La Cour des miracles

Chapitre 2UNE VICTOIRE DE FRANÇOIS Ier

Pendant que dans la Cour des Miracles s’achevaient lespréparatifs d’une résistance désespérée, d’autres événementss’accomplissaient.

On a vu que François Ier était venu avec M. deMonclar et une forte troupe, faire une perquisition dans l’enclosdes Tuileries, et que, ayant constaté la disparition de Gillette etdu chevalier de Ragastens, il était retourné au Louvre, décidé àprendre part à l’expédition contre les truands.

Or, dans la troupe que Monclar avait amenée à la maison deMadeleine Ferron, se trouvait un homme que nos lecteursconnaissent. C’était Alais Le Mahu.

Depuis qu’il avait aidé la duchesse d’Étampes à enleverGillette, Alais Le Mahu avait fort réfléchi.

Et le résultat de ses réflexions avait été que, d’une part, ildevait se méfier de la duchesse d’Étampes, et que, de l’autre,c’est sur lui que retomberait la fureur du roi s’il apprenaitjamais la vérité.

Lorsqu’il connut la mort soudaine de la vieille Mmede Saint-Albans, les réflexions d’Alais Le Mahu redoublèrentd’intensité.

– Ma pauvre amie est morte, se dit-il en se donnant àlui-même le simulacre d’essuyer une larme absente. Nous sommes tousmortels, il est vrai. Mais cette chère amie était de santé robuste.Or, on dit qu’elle est morte d’une colique inopinée… Je me suisrenseigné à la Bastille, et j’ai appris que la colique étaitsurvenue après un envoi de fruits… Qui avait envoyé lesfruits ? Mystère… Mais j’ai dans l’idée que ce mystèrepourrait bien s’appeler Mme d’Étampes. Or, moi, quidéteste les fruits et qui ne suis pas sujet aux coliques, onpourrait bien un de ces soirs, au détour de quelque rue sombre, mefaire avaler six pouces d’acier. Merci bien, madame d’Étampes…

Poursuivant le cours de ses méditations, maître Alais avaitensuite ajouté, toujours se parlant à lui-même :

– Et si Sa Majesté finit par savoir comment s’appellel’homme qui entraîna la jolie demoiselle ?… J’ai vu qu’onavait mis des cordes toutes neuves à toutes les potences de laville. Malepeste ! Que la corde soit neuve ou vieille, mon coun’a nul besoin d’une pareille cravate…

Et Alais Le Mahu avait décidé : 1° d’être sur ses gardesnuit et jour, 2° de tâcher de rendre au roi quelque signaléservice.

Comme nous l’avons dit, il faisait partie de la troupe deMonclar en cette soirée où fut visitée la maison des Tuileries.

Lorsqu’on eut donné le signal du retour, Alais Le Mahu sedemanda la cause de cette disparition soudaine des personnes qu’onvoulait arrêter. Il voyait que François Ier attachait unprix extraordinaire à cette arrestation, et que son désappointementavait été vraiment étrange.

Quelles étaient ces personnes qu’on avait vouluarrêter ?

Le Mahu l’ignorait.

Mais il se dit que celui qui ferait l’arrestation deviendrait ducoup un favori de Sa Majesté.

De tout cela, il résulta que Le Mahu, au lieu de suivre le roiet Monclar vers le Louvre, se cacha aux environs de l’enclos desTuileries.

– Si ces gens sont réellement partis, je n’aurai rien perduà attendre, dit-il. Mais comme on n’avait vu sortir personne, etqu’il est possible que personne en effet ne soit sorti, si je puisrapporter au roi quelque bonne nouvelle, j’aurai tout gagné àattendre. Attendons !

Alais Le Mahu, abrité derrière un massif de vieux arbres, se mitdonc en devoir de monter une garde sérieuse et attentive.

Son attente fut assez longue, et il allait renoncer à sa factionlorsqu’il vit quelqu’un sortir de la maison. Ce quelqu’un, aux yeuxd’un observateur quelconque, eût passé pour un jeune cavalier.

Il reconnut une femme.

C’était, en effet, Madeleine Ferron qui venait s’assurer, commeon l’a vu, que les environs étaient tranquilles.

Il s’apprêta à suivre le cavalier, ou la femme.

Mais elle rentra tout à coup dans la maison.

– Il faut attendre encore ! pensa Le Mahu. Toute lanichée doit être au nid, et je suis sûr qu’elle ne va pas tarder às’envoler.

En effet, dix minutes plus tard, une lumière se montra.

– Voici nos gens ! murmura Le Mahu.

Il vit sortir le jeune cavalier, puis deux femmes et deuxhommes.

À cinquante pas derrière Spadacape, qui formait l’arrière-gardede la petite troupe, Le Mahu se mit à marcher prudemment, sedissimulant le long des arbres tant qu’on fut loin des rues, et lelong des maisons lorsqu’on fut en plein Paris, se jetant ventre àterre toutes les fois qu’il voyait s’arrêter la haute silhouette deSpadacape.

Lorsqu’on arriva rue Saint-Denis, Alais Le Mahu changea detactique.

Il s’avança au milieu de la chaussée en chantant une chanson àboire.

Et il dépassa ainsi d’abord Spadacape, puis Ragastens escortantles deux femmes.

Le plan de Le Mahu était d’essayer de voir au moins l’un de cesvisages. Il vit bien Spadacape et Ragastens…

Mais ils lui étaient complètement inconnus.

Quant aux deux femmes, elles étaient si bien encapuchonnéesqu’il était impossible de distinguer leurs traits.

Un coup de vent décoiffa tout à coup les deux femmes, au momentoù la petite troupe passait dans la zone de lumière qui sortait dela devanture d’un cabaret.

Le Mahu, qui entonnait à tue-tête le quatrième couplet de sachanson à boire, s’arrêta court, saisi.

Déjà les deux femmes avaient replacé leurs capuchons.

Mais Le Mahu avait reconnu l’une d’elles.

Il se mit à tousser fortement, comme s’il eût voulu expliquerl’arrêt de son couplet, puis recommença à chanter, et bientôtdisparut en avant.

– La petite duchesse ! dit-il en lui-même. C’est lapetite duchesse ! Le joli petit oiselet que j’avais conduit encette fort vilaine cage, par ordre de Mmed’Étampes ! Ah ! ça, elle s’est donc sauvée ?Morbleu ! voilà qui prend bonne tournure, il mesemble !

Ayant dépassé à son tour Madeleine Ferron, Le Mahu se contentade garder une avance suffisante pour ne pas perdre de vue ceuxqu’il filait ainsi. Le mot filer n’est pas de l’époque,sans doute, mais il rend très bien le genre d’espionnage auquel selivrait Le Mahu.

Tout à coup, il les vit disparaître dans une grande belle maisond’aspect bourgeois et presque seigneurial.

Il revint alors sur ses pas, nota soigneusement la maison quiétait d’ailleurs très facile à reconnaître.

– C’est ici le gîte définitif, murmura-t-il. Je comprendstout. L’homme qui accompagne les deux femmes est un parent, unfrère peut-être de la petite duchesse de Fontainebleau. C’est luiqui l’a enlevée de la rue des Mauvais-Garçons, de chez laMargentine. Le roi l’a vue par hasard dans la maison des Tuileries.Mais il y avait une cachette dans la maison. Et maintenant, c’estici qu’ils vont se cacher. Bonne chasse, par tous lesdiables !

Et Le Mahu, tout joyeux, prit grand train la direction duLouvre. Chemin faisant, le bandit réfléchissait à ce qu’il devaitfaire.

– Dois-je prévenir la duchesse d’Étampes ? Dois-jeprévenir le roi ? Lequel des deux maîtres vais-jechoisir ?

En arrivant au Louvre, Le Mahu était décidé à tout dire au roi.Sans compter qu’il saurait bien mettre à profit le moment de bonnehumeur que la nouvelle apportée par lui procurerait au roi.

Le Mahu était officier subalterne.

Il discuta avec lui-même s’il demanderait une somme d’argent ouun grade. Il se décida pour l’argent.

On a pu voir déjà que Le Mahu était un esprit très pratique.

En arrivant au Louvre, il trouva qu’il se faisait un étrangeremue-ménage. Plusieurs compagnies d’arquebusiers se rangeaientdans la grande cour à la lueur des falots que portaient deslaquais.

Dans les écuries, on sellait les chevaux.

Un grand nombre de seigneurs de la cour étaient déjà à cheval entenue de guerre, c’est-à-dire cuirassés, l’estramaçon battant lesflancs de leurs montures.

Le grand prévôt, isolé, immobile, assistait sans mot dire à tousces préparatifs.

Le Mahu se dirigea vivement vers les appartements du roi.

– Je veux parler à Sa Majesté, dit-il à Bassignac.

– Comme cela ? Sans demander audience ?

– C’est une nouvelle importante que j’apporte au roi.

– Dites-la moi et je la transmettrai à Sa Majesté.

– Non, dit-il. Je garde ma nouvelle.

Et Le Mahu tourna les talons.

Il se disait qu’il trouverait bien le moyen de parler au roi,qui devait monter à cheval pour assister à l’attaque de la Cour desMiracles…

– Donner ma nouvelle ! grondait-il. Je donneraisplutôt ma main au bourreau ! Alors, c’est moi qui aurais pristoute la peine, et c’est Bassignac qui en profiterait ? Car jeconnais le roi. Dès qu’il saura la chose, il jettera une chaîned’or quelconque à celui qui l’aura prévenu et il ne pensera plus àlui !

