m’a fait
ministre, va voir si j’en manque au besoin.

Puis, tout haut :

– Continuez, dit-il avec hauteur au baron de Taverney.

– Ma foi, j’approche de la fin, répliqua celui-ci, très
décidé à rire intérieurement du vaniteux maréchal, pourvu qu’il en obtînt ce qu’il
voulait avoir ; je ne songe donc plus qu’à mon Philippe, qui porte un fort
beau nom, mais à qui l’occasion de fourbir ce nom manquera toujours, si
personne ne l’aide… Philippe est un garçon brave et réfléchi, un peu trop
réfléchi peut-être ; mais c’est une suite de sa position gênée : le
cheval tenu de trop court baisse la tête, comme tu sais.

– Qu’est-ce que cela me fait ? pensait le maréchal avec
les signes les moins équivoques d’ennui et d’impatience.

– Il me faudrait, continua impitoyablement Taverney, quelqu’un
de haut placé comme toi pour faire obtenir à Philippe une compagnie… Madame la
dauphine, en entrant à Strasbourg, l’a fait nommer capitaine ;oui, mais
il ne lui manque que cent mille livres pour avoir une belle compagnie dans
quelque régiment de cavalerie privilégié… Fais-moi obtenir cela,mon grand ami.

– Votre fils, dit Richelieu, c’est ce jeune homme qui a
rendu un service à madame la dauphine, n’est-ce pas ?

– Un grand ! s’écria Taverney ; c’est lui qui a
forcé le dernier relais de Son Altesse royale, que voulait prendre de vive
force ce du Barry.

– Ouais ! fit en lui-même Richelieu, c’est cela justement…
tout ce qu’il y a de plus féroce en ennemis de la comtesse… il tombe bien, ce
Taverney ! Il prend pour titres de grade des titres d’exclusion formelle…

– Vous ne me répondez pas, duc ? dit Taverney un peu
aigri par l’entêtement du maréchal à garder le silence.

– Tout cela est impossible, mon cher monsieur Taverney,répliqua
le maréchal en se levant pour indiquer que l’audience était finie.

– Impossible ? une pareille misère impossible ? C’est
un ancien ami qui me dit cela ?

– Pourquoi pas ?… Est-ce une raison, parce qu’on est
amis, comme vous dites, pour chercher à faire… l’un une injustice,l’autre un
abus du mot amitié ? Vous ne m’avez pas vu pendant vingt ans,je n’étais
rien ; me voici ministre, vous arrivez.

– Monsieur de Richelieu, c’est vous qui êtes injuste en ce
moment.

– Non, mon cher, non, je ne veux pas vous laisser traîner
dans les antichambres ; moi, je suis un ami véritable, par conséquent…

– Vous avez une raison pour me refuser, cependant ?

– Moi ! s’écria Richelieu très inquiet du soupçon que
pouvait avoir Taverney ; moi ! une raison ?…

– Oui, j’ai des ennemis…

Le duc pouvait répondre ce qu’il pensait ; mais c’était
découvrir au baron qu’il ménageait madame du Barry par reconnaissance, c’était
avouer qu’il était ministre de la façon d’une favorite, et voilà ce que le
maréchal n’eût pas avoué pour un empire ; il se hâta donc de répondre au
baron :

– Vous n’avez sans doute aucun ennemi, mon cher ; mais,
moi, j’en ai ; accorder tout de suite, et sans examen de titres, des
faveurs pareilles, c’est m’exposer à ce qu’on dise que je continue Choiseul.
Mon cher, je veux laisser des traces de mon passage aux affaires.Depuis vingt
ans, je couve des réformes, des progrès ; ils vont éclore ! La faveur
perd la France, je vais m’occuper du mérite. Les écrits de nos philosophes sont
des flambeaux dont la lumière n’aura pas été en vain aperçue par mes yeux ;
toutes les ténèbres des temps passés sont dissipées, et il était bien temps
pour le bonheur de l’État… Aussi examinerai-je les titres de votre fils, ni
plus ni moins que ceux du premier citoyen venu ; je ferai ce sacrifice à
mes convictions, sacrifice douloureux sans doute, mais qui n’est que d’un homme
au profit de trois cent mille autres peut-être… Si votre fils, M.Philippe de
Taverney, me paraît mériter ma faveur, il l’aura, non parce que son père est
mon ami, non parce qu’il s’appelle de son nom mais parce que ce sera un homme
de mérite : voilà mon plan de conduite.

– C’est-à-dire votre cours de philosophie, répliqua le vieux
baron, qui de rage se rongeait le bout des doigts, et appuyait sur son dépit de
tout le poids d’un entretien qui lui avait coûté tant de condescendance et de
petites lâchetés.

– Philosophie, soit, monsieur ; c’est un beau mot.

– Qui dispense des bonnes choses, monsieur le maréchal,n’est-ce
pas ?

– Vous êtes un mauvais courtisan, dit Richelieu avec un
froid sourire.

– Les gens de ma qualité ne sont courtisans que du roi !

– Eh ! de votre qualité, M. Rafté, mon secrétaire, en a
mille par jour dans mes antichambres, répondit Richelieu, et ils arrivent de je
ne sais quel trou de province où l’on apprend à être impoli avec ses prétendus
amis, tout en prêchant l’accord.

– Oh ! je sais bien qu’un Maison-Rouge, noblesse issue
des croisades, n’entend pas aussi bien l’accord qu’un Vignerot ménétrier !

Le maréchal eut plus d’esprit que Taverney.

Il pouvait le faire jeter par les fenêtres. Il se contenta
de hausser les épaules et de répondre :

– Vous êtes trop arriéré, monsieur des croisades : vous
n’en êtes qu’au mémoire calomnieux fait par les parlements en 1720,et vous n’avez
pas lu celui des ducs et pairs y faisant réponse. Passez dans ma bibliothèque, mon
cher monsieur, Rafté vous le fera lire.

Et, comme il éconduisait son antagoniste avec cette fine repartie,
la porte s’ouvrit, et un homme entra bruyamment en disant :

– Où est-il, ce cher duc ?

Cet homme enluminé, aux yeux dilatés de satisfaction, aux
bras arrondis par la bienveillance, était Jean du Barry, ni plus ni moins.

À l’aspect du nouveau venu, Taverney recula de surprise et
de dépit.

Jean vit ce geste, reconnut cette tête, et tourna le dos.

– Je crois comprendre, dit le baron tranquillement, et je me
retire. Je laisse M. le ministre en parfaite compagnie.

Et il se retira fort noblement.

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