La Cour des miracles

Chapitre 4BÉATRIX

Pendant que ces divers événements s’accomplissaient à la Courdes Miracles, le roi et son escorte, guidés par Alais Le Mahu,étaient arrivés devant la maison de la rue Saint-Denis où MadeleineFerron avait conduit le chevalier de Ragastens.

Le roi mit pied à terre.

Les vingt cavaliers qui l’avaient suivi l’imitèrent, etl’officier qui les commandait prit aussitôt ses dispositions selonles indications que François Ier venait de lui donner.Le roi fit signe à La Châtaigneraie, à d’Essé et à Sansac de veniravec lui.

– Monsieur, dit-il à l’officier, si j’appelle, vousenvahirez cette maison, et alors, n’hésitez pas, tuez tout ce quivoudrait vous faire obstacle, homme ou femme !

L’officier s’inclina en signe qu’il avait compris la consigne etqu’il était prêt à l’exécuter envers et contre tous. Alors le rois’approcha de la porte. Elle était fermée.

– Forcez cette porte, dit-il à l’officier. Sans bruit.

Sur un signe de l’officier, un soldat s’approcha à son tour,introduisit son poignard dans la jointure de la serrure, et aprèsdix minutes de travail silencieux, parvint enfin à ouvrir.

François Ier s’élança, suivi de ses troiscompagnons.

Pour entrer dans la maison, il y avait une autre porte.

Elle fut ouverte par le même procédé.

Cependant, le silence qui régnait dans la maison ne laissait pasque d’inquiéter le roi.

Pourquoi tout était-il silencieux et obscur àl’intérieur ?

Tout à coup, comme il était à peu près au milieu de cetescalier, l’obscurité dans laquelle il se trouvait se dissipa.

Le roi porta vivement la main à son épée et leva les yeux. Carla lumière venait de haut.

Alors, il vit une femme qui tenait une lampe à la main et qui leregardait avec une dignité triste et sévère.

Il la reconnut aussitôt.

– Madame de Ragastens ! fit-il en se découvrant aveccette politesse qui l’abandonnait bien rarement.

Puis, souriant, et prenant déjà son parti, il s’écria :

– Eh ! madame, nous nous étions tout à l’heure quittésun peu en froid, et j’ai tenu à me réconcilier avec une personneaussi accomplie que vous paraissez l’être.

– Sire, dit Béatrix, je vous répéterai ce que je vous aidit dans l’enclos des Tuileries : Soyez le bienvenu.

Le roi regarda autour de lui avec inquiétude.

Il s’attendait à une résistance, à des reproches, – car enfin ilentrait dans cette maison comme un des truands que le grand prévôtcombattait à cette heure, – et la parole de Béatrix lui faisaitredouter quelque guet-apens.

François Ier avait la bravoure physique poussée à undegré extraordinaire.

– On va peut-être me poignarder, songea-t-il, mais, tantpis, la mort plutôt que le ridicule !

Et il monta lestement les quelques marches qui le séparaient deBéatrix.

– Aurais-je le plaisir de voir M. de Ragastens ?demanda-t-il en s’inclinant.

– M. le chevalier sera désespéré de ne pas s’être trouvé làpour répondre à l’honneur que lui fait Sa Majesté pour la deuxièmefois…

En même temps, elle s’effaça pour laisser entrer le roi.

Elle vit son hésitation et comprit.

– Ne craignez rien, sire, dit-elle, il n’y a personne quemoi dans cette maison…

Le roi rougit un peu et entra, immédiatement suivi de sescompagnons, dans une belle et vaste salle incomplètementmeublée.

– Quoi, madame, s’écria-t-il alors, vous êtes seule ici,dites-vous ?

– Absolument seule, sire.

– Cependant, madame, on a vu entrer ici plusieurspersonnes…

– Qui étaient présentes il n’y a pas plus d’un quartd’heure, sire. Mais en ce moment, malgré tout le regret que j’enéprouve, je suis seule à essayer de rendre au roi les honneurs quilui sont dus…

– Où est M. de Ragastens ?

– Sire, dit Béatrix avec un calme qui imposa au roi unesorte de respectueuse admiration, je pourrais vous répondre quevous, le premier chevalier de France, vous interrogez en ce momentune femme venue en ce pays sur sa réputation de loyalehospitalité…

– Pardonnez-moi, madame, fit le roi frémissant. Mais il yva d’intérêts fort graves, je vous assure. Aussi, malgré le chagrinque j’en éprouve, je vous interroge comme maître de la suprêmejustice dans ce pays et vous somme de me répondre… Où est M. deRagastens ?

– Puisque vous parlez en maître, sire, je répondraicontrainte ; M. de Ragastens est sorti pour conduire en lieusûr une jeune fille à laquelle nous avons voué tous les deux unegrande affection.

– De quoi se mêle ; éclata-t-il, ce petit aventurierqui n’est ni Français ni Italien et qui prétend nous donner desleçons !

Béatrix pâlit.

– Sire, dit-elle d’une voix étrangement ferme, le chevalierde Ragastens n’a jamais toléré que qui que ce fût au mondel’insultât impunément. Ce m’est un impérieux devoir de veiller à cequ’il ne soit pas insulté en son absence. Mais comme je suis femmeet que je n’ai aucun moyen d’empêcher quatre hommes d’êtreinsolents je me retire pour ne pas en entendre davantage…

– Restez, madame, s’écria le roi. Vous venez de prononcerdes paroles bien audacieuses ; mais selon vos propresexpressions, vous êtes femme, et je n’userai pas, à Dieu neplaise ! du droit de répression que je pourrais employer.Restez, je mesurerai mes paroles, et j’espère que vous ferez demême.

– Votre Majesté peut en être assurée, dit alors Béatrix. Leroi garda un instant le silence.

– Madame, reprit-il, tout à l’heure, dans l’enclos desTuileries, je vous ai dit clairement que Gillette est ma fille… Mecroyez-vous ?

– Je crois d’autant plus volontiers Votre Majesté queGillette elle-même nous a raconté toute son histoire.

– Et sachant que Gillette est ma fille, sachant que je lacherche, le chevalier de Ragastens la soustrait, la cache,l’enlève !… Sans vouloir invoquer d’autres droits, je vousdirai, madame, que je n’ai pas agi ainsi à l’égard du chevalierlorsqu’il est venu me supplier de l’aider à retrouver son fils…votre fils, madame !

– Sire, le chevalier m’a dit la bienveillante réception quevous aviez bien voulu lui faire, et je vous garantis sareconnaissance comme la mienne…

– Je n’en doute pas, madame ; mais le chevalier a uneétrange façon de témoigner sa reconnaissance.

– M. de Ragastens a, tout à l’heure, demandé à Gillette sielle désirait être conduite au Louvre ; sur sa réponseaffirmative, sire, le chevalier était tout prêt à vous ramenervotre enfant…

– Et qu’a-t-elle dit ? fit le roi avidement.

– Qu’elle préférait mourir…

François Ier baissa la tête.

– Me hait-elle donc à ce point ! murmura-t-il.

Mais bientôt la colère l’emporta à nouveau.

– Soit, dit-il. Le chevalier de Ragastens a emmené mafille. Mais moi, je désire savoir en quel lieu il l’a conduite.

– Je ne le sais pas, sire.

– Vous le savez, madame ! Ou plutôt, tout dans votreattitude, dans le son de votre voix, dans votre regard embarrassé,tout me prouve que vous vous jouez de moi. Je vous prie donc de merépondre avec exactitude, sans quoi…

– Sans quoi, sire ?…

– C’est à vous, à vous seule, madame, que je m’enprendrais ! Donc, vous m’affirmiez que le chevalier n’est pasici ?

– Oui, sire !

– Qu’il a emmené Gillette ?

– Oui, sire !

– C’est bien. Il séquestre ma fille ; moi je séquestresa femme. Veuillez vous préparer à nous suivre, madame.

– Quoi, sire, vous oseriez…

– J’oserai tout ! fit violemment le roi. Je vousarrête, madame. Lorsque le chevalier de Ragastens me rendra mafille, je vous remettrai en liberté, cela, je le jure, – mais jejure également que le chevalier ne vous reverra pas avant que jen’aie revu Gillette…

– Sire, c’est un indigne abus de force !

– Non, madame, c’est de la clémence.

– Sire, je ne céderai qu’à la force, et nous verrons si, enFrance, quatre gentilshommes armés auront osé porter la main surune femme.

– Qu’à cela ne tienne ! s’écria le roi au paroxysme dela fureur.

Et il fit un signe à ses gentilshommes qui sans hésitation,s’avancèrent sur Béatrix.

Celle-ci poussa un cri.

À ce moment, une porte s’ouvrit, et Gillette parut.

La jeune fille, blanche comme un lys, mais ferme, s’avança versle roi stupéfait.

– Sire, dit-elle, me voici prête à vous suivre…

– Malheureuse enfant ! s’écria Béatrix.

– Hélas ! madame… je suis condamnée. Mon malheur sedoublerait de la certitude que j’ai pu causer le vôtre. Sire,continua-t-elle, une première fois je me suis rendue à vous poursauver un homme qui se dévouait pour moi. Cette fois-ci, j’osepenser que l’arrestation du chevalier de Ragastens ne suivra pas deprès mon entrée au Louvre, comme l’arrestation d’Étienne Dolet…

– Mon enfant, dit le roi agité d’une foule de sentiments,l’arrestation de Dolet est un fait politique. Quant au chevalier,je vous jure qu’il ne sera pas inquiété…

– Adieu, madame, adieu, ma chère bienfaitrice !s’écria Gillette en se jetant dans les bras de Béatrix.

– Sire, dit celle-ci, ce que vous faites ce soir estodieux. Prenez garde que quelque catastrophe ne vienne payer lamauvais action que vous commettez !

Le roi tressaillit.

Mais il se contenta de s’incliner froidement.

Puis, s’adressant à Gillette :

– Mon enfant, dit-il, vous avez contre moi d’injustespréventions. Je les ferai tomber à force d’affection, un jourprochain, j’espère… La Châtaigneraie, continua-t-il, offrez votremain à la duchesse de Fontainebleau.

La Châtaigneraie s’empressa d’obéir et saisit la main deGillette, qui se laissa entraîner sans résistance.

Puis le roi salua profondément Béatrix.

– Madame, lui dit-il, je viens de promettre à cette enfantde ne pas inquiéter le chevalier de Ragastens ; je tiendrai maparole, mais, croyez-moi, conseillez-lui de s’en retourner au plustôt en Italie.

Il se retira alors en murmurant :

– Cette fois, on ne me l’enlèvera pas !

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