Vers onze heures, il se fit un grand mouvement dans la cour duLouvre.

Les compagnies défilèrent silencieusement.

Chaque officier venait prendre les ordres de Monclar qui, penchésur le cou de son cheval, donnait à chacun des indicationsprécises.

Le roi parut tout à coup, entouré d’une dizaine de ses favoris.Il se mit en selle.

Près de lui, le grand prévôt attendait.

– Quand vous voudrez, monsieur, dit le roi.

– Nous sommes prêts, sire.

Le roi fit un geste, et se mit en route, causant avec LaChâtaigneraie qui était à côté de lui.

Le Mahu avait sauté sur son cheval, et pris la suite, à la queuede l’escorte des seigneurs.

Mais lorsqu’on eut franchi la porte du Louvre, il prit le trot,et s’avançant, s’arrêta à la hauteur du roi.

– Que veut cet homme ? dit FrançoisIer.

– Sire, s’écria Le Mahu, j’apporte à Votre Majesté desnouvelles de l’enclos des Tuileries.

Le roi eut un tressaillement.

Il fit un geste, et ceux qui l’entouraient demeurèrent quelquespas en arrière.

– Viens ça, dit-il à Le Mahu.

Celui-ci se plaça près du roi.

– Parle, fit le roi d’un ton bref.

– Sire, dit Le Mahu, je sais où se trouve la duchesse deFontainebleau.

– Qui es-tu ? dit François Ier enpâlissant.

– Un pauvre officier obscur, perdu au plus bas del’échelle, sire !

Et il ajouta avec impudence :

– Mais j’espère que Votre Majesté daignera ne pas oublierle pauvre diable qui s’est dévoué…

Le roi regarda avec dégoût cet homme qui, avec une pareillegrossièreté, réclamait sa récompense.

– Qu’as-tu fait ? demanda-t-il.

– Voici : lorsque tout le monde a eu quitté la maisonde l’enclos des Tuileries, j’ai eu l’idée de rester, moi !

– Ah ! ah !… Et tu as vu quelque chose ?

– J’ai vu sortir de cette maison cinq personnes :trois femmes et deux hommes. L’une des trois femmes était déguiséeen cavalier. De ces trois femmes, je n’en connais qu’une. Quant auxdeux hommes, je ne les connais ni l’un ni l’autre.

– Et celle que tu connais ?

– Je la connais pour avoir eu l’honneur de l’apercevoirétant de garde à la porte de la grande salle des fêtes : c’estMme la duchesse de Fontainebleau.

– Tu es sûr ?

– Aussi sûr que j’ai l’insigne faveur de me trouver près deVotre Majesté en ce moment, faveur qui comptera dans ma pauvreexistence, quand bien même il conviendrait à Votre Majestéd’oublier…

– C’est bien, je n’oublierai pas… Continue.

– Eh bien, sire, lorsqu’ils ont quitté la maison desTuileries, il m’est venu une autre idée : celle de les suivre.Et si Votre Majesté avait par hasard le désir de revoir d’ici unedemi-heure Mme la duchesse de Fontainebleau, je mecharge de l’y conduire.

Le roi se retourna alors sur sa selle.

– La Châtaigneraie, dit-il, envoie-moi M. de Monclar.

– Me voilà, sire, dit le grand prévôt qui chevauchait àdeux ou trois rangs en arrière.

– Monclar, dit François Ier, vous ferez établirdemain un bon de mille écus de six livres sur mon trésor, au nomde…

Et il interrogea Le Mahu d’un regard plein de cette insolencequ’il aimait à affecter parfois.

– Alais Le Mahu, officier aux arquebusiers de Sa Majesté,dit Le Mahu.

Monclar le regarda avec indifférence.

– Es-tu content ? reprit le roi.

– Votre Majesté me comble, fit le bandit.

Six mille livres étaient en effet pour lui une fortuneinespérée. Mais au prix qu’attachait le roi au renseignement qu’ilapportait, il put juger de sa véritable valeur et se promit de nepas en rester là.

– Monclar, avait continué le roi, choisissez-moi uneescorte d’une vingtaine d’hommes et continuez sans moi vers la Courdes Miracles.

Le grand prévôt s’inclina et fit demi-tour.

Deux minutes plus tard, une vingtaine de cavaliers vinrent seranger derrière le roi qui, faisant signe à ses trois fidèles de lesuivre, prit le trot en disant à Le Mahu :

– Marche devant !

Après un temps de trot de vingt minutes, la troupe, guidée parAlais Le Mahu, s’arrêta devant la maison.

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