La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 7

 

Il n’y avait personne dans le cabaret d’où sortait Pierre lemoujik.

La nuit était sombre, aucun passant dans la rue, personne auxfenêtres.

Rocambole dit à Pierre :

– Ne t’avise pas de crier. Avant qu’on ne soit venu à tonaide, tu es un homme mort.

Pierre répondit :

– Je ne crierai pas, et si vous me payez aussi bien que lacomtesse Vasilika, ma maîtresse, je vous servirai comme je l’aiservie.

En même temps, un rire hideux et bruyant passa à travers seslèvres. Ce rire disait toute la bassesse de cette âme vénale. Dumoins Rocambole s’y trompa. Vasilika avait payé cher ; elleavait été bien servie. Si Rocambole payait plus cher, il seraitservi mieux encore. Aussi répondit-il au moujik :

– Les parents de l’enfant que nous cherchons sont plusriches que la comtesse Vasilika. Parle, combien tefaut-il ?

– Je veux cent mille francs, dit le moujik.

– Tu les auras.

– Quand ?

– Demain.

– Je ne crois aux paroles données que lorsqu’elles seréalisent tout de suite, répliqua le moujik avec cynisme.

– Mais si tu ne veux pas parler, je vais te tuer !

– Je le sais bien.

Et Pierre croisa ses bras sur sa poitrine avec l’indifférenced’un homme qui ne craint pas la mort.

– Je suis un pauvre serf, dit-il, la misère a présidé à monberceau ; j’ai été battu comme une bête de somme pendant toutema vie ; je ne tiens à l’existence qu’à la condition d’êtreriche. J’allais l’être quand une mauvaise étoile m’a jeté sur votrechemin. Vasilika n’a plus besoin de moi ; elle allait me payeret je partais demain. Je vous rencontre et je sais bien que vousallez me tuer, si je ne parle pas. Mais, dans tous les cas,maintenant, Vasilika ne me donnera pas l’argent qu’elle m’a promis.Par conséquent, frappez !…

– Et si je te donne les cent mille francs que tu medemandes ? fit Rocambole que cet entêtement surprenaitétrangement et qui, pour la première fois peut-être, rencontraitune volonté aussi énergique que la sienne.

– Si vous me les donnez, je vous conduirai là où estl’enfant.

– Il est vivant, au moins ?

Et en faisant cette question, Rocambole ne put se défendre d’unevive émotion.

– Il l’est encore, dit le moujik ; mais le sera-t-ildemain ?

Rocambole frissonna.

– Ah ! reprit le moujik, si vous saviez quelle femmeest cette Vasilika !

– Marchons ! dit Rocambole.

Milon et Vanda avaient assisté muets à ce colloque. Rocamboleprit le moujik par le bras et le fit marcher rapidement vers laSeine. Au bout d’un quart d’heure, ils arrivèrent à cet endroit oùle quai de la rive gauche finit et n’est plus qu’un chemin dehalage. Là, Rocambole dit à Pierre :

– Pour te donner les cent mille francs, il faut passerl’eau et aller chez la comtesse Artoff. Dans quel quartier estVasilika ?

– Dans celui-ci.

– Et l’enfant ?

– Avec elle. Elle ne le quitte ni jour ni nuit.

– Alors, nous allons attendre ici. En même temps, il dit àVanda :

– Passe le pont ; tu trouveras bien une voiture del’autre côté de l’eau. Cours rue de la Pépinière, chez la comtesseArtoff et demande lui les cent mille francs. Elle est assez richepour avoir cette somme chez elle.

– J’y vais, dit simplement Vanda.

– Et hâte-toi, murmura Rocambole, car quelque chose me ditque nous n’avons pas de temps à perdre.

Vanda était déjà loin, et le moujik restait aux mains deRocambole et de Milon. Le moujik reprit :

– Savez-vous ce que Vasilika veut faire del’enfant ?

– Non.

– Elle veut le faire mourir de faim.

Les cheveux de Rocambole se hérissèrent.

– C’est sa vengeance, reprit le moujik, car elle sait bienque l’enfant mort, sa mère en deviendra folle et en mourrapeut-être…

– Oh ! murmura Rocambole en frissonnant.

– Et ce double coup vous tuera…

– Oui, c’est bien cela… elle a tout deviné.

– Mais elle n’accomplira pas son dessein, s’écria Milon.Nous sommes là, nous.

Le moujik parut se raviser tout à coup.

– Mais, dit-il, qui m’assure que lorsque je vous aurai ditoù est l’enfant…

– Eh bien ?

– Et que vous m’aurez donné les cent mille francs, que vousne me les reprendrez pas ?…

– Comment ?

– Vous êtes deux et je suis seul, vous avez des armes, jen’en ai pas…

– Regarde-moi bien en face, dit Rocambole ; quand jepromets, je tiens.

Le moujik vit briller dans l’ombre les yeux de celui que Milonappelait le maître.

– C’est bien, dit-il, je vous crois.

Une heure s’écoula. Puis on entendit un bruit de voiture sur lepont. C’était Vanda qui revenait.

– J’ai les cent mille francs, dit-elle en sautant lestementà terre.

– C’est bien. Renvoie la voiture.

En même temps, il prit un portefeuille que Vanda lui tendit, etil le remit au moujik.

– Voilà le prix de ta trahison, dit-il. À présent,parle.

– Venez, répondit Pierre. Nous sommes tout près.

Et il leur fit suivre le quai jusqu’à l’avenue deLatour-Maubourg. Puis, étendant la main et leur montrant une maisonisolée :

– C’est là.

– Là ? fit Rocambole.

– Voyez-vous ce jardin ?

– Oui.

– Et cette lumière qui brille à travers lesarbres ?

– C’est là ?

– C’est le cabinet de Vasilika. Elle est seule avecl’enfant. Elle m’attend. Mais prenez garde… il faut entrer sansbruit… et seul…

– Pourquoi seul ?

– Parce que, si elle vous entend marcher, elle croira quec’est moi.

En même temps, il leur fit tourner la maison, dont la porteétait dans la rue, tandis que le jardin donnait sur le quai. Puisil donna une clé à Rocambole et lui dit :

– Entrez ! moi, je me sauve…

– Oh ! non pas ! dit Rocambole, je veux être sûrde ne pas être trompé.

En même temps, il s’adressa à Milon et à Vanda :

– Je vous confie cet homme, dit-il, ne le lâchez pasjusqu’à ce que je reparaisse.

– J’en réponds, dit Milon.

– Maître, murmura Vanda, veux-tu que j’aille avectoi ?

– C’est inutile.

– Maître… j’ai peur… peur pour toi.

Rocambole haussa les épaules. La maison était un petit hôtel àdeux étages, bâti à l’anglaise, comme on dit. Rocambole mit la clédans la serrure, prit son poignard et entra. Milon et Vandademeurèrent en dehors, Milon tenant le moujik au collet. Vandafrissonnante et assaillie par de sinistres pressentiments. La portes’était refermée. Alors l’œil du moujik brilla d’un feu sombre.L’heure de la vengeance allait-elle donc sonner pour lui ? Onn’entendait plus aucun bruit, et Rocambole pénétrait seul dans lamaison de son ennemie.

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