La Cour des miracles

Chapitre 13APRÈS…

Monclar avait laissé tomber un regard sur la Gypsie.

C’était la deuxième fois que la vieille bohémienne sauvait legrand prévôt.

Et toujours elle le sauvait de Lanthenay.

Il se pencha vers elle.

– Que veux-tu ? demanda-t-il.

Dans son esprit, cela voulait dire :

– Quelle récompense désires-tu pour m’avoirsauvé ?

Elle répondit à voix basse :

– La grâce de cet homme !

Elle désignait Lanthenay.

Celui-ci ne l’avait pas aperçue encore. Il était entouré desoldats qui le liaient. En reconnaissant la voix de la bohémienne,il tourna vivement la tête vers elle.

Un soldat crut qu’il allait essayer une dernière tentative derésistance et lui asséna un formidable coup sur la tête.

Lanthenay tomba évanoui.

Mais avant de perdre connaissance, il avait eu cette penséedernière :

– Pauvre Gypsie ! Bonne mère Gypsie ! Elleaccourait me sauver !

Le grand prévôt avait froncé le sourcil. Il secoua la tête.

– Monseigneur, dit rapidement la Gypsie, je vous demande engrâce de vouloir bien me recevoir en votre hôtel.

– Soit. Viens ce soir à neuf heures.

– Je vous demande en grâce de ne rien ordonner contreLanthenay avant de m’avoir entendue…

– Je t’accorde aussi cela.

Et entre les dents, il gronda :

– Il ne perdra rien pour attendre !

Satisfaite, la Gypsie s’était éloignée précipitamment.

…  …  …  …  … … .

Lanthenay fut jeté sur une charrette, car on l’avait siétroitement lié qu’il lui eût été impossible de faire un pas.

Autour de la charrette, Monclar plaça deux cents cavaliers,l’estramaçon ou la lance au poing.

– À mon hôtel ! ordonna-t-il alors.

En effet, l’hôtel du grand prévôt était muni d’une demi-douzainede cachots qui n’avaient rien à envier à ceux de la Conciergerie,du Châtelet ou de la Bastille.

Une heure plus tard, Lanthenay était enchaîné en l’un de cescachots.

…  …  …  …  … … .

Autour du tas de tisons noircis qui achevaient de se consumertristement, il ne restait plus que les moines chantant les prièresdes morts, après avoir psalmodié les prières des agonisants. Lafoule avait pris la fuite au moment de l’arrivée des truands.

Manfred, on l’a vu, était tombé l’un des premiers, le brasfracassé. Il demeura évanoui pendant longtemps.

Lorsqu’il se réveilla dans une lueur de raison que lui laissa lafièvre, il se vit couché sur une paillasse, dans un triste etsombre taudis. Une femme le regardait.

– C’est vous qui m’avez sauvé ? demanda Manfred.

– Sauvé ? Je ne sais… C’est la Mésange et la Bigornequi t’ont conduit ici…

– Qui êtes-vous ?

– Je suis Margentine ; vous ne savez pas ?Margentine la blonde…

Manfred ferma les yeux et se mit à murmurer des motsinintelligibles. Le délire le reprenait.

…  …  …  …  … … .

Quant à Cocardère et Fanfare, ils avaient disparu.

Étaient-ils morts ? Ou seulement blessés ?…

Autour du brasier, la foule, maintenant, revenue de sa terreur,s’approchait et regardait silencieusement, avec une avidecuriosité, ce tas de tisons et de cendres.

Du corps de Dolet, on ne voyait plus rien que quelques os qui seconfondaient avec les tisons.

Il était alors environ trois heures de l’après-midi.

Les moines étaient toujours là.

Vers trois heures, donc, la foule se serrait autour desreligieux. Une femme du peuple cria :

– Qu’on prenne au moins ses cendres et qu’on les enterredignement en terre chrétienne !

Loyola entendit ces paroles, tressaillit, et parut sortir de laléthargie d’immobilité où il se trouvait depuis le matin. Iln’avait rien vu, rien entendu de l’attaque des truands.

Livide, sous sa cagoule, les yeux fixes, il n’avait pas perdu undétail du supplice, rêvant de supplices plus vastes, plusmonstrueux.

Le cri de pitié de la femme le ramena à la réalité.

Il dit d’une voix forte :

Pas de faiblesse ! Pas de pardon pour l’impie etl’hérétique ! Mes frères, prenez ses cendres et vous lesjetterez, vous les disperserez en quelque terrain vague !

De l’intérieur d’une charrette, le bourreau et ses aidessortirent une petite caisse en bois blanc et des pelles.

Deux moines saisirent les pelles. Les ossements du savant furentjetés dans la caisse que les deux moines, sans doute stylés àl’avance, emportèrent.

– Ainsi périssent les ennemis de Jésus ! cria encoreLoyola.

Et sous cette voix menaçante la foule frémit et courba latête.

– Amen ! répondit le chœur immense de 500moines.

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