La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 4

 

Il est un personnage de cette histoire que nous avons depuislongtemps perdu de vue, le docteur Vincent. L’homme qui jadiss’était fait l’instrument du crime de M. de Morluxcontinuait sa vie de travail, de remords et de repentir. Il n’avaitpoint quitté la maison de la rue Serpente, dont la mère de Noëlétait concierge. Il couchait toujours en haut sur ce lit de sangleconfident de ses insomnies et de ses cauchemars, dans cettemansarde désolée où le major Avatar et Milon s’étaient vus pour lapremière fois. Un matin, bien avant le jour, le docteur venait dese mettre à la fenêtre, exposant au vent froid sa tête brûlante,lorsque la porte de son cabinet s’ouvrit. Le major Avatarentra.

– Vous ! fit le docteur Vincent en tressaillant.

– Monsieur, répondit Rocambole, je viens vous chercher pourdonner des soins à un homme qui va mourir.

– Et… cet homme ?

– C’est lui, dit Rocambole… Venez !…

Quelques minutes après, le docteur et son guide couraient Parisdans un coupé qui allait comme le vent et se rendait rue de laPépinière.

– De quoi se meurt-il donc ? demanda le docteur, commeils approchaient.

– D’un mal étrange que vous qualifierez scientifiquement,vous, mais que j’appellerai, moi, la folie furieuse de l’amour.

– À son âge ! exclama le docteur.

– Oui. Vous verrez.

– Mais quel âge a-t-il donc ?

– Il avait cinquante-cinq ans, il y a trois mois ;aujourd’hui, il a cent ans.

Le cocher demanda la porte et le coupé traversant la cour vints’arrêter au bas du perron. Il y avait sous la marquise undomestique que le docteur reconnut. C’était Noël. Noël dit àRocambole :

– J’ai cru tout à l’heure qu’il allait mourir de rage.

Rocambole traversa le vestibule, entraînant le docteur.

Noël le précédait, un flambeau à la main. Mais il ne prit pointle grand escalier comme on aurait pu le croire. Il ouvrit une porteau fond du vestibule. Cette porte masquait un escalier en coquilleque Rocambole et le docteur gravirent sur les pas de Noël. Cedernier, arrivé au premier étage, leur fit prendre un corridorassez étroit à l’extrémité duquel un filet de lumière passait sousune porte. Le docteur Vincent s’arrêta tout à coup,frissonnant.

– Quel est ce bruit ? dit-il.

En effet, des cris sourds qui n’avaient rien d’humain etressemblaient aux hurlements d’une bête fauve prise au piègearrivaient à son oreille. Noël poussa la porte qui se trouvait aufond du corridor. Alors les hurlements et les cris devinrent plusdistincts. Le docteur sentait ses cheveux se hérisser. Il était surle seuil d’une sorte de cabinet de toilette assez vaste, tendud’une étoffe de couleur sombre. Cette pièce était déserte.Rocambole fit un signe à Noël qui s’en alla, et le docteur et luidemeurèrent dans l’obscurité. Alors Rocambole s’approcha du mur etsouleva la draperie qui le couvrait. Soudain, le docteur fut frappéen plein visage par un jet de lumière, et il vit un vasistashabilement dissimulé dans la cloison qui séparait le cabinet detoilette de la chambre de M. de Morlux. Le vicomte Karle,à demi nu, était accroupi sur le parquet au milieu de la pièce.Rocambole n’avait point menti ; on eût dit qu’il avait centans. Ses cheveux étaient tombés ; il avait laissé pousser sabarbe, ses traits étaient devenus anguleux et son visage avaitcette couleur jaune et luisante qui est particulière au vieuxparchemin. Ses yeux, brillants de folie et de fièvre, ressemblaientà deux charbons ardents. Le vieillard se tordait les mains dedésespoir ; il hurlait plutôt qu’il ne criait.

– Écoutez-le ! dit tout bas Rocambole au docteur.

Karle de Morlux disait :

– Clorinde… Madeleine… qui que tu sois… je t’aime… Pourquoies-tu partie ?… pourquoi m’avoir fui ?… Je te donneraitout ce qui me reste… Je te couvrirai d’or… Mais il faut que tusois ma femme… il le faut !… Ne me trouves-tu pas assezcriminel pour mériter ton amour ?… Ô fille perdue… ô démon quijouait si bien le rôle de l’ange !… Eh bien ! quel crimeveux-tu que je commette encore ?… Qui faut-ilempoisonner ?… Qui faut-il tuer ?… Clorinde…reviens !… Ce n’est pas Madeleine que j’ai vue… c’esttoi !… Clorinde !… Clorinde !…

Et comme il se tordait les mains, comme il s’était mis à genoux,comme une bave sanglante bordait ses lèvres, tandis que ses yeuxpleins de fureur semblaient vouloir jaillir hors de leur orbite,une porte s’ouvrit, et Clorinde entra…

– Ah ! te voilà, te voilà !… dit-il. Je savaisbien que tu reviendrais. Elle le repoussa avec un éclat derire.

– Pauvre vieux ! dit-elle.

Il se jeta à genoux, il voulut lui prendre les mains ; ellele repoussa encore.

– ! Vieux ! dit-elle de sa voix éraillée, à bas lespattes, mon petit !… Qu’est-ce que tu veux ?

– Je t’aime !… hurla le vieillard.

– Merci ! tu n’es pas dégoûté, mon oncle.

Et elle continuait à rire de ce rire révoltant et cynique qu’onentend parfois la nuit s’échapper des cabinets de restaurant.

– Que veux-tu que je fasse ? je le ferai… reprit levieillard. Veux-tu ma fortune ?

– Imbécile ! tu es ruiné. Tu as tout rendu à ces deuxjeunes filles et à ton neveu.

– Je leur reprendrai tout… Je les assassinerai si tuveux.

– Allons donc !

– Mais tu m’aimeras, n’est-ce pas ? répéta-t-il setraînant autour d’elle sur les pieds et sur les mains, comme unchien tourne autour d’un maître irrité et demande son pardon.

Elle riait à se tordre.

– Moi t’aimer !… disait-elle… moi t’aimer !… Tues fou, tu es idiot !… tu deviens gâteux, mon bonhomme…

Il se redressa furibond, l’œil en feu, les lèvres écumantes.

– Il faut que tu m’aimes ! dit-il.

Et il voulut se jeter sur elle, mais elle le repoussaencore.

– Et Philippe, dit-elle, mon Philippe adoré…

Karle de Morlux hurlait de rage.

– Et si je te tuais ? dit-il encore.

– Avec ma permission, papa, dit une voix railleuse sur leseuil de cette porte que Clorinde avait laissée ouverte.

M. de Morlux vit entrer le peintre. Ce derniers’approcha de Clorinde et lui dit :

– Allons, viens donc, ma petite, et laisse ce vieux-làtranquille !

– Tu as raison, dit-elle. Adieu, papa.

M. de Morlux se précipita vers elle, mais le peintrele saisit par le bras et l’envoya rouler à l’autre bout de lachambre.

– Adieu, mon oncle, ricana Clorinde.

Et elle sortit. M. de Morlux qui s’était relevé,pirouetta un moment sur lui-même comme un tronc d’arbre déracinépar la foudre. M. de Morlux s’affaissa en poussant undernier cri. C’était le coup de grâce !… Cependant, son agoniefut longue. Pendant près de deux heures, immobiles, muets, derrièrela draperie du lit, Rocambole et le docteur Vincent virent un hommese débattre contre la mort, hurler, frissonner, essayer de serelever, tomber, se relever de nouveau pour retomber encore… Puisil eut un dernier cri, une dernière convulsion, il vomit un dernierblasphème, ses yeux devinrent fixes, son corps, plié en deux,s’allongea et demeura immobile, au milieu de cette bave sanglantequi n’avait cessé de couler de ses lèvres. M. de Morluxétait mort !… Mort de rage, mort sans repentir !…

– Mon Dieu ! murmura le docteur Vincent épouvanté,vous êtes donc inexorable !…

– Pas pour tous, lui dit Rocambole en l’entraînant.

– Que dites-vous ? s’écria-t-il frémissant.

– Que Dieu pardonne quelquefois, répondit Rocambole d’unevoix grave.

– Il ne me pardonnera pas, à moi !

Et le docteur eut un accent de désespoir sans limites.

– Vous vous trompez, il vous a pardonné.

– À moi !

– Il a cédé aux supplications de deux de ses anges, achevaRocambole.

Et comme Noël revenait avec un flambeau, Rocambole mit unelettre sous les yeux du docteur. Une lettre qui ne contenait qu’uneligne, mais une ligne sublime.

« Au nom de notre mère qui est au ciel, nous vouspardonnons !

« ANTOINETTE,MADELEINE. »

Le docteur Vincent tomba à genoux et leva sur Rocambole des yeuxpleins de larmes.

– Allez, monsieur, lui dit celui-ci, allez en paix. Lesorphelines ont prié pour vous.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer