La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 12

 

Les deux hommes que le faux Yvan avait devant lui étaient desolides gaillards taillés comme des lutteurs antiques. En outre,ils avaient ce visage impassible de gens qui obéiront quand mêmeaux ordres qu’ils ont reçus, et qui ne se laisseront pas attendrir.Le faux Yvan était entré devant la comtesse. Celle-ci ferma laporte. Alors elle regarda le prétendu cousin de Vasilika et luidit :

– Esclave, puisque tu es russe, tu dois savoir le châtimentqu’on réserve à ceux qui ont usurpé un nom et un titre auxquels ilsn’avaient aucun droit.

– Madame… balbutia le faux Yvan… je ne vous comprendspas…

– Comment te nomme-t-on ?

– Yvan Potenieff.

– Tu mens.

– Madame…

– Tu es un moujik appelé Pierre.

Pierre le moujik, car c’était lui, se prit à pâlir et àtrembler.

– Esclave, reprit Baccarat, tu vas être châtié.

En même temps elle fit un signe. Les deux hommes seprécipitèrent sur lui et le terrassèrent.

– Au secours ! hurla Pierre.

– Si cet homme crie trop fort, dit la comtesse Artoff,tuez-le.

Pierre le moujik tomba à genoux.

– Madame… madame… dit-il, ayez pitié…

Baccarat ne répondit pas.

– Je vous dirai tout…

– Quoi, tout ? fit-elle.

– Oui, pourquoi j’ai dit que je m’appelais YvanPotenieff.

Baccarat ne lui ordonna point de parler, et les deux valets luiarrachèrent son habit d’abord. Pierre dit encore :

– C’est la comtesse Vasilika qui l’a voulu.

– Ah ! fit Baccarat avec indifférence.

– Depuis huit jours que je suis à Paris, continua lemoujik, on m’a enfermé ; on me donne des leçons de maintien,on m’apprend à devenir un parfait gentleman, tout cela pour jouerle rôle de M. Yvan.

– Pourquoi ?

– Parce que j’ai la même voix que lui.

Après l’habit, les valets lui avaient ôté sa chemise. Cependantils ne frappaient pas encore et attendaient que Baccarat fît unsigne. Mais Baccarat ne se pressait point.

– Sais-tu où est Yvan ? dit-elle.

– Yvan ?

– Oui, M. Potenieff ?

– Je ne sais pas, répondit le moujik.

– Prends garde ! Si tu le sais, tu feras bien de me ledire.

– Je ne sais pas, répéta-t-il. La comtesse Vasilika ne meconfie pas ses secrets.

– Tant pis pour toi, répondit Baccarat, car une pareillerévélation pourrait seule te sauver du châtiment que je t’airéservé.

Et Baccarat rouvrit la porte et dit à ses gens :

– Cinquante coups de knout ; allez !

Elle s’en alla et reprit sa route à travers le jardin d’un paségal et calme. Un homme l’attendait caché dans un massif, àmi-chemin du pavillon et de l’hôtel. Cet homme c’étaitRocambole.

– Eh bien ? lui dit-elle.

– Rien encore.

– Vous n’avez rien appris ?

– Une seule chose, c’est qu’on a vu la voiture deM. de Morlux sortir de la rue Cassette.

– C’est beaucoup déjà.

– L’homme de qui je tiens ces renseignements et qui n’estautre que le prétendu chiffonnier de la nuit dernière, a suivi lavoiture jusqu’au carrefour de la Croix-Rouge. Malheureusement, ilétait en voiture lui-même. Un encombrement comme il y en a souventdans ce quartier, ne lui a pas permis de suivre plus longtemps lacalèche de M. Morlux.

– Qui donc s’y trouvait ?

– M. de Morlux et la comtesse étaient assis l’unvis-à-vis de l’autre.

– Et Yvan ?

– Il était auprès de Vasilika. Quand l’encombrement acessé, la calèche avait disparu depuis longtemps. Noël n’en a pasmoins – à pied cette fois – battu tout le quartier, fureté partout,demandé à droite et à gauche. Il est resté dans le faubourgSaint-Germain près de deux heures. Comme il s’en allait, et prenaitla rue du Vieux-Colombier, la calèche a reparu. Elle sortait de larue Cassette et s’est éloignée au grand trot.

– Ah !

– Mais Yvan n’y était plus ; Noël a eu le temps de leconstater.

– Il faudra fouiller la rue Cassette demain, dit Baccarat.Rocambole tressaillit et entendit des cris sourds qui partaient dupavillon.

– Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il.

– C’est le knout qui fait son office, répondit-elle.

– N’avez-vous plus rien à m’ordonner ?

– Non, pour ce soir, du moins… Ah ! s’interrompitBaccarat, avez-vous vu la petite dame en question ?

– Elle m’attend à six heures, répondit Rocambole.

Et il s’en alla. Non point en regagnant l’hôtel, mais en sedirigeant au contraire, vers l’extrémité du jardin. Il y avait encet endroit une petite porte qui donnait sur une ruelle dontBaccarat lui avait remis la clé. Cette dernière rentra dans lasalle à manger. La belle Russe s’y trouvait toujours. Nonchalammentcouchée sur une chaise longue auprès de sa table, entourée d’unbrouillard produit par la fumée de sa cigarette, rêveuse, leslèvres entrouvertes, Vasilika résumait en apparence, dans cetteattitude, le type d’une femme d’Orient qui n’a aucune préoccupationdans l’esprit, aucun orage dans le cœur. Elle leva à peine la têteen voyant entrer Baccarat. Celle-ci jeta son burnous sur un meubleet dit :

– L’air du soir est trop frais pour moi.

– Où est Yvan ? demanda Vasilika.

– Il fume dans le jardin.

Cette réponse satisfait la belle Russe, qui roulait en ce momentune nouvelle cigarette. Baccarat vint s’asseoir auprès d’elle.

– Comtesse, lui dit-elle, vraiment, vous aimez votrecousin ?

– À en mourir.

– Et vous renoncerez à lui ?

– Il le faut bien, puisqu’il ne m’aime pas.

Et Vasilika soupira.

– Pauvre Yvan, ajouta-t-elle, il aime éperdument cettepetite institutrice.

Baccarat eut un sourire :

– Vraiment, fit-elle, M. Yvan Potenieff inspire desemblables passions ?

– Vous ne le trouvez donc pas beau ?

– Peuh ! fit Baccarat.

– Et puis, il est brave… dit Vasilika fronçant lesourcil.

Les fenêtres de la salle à manger donnaient sur le jardin. L’uned’elles était ouverte. Tout à coup Vasilika, qui était retombéedans son silence, dit vivement :

– Qu’est-ce que ce bruit ?

– Entendez-vous quelque chose ? dit Baccarat aveccalme.

– Oui… il me semble qu’on crie…

– Où donc ?

– Là-bas… dans le jardin…

– Bah !

– On crie… on hurle… on appelle au secours…

– C’est possible, chère belle.

– Comment, dit Vasilika émue, cela ne vous trouble pasdavantage ?

– Non, car je sais ce que c’est…

Vasilika se leva. Une sorte de pressentiment l’assaillit.

– Qu’est-ce donc ? dit-elle.

– Deux de mes valets qui bâtonnent un homme qui m’a manquéde respect.

– Un homme qui…

– Un homme, continua Baccarat, qui a osé se moquer demoi.

– De vous ?

– En empruntant le nom d’un gentilhomme russe, alors qu’iln’est qu’un vil esclave.

Vasilika recula et jeta un cri.

– Cet homme, dit froidement la comtesse Artoff, se nommePierre le moujik et il a eu l’audace de s’asseoir à ma table, en sedisant votre cousin, chère belle.

Vasilika jeta un cri et fit un bond en arrière. Le tigre épiantsa proie, le jaguar prêt à bondir, le reptile monstrueux fascinantsa victime, le basilic, n’ont pas un regard plus terrible que celuidont Vasilika enveloppa la comtesse Artoff.

– Ah ! s’écria-t-elle ivre de fureur, vous vous placezsur mon chemin et vous voulez vous mêler de mes affaires… À nousdeux donc !

Elle avait un poignard dans son corsage. Ce poignard se trouvasubitement dans sa main, et le brandissant, Vasilika, la femmeélégante redevenue sauvage, bondit sur la comtesse Artoff pour lelui enfoncer dans le cœur.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer