La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 28

 

Comme Rocambole et Noël étaient tous deux vêtus en maçons,personne ne fit attention à eux dans le cabaret où ils entraient.Rocambole demanda du vin et alla s’asseoir dans le coin le plusobscur de la salle.

– Tu dis donc, fit-il, qu’il y avait un squelette contre lemur ?

– Oui, répondit Noël.

– Et un homme qui paraissait dormir, couché parterre ?

– Oui, maître.

– Es-tu bien sûr qu’il ne fût pas mort ?

– Je l’ai cru un moment ; un moment j’ai cru qu’on neme faisait creuser ce trou que pour l’enterrer. Mais…

– Mais quoi ?

– Puisqu’on ne me l’a pas fait reboucher, c’est que cethomme n’est qu’endormi.

– Je le pense comme toi, dit Rocambole, cet homme doit êtrele jeune Russe que nous cherchons.

– Je le pense aussi.

– Vasilika n’est pas femme à l’avoir tué. Ces femmes duNord ont la vengeance plus raffinée.

– Alors, maître, dites-moi cette histoire dont vous meparlez.

– Voici, dit Rocambole.

Et il se mit à parler provençal, langue que Noël et lui avaientapprise durant leur long séjour à Toulon.

– La maison dans laquelle tu es entré, dit-il, a étépendant fort longtemps inhabitée. Elle a même joui pendant trèslongtemps d’une réputation mystérieuse, et je vois qu’elle n’a paschangé de réputation.

– À qui appartenait-elle ?

– À une vieille dame qui habitait la province et n’étaitpas revenue à Paris depuis la révolution de Juillet en 1830.

– Mais elle a été louée depuis ?

– Pas avant 1840. Elle est demeurée dix ans inhabitée.

« La vieille dame est morte sans doute et ses héritiers ontdû en tirer parti, la vendre ou la louer. La vieille dame avait étéjeune, elle avait été belle, elle avait eu un mari. Un mari jaloux,acariâtre, insupportable. Ceci se passait au commencement del’Empire vers 1805. Le mari était officier. À cette époque, commebien tu penses, un militaire avait rarement le temps d’être auprèsde sa femme. Celui-ci était en Allemagne, à la suite de je ne saisquelle armée victorieuse, lorsqu’il reçut une lettre anonyme quil’avertissait charitablement de son malheur. Le colonel – il avaitce grade – revint à Paris comme la foudre. Puis au lieu de rentrerchez lui, il se logea dans les environs et épia sa femme. La belleavait un galant qui se glissait chaque soir dans l’hôtel. Un soir,madame la baronne X… l’attendit en vain. Le lendemain, mêmeattente. Les jours suivants, il en fut de même. L’amant mystérieuxavait disparu. Les années passèrent, l’Empire fit place à laRestauration. Le colonel, devenu général, obtint un commandement àParis. Jamais il ne fit un reproche à sa femme ; jamais un motne lui échappa qui pût lui faire supposer qu’il savait sa faute. Labaronne, frappée au cœur, était devenue une pauvre femme amaigrie,brisée et demandant la mort tout bas. Vainement elle avait cherchéà savoir ce qu’était devenu l’homme qu’elle avait aimé. Était-ilmort ou vivant ? Ce fut pour elle un long mystère. En 1830, legénéral fut tué dans les rues de Paris. Alors la baronne, devenuevieille, quitta son hôtel de la rue Cassette et se réfugia dans unchâteau qu’elle possédait en Touraine. Elle y est morte sansdoute.

– Sans rien savoir, demanda Noël.

– Probablement.

– Mais, que s’était-il passé ?

– Une chose effroyablement simple. Le colonel avait undomestique qui lui était dévoué. À eux deux, ils s’étaient emparésde l’amant comme il se glissait dans l’hôtel, avaient étouffé sescris, l’avaient bâillonné et garrotté. Puis, ils l’avaient descendudans le caveau d’où tu reviens, et ils l’avaient enchaîné par lecou et les pieds.

– C’est donc le squelette de cet homme que j’aivu ?

– Oui.

– Et il est mort là ?

– Sans doute ; mais ce n’est pas tout encore.

– Ah !

– Tu vas voir. Et, dit Rocambole, voici où se placent messouvenirs du club des Valets de cœur. Sir Williams, mon patron,avait toujours été frappé par l’aspect solitaire et mystérieux decette maison. Il me dit un jour :

« – Il n’y a là qu’un vieux domestique qui ne sort jamais.Si tu veux, nous tenterons un bon coup. Cette maison doit renfermerdes trésors.

« – Cela me va, répondis-je.

« Une nuit, nous pénétrâmes dans l’hôtel, à l’aide defausses clés, et nous trouvâmes le vieillard dans une chambre durez-de-chaussée. Un filet de lumière passait sous sa porte. Nousétions entrés sans bruit. Sir Williams s’approcha doucement etcolla son œil au trou de la serrure. Le vieillard n’était pascouché ; il s’était mis à genoux devant un crucifix et priaità haute voix.

« – Mon colonel, disait-il, on dit que les morts reviennentparfois ; si cela est vrai, revenez et déliez-moi du sermentque je vous ai fait. Déliez-moi pour que les ossements de cemalheureux reçoivent enfin la sépulture.

« Ces mots nous intriguèrent. D’un coup d’épaule, sirWilliams fit sauter la porte. Le vieillard jeta un criperçant ; mais sir Williams bondit sur lui, un poignard à lamain, et lui dit :

« – Si tu cries, je le tue !

« Alors, sous cette menace de mort, le vieux domestiquenous raconta cette lugubre histoire. Il nous conduisit dans lecaveau et nous montra le squelette encore attaché au mur. Puis ilfrappa de son poing sur le mur et nous dit :

« – Il y a là un autre caveau.

« Mon maître avait fait faire un trou, et dans ce deuxièmecaveau il y avait un jeu de glaces habilement combiné quireflétait, au fond du cachot où cet homme a vécu dix ans, tout cequi se passait dans le jardin de l’hôtel. Quand il est mort – caril a vécu près de dix ans –, j’ai fait murer le trou.

– Mais, interrompit Noël, je ne comprends pas, maître.

– Écoute bien, reprit Rocambole.

– Voyons ?

– Ce second caveau, celui que tu viens de découvrir enperçant le mur que le vieux domestique avait fait reboucher, avaitun soupirail qui donnait à fleur de terre sur le jardin. Cesoupirail avait été fermé par une glace sans tain d’une très forteépaisseur. En face, dans l’intérieur du caveau, on avait placé uneautre glace étamée, un peu inclinée, dans laquelle le jardin toutentier se reflétait. De l’endroit où il se trouvait enchaîné, lemalheureux pouvait voir cette glace, et, par conséquent, presquechaque jour celle qu’il aimait, et qui le pleurait comme mort, sepromener triste et silencieuse. Pendant dix années il avait eu cespectacle, vengeance raffinée s’il en fut. On lui apportait àmanger chaque nuit, diminuant graduellement sa ration, de tellefaçon qu’il avait mis dix années à mourir de faim. C’était le vieuxdomestique qui s’était chargé de cette besogne.

– Mais, c’est épouvantable cela, dit Noël.

– Oui, répondit Rocambole. Et Vasilika a dû surprendre cesecret. Que compte-t-elle faire ? Comment se servira-t-elle decette découverte ? C’est ce que je ne sais pas, c’est ce queje veux savoir.

– Mais le vieux domestique ? demanda encore Noël.

– Sir Williams l’envoya rejoindre son colonel d’un coup depoignard, après lui avoir promis toutefois de faire enterrer lesquelette ; mais nous avions, ma foi ! bien autre chose àfaire. Nous dévalisâmes sa maison : il n’y avait pasgrand-chose, du reste.

Comme Rocambole achevait son récit, la porte du vieil hôtel dela rue Cassette s’ouvrit, et Vasilika en sortit.

– Bon, dit Rocambole, nous allons savoir ce qu’elle comptefaire de sa découverte…

Vasilika sortit à pied, tourna l’angle de la rue et se dirigeavers la place Saint-Sulpice. Noël la suivit, tandis que Rocamboledemeurait dans le cabaret. Noël, qui cheminait à distance, vit lacomtesse Vasilika remonter en voiture. Il l’entendit indiquer aucocher les Champs-Élysées et il se dit :

– Elle rentre chez elle.

Puis il vint rapporter tout cela à Rocambole.

– Eh bien ! dit celui-ci, si tu veux, nous allonsfaire une petite visite domiciliaire dans cette maisonmystérieuse.

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