La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 31

 

Les Russes sont familiers avec les poisons et les narcotiques.Cela tient à ce que la plupart des grandes familles moscovites ontdes esclaves géorgiens et circassiens, peuples essentiellementinitiés à la vie et aux habitudes de l’Orient. Vasilika avait eupour nourrice une Géorgienne. Cette femme, longtemps esclave enTurquie, savait préparer des poisons subtils, des narcotiquesfoudroyants et leurs antidotes. Quand elle mourut, Vasilika avaithérité de ses secrets. Le verre qu’Yvan Potenieff avait pris desmains de l’Italien Beruto et qu’il avait vidé d’un trait, contenaitun breuvage dont nous avons vu l’effet instantané. Yvan était tombécomme foudroyé. Cependant la vie ne l’avait point abandonné. Yvann’était point mort. Yvan avait été frappé d’une catalepsieidentique à celle qui avait permis à Antoinette de quitterSaint-Lazare. Rocambole et Vasilika possédaient le même narcotique.Le premier l’avait employé en pilules. L’autre s’en était servi àl’état liquide. Pendant trois jours consécutifs, Yvan avait étécomme mort ; pendant ces trois jours bien des choses s’étaientpassées sans doute dans le caveau où il était gisant. Enfin, leseffets de la catalepsie se dissipèrent peu à peu ; les senss’éveillèrent ; l’ouïe d’abord, puis l’odorat, puis enfin lavue. Yvan ouvrit les yeux. La lanterne suspendue à la voûte ducaveau brûlait toujours, projetant sa lueur sinistre autour d’elle.Le squelette était toujours là debout contre le mur, son carcan defer au cou. Mais Yvan, qui ne pouvait encore remuer ses membresraidis, aperçut quelque chose de nouveau. Il vit un trou noirau-dessus de sa tête. Qui donc avait creusé ce trou ? Était-ceune issue ? La porte du caveau était refermée, mais ce troului permettrait peut-être de se sauver. Et, songeant à sa liberté,Yvan se souvint. Il se souvint que Vasilika lui avait promis qu’ilsortirait, ajoutant :

– Mais il faut que vous sortiez d’ici comme vous y êtesentré, en dormant.

Et Yvan s’éveillait, et il était encore dans le caveau.

Vasilika avait donc menti ! Le jeune homme fut pris d’unaccès de rage ; et il fit de tels efforts qu’en moins de deuxheures il fut sur pieds et libre de ses mouvements. La catalepsies’était tout à fait dissipée. Alors il approcha le banc qui setrouvait dans le caveau, de ce trou, dont il ignorait ladestination et la profondeur. Mais comme il montait sur le banc, laporte du caveau s’ouvrit et Vasilika entra. Elle était seule, unflambeau à la main. Yvan ne la vit point armée de ce revolver aveclequel elle l’avait tenu à distance. De plus, elle était sourianteet calme.

– Bonjour, mon cousin, dit-elle.

Il la regarda avec colère.

– Est-ce ainsi que vous tenez vos promesses ?dit-il.

– Je viens les tenir.

– Ah ! je vais donc sortir d’ici ?

– Non.

Et elle ferma tranquillement la porte du caveau.

– Alors, dit Yvan avec emportement, que signifient cebreuvage que vous m’avez fait prendre… et ce trou quevoilà ?

– Ce breuvage, dit Vasilika, était nécessaire.

– Pourquoi ?

– Pour qu’on pût percer ce trou durant le sommeil qu’ilvous a procuré.

– Et ce trou ?

– Et ce trou va vous permettre de voir Madeleine.Regardez !

Et comme si une main invisible eût obéi à la parole de Vasilika,le trou noir devint tout à coup lumineux : on avait tiré unrideau. Ce rideau, qui couvrait sans doute l’épaisse glace sanstain qui séparait, à fleur de terre, le deuxième caveau du jardin,ce rideau tiré, la glace inclinée fit son office. Et Yvan,stupéfié, vit le jardin tout entier se refléter dans cette glace.Et dans le jardin, qu’inondait un joyeux rayon de soleil, Yvan vitun homme et une femme qui se promenaient au bras l’un de l’autre.Cet homme, il le reconnut à un battement précipité de son cœur.C’était M. de Morlux. La femme, il la reconnut aussi.C’était Madeleine. Et Yvan, livide de rage, sans voix, sanshaleine, continua à les regarder. Madeleine souriait ; elleparaissait heureuse. M. de Morlux lui pressait doucementla main, et ils paraissaient s’abandonner à une causerie charmante.Puis il vint un moment où M. de Morlux annonça sans douteune bonne nouvelle à Madeleine… Car Madeleine sauta au cou deM. de Morlux et l’embrassa. Yvan jeta un cri de rage.Mais tout aussitôt, la main invisible qui avait soulevé le rideaule laissa retomber. Le jardin disparut, la glace éteignit sesreflets, le trou redevint tout noir. Le spectacle fantasmagoriquedisparut.

– Eh bien ! dit Vasilika avec un sourire de triomphe,vous avais-je menti, mon cousin ?

– Je veux la tuer, dit Yvan.

– Non, répondit Vasilika. On ne se venge pas des gens quine vous aiment plus.

– Vous vous vengez bien de moi, vous ?

Vasilika se mit à rire.

– Vous vous trompez, dit-elle ; j’ai voