La Cour des miracles

Chapitre 10LA CONDAMNATION DE DOLET

Le procès d’Étienne Dolet, qui avait duré six jours, s’étaitterminé la veille à midi.

Le procès avait été conduit par Mathieu Orry, inquisiteur de lafoi, et l’official Étienne Faye.

Mathieu Orry remplissait les fonctions d’accusateur.

Étienne Faye présidait, assisté d’assesseurs.

Étienne Dolet, debout devant le tribunal, les mains liées audos, écoutait attentivement ce que disaient tantôt l’official Faye,tantôt l’accusateur Orry.

De temps à autre, il se tournait vers la foule et y cherchaitdes yeux quelqu’un qui avait suivi toutes les péripéties duprocès.

C’était Lanthenay qui se rongeait de désespoir.

En effet, l’accusé était amené tous les jours dans la salle parun passage secret qui le faisait communiquer à la Conciergerie.

Il n’y avait donc eu aucun moyen de tenter d’enlever Doletpendant le procès.

Ce jour-la, le dernier, vers onze heures du matin, Mathieu Orryet l’official se trouvaient embarrassés. Étienne Dolet persistait àne pas avouer les crimes qu’on lui imputait.

Et la grande ressource de la question en chambre de torture leuréchappait. François Ier s’y était opposé.

– Donc, disait Faye, vous dites que vous n’êtes pointhérétique ?

– Je ne le suis pas.

– Il l’affirme, s’écriait Orry, mais n’a-t-il pas écrit quel’homme n’est rien après la mort ? C’est là une monstrueusehérésie, et il n’est pas besoin d’autres preuves.

– J’ai traduit Platon, répondit Dolet. Contestez-vous ledroit de traduire les anciens auteurs ? Proscrivez-vousl’étude du grec ?

– Vous avez imprimé des livres scandaleux, vous avez publiéune Bible en langue vulgaire.

– Les livres dont vous parlez furent déposés dans monimprimerie : si je les avais imprimés, on trouverait trace desépreuves.

– Avouez-vous, reprit Faye, que vous êtesschismatique ? Cela, vous ne pouvez le contester. Vous avezfavorisé les défenseurs des erreurs nouvelles.

– Je n’en connais aucun ; comment les aurais-jefavorisés ?

L’aveu de l’accusé était alors la pièce principale d’unprocès.

Que Dolet persistât à nier, cela faisait sur la foule desassistants un prodigieux effet. Et comme la justice n’était pasétayée sur des forces matérielles aussi solides qu’aujourd’hui, ildevenait difficile de condamner Dolet.

À ce moment, un homme s’avança vers l’official Faye.

C’était un moine.

Sa tête était couverte d’une cagoule noire.

Le moine se pencha vers l’official, tira un papier de sapoitrine, et le tendit à Faye en disant :

– Demandez à l’accusé si ce parchemin est bien de sonécriture.

Faye parcourut rapidement le papier, puis le passa à MathieuOrry qui le lut aussi.

– Abomination et sacrilège ! gronda Orry.

– Gardes, faites approcher le prisonnier, dit Faye.

Étienne Dolet s’approcha de lui-même et se pencha sur leparchemin.

– Est-ce vous, demanda Faye, qui avez écrit cela ?

– Oui, dit froidement Dolet.

Ce parchemin, c’était celui que Dolet avait écrit à laConciergerie dans une heure de fièvre et que les soldats luiavaient enlevé pour le remettre à Gilles Le Manu.

…  …  …  …  … … .

Mathieu Orry se leva et donna lecture du document.

Puis il le commenta, on peut imaginer comment.

Le dernier passage surtout excita sa verve.

« Je voudrais qu’un jour un monument s’élevât à l’endroitmême où je vais souffrir, et que sur ce monument les jours de fête,les hommes enfin délivrés apportent quelque modeste offrande defleurs et qu’enfin le souvenir des iniquités présentes fût perpétuépar cette simple parole qu’on redirait aux foules d’année enannée :

« Ici on a brûlé un homme parce qu’il aimait ses frèreset prêchait l’indulgence et proclamait le bienfait de lascience.

« Cela se passait du temps où il y avait des rois commeFrançois et des saints comme Ignace de Loyola. »

Il fut dès lors avéré d’une façon formelle que l’accusé prêchaitla science, cause de tous les maléfices et source première detoutes les hérésies.

Le moine qui avait apporté le parchemin accusateur était retirédans un coin.

Il vit l’official Faye se pencher vers ses assesseurs.

Ceux-ci approuvèrent de la tête.

L’official lut alors la sentence, qui déclarait Étienne Doletmauvais, scandaleux, schismatique, hérétique, fauteur et défenseurd’hérésie et autres erreurs.

La sentence condamnait le savant à être brûlé en placepublique.

Les gardes entraînèrent aussitôt Dolet.

Seule, une femme s’écria :

– C’est grand’pitié de brûler un homme si beau et qui parlesi bien !

Cette femme fut arrêtée à l’instant. Et les siens ne purentjamais savoir ce qu’elle était devenue.

…  …  …  …  … … .

Après la condamnation, Lanthenay était sorti avec la foule, et,fou de désespoir, avait écrit quelques lignes pour Manfred.

Cocardère était aussitôt monté à cheval. On sait le reste.

Quant au moine à la cagoule noire, il avait attendu aussi lacondamnation, puis il était sorti, était monté dans un carrosse, ets’était fait conduire à l’hôtel du grand prévôt.

En entrant dans le cabinet de Monclar, cet homme se débarrassade sa cagoule.

– Quelle imprudence ! s’écria Monclar en l’apercevant.Si votre blessure se rouvrait, saint père !…

Loyola tressaillit et dit paisiblement :

– Vous me donnez là un nom qui ne s’accorde qu’au pape, monfils.

– Dans mon esprit, je voulais rendre hommage à votresainteté… mais dans le fait, pourquoi ne vous appelleriez-vous pasbientôt de ce nom ?

– Jamais ! dit tranquillement Loyola. Je perdrais lamoitié de ma force si j’acceptais la tiare… Quant à ma blessure,rassurez-vous… Je viens vous apporter une bonne nouvelle :Dolet est condamné… Le reste vous regarde, en votre qualité degrand prévôt.

– Quand voulez-vous que s’élève le bûcher ?

– Demain, mon fils.

– Demain !

– Oui, Dolet a des amis audacieux ; tant que jen’aurai pas vu de mes yeux les flammes de son bûcher s’éleverautour de lui, je ne serai pas tranquille.

– Ce que vous désirez, mon père, est en dehors desusages.

– Il faut surprendre l’ennemi. D’ailleurs, l’official n’apas hésité à déclarer publiquement que le criminel expierait dèsdemain.

– Soit, mon père.

– Reste à savoir en quel endroit nous allons le brûler.

– Il y a la place de Grève…

– Oui, je sais. Place vaste et spacieuse, dit Loyolasongeur.

La conférence dura une heure encore entre Monclar etLoyola ; ce qui fut résolu dans cet entretien, nous netarderons pas à le savoir[1] .

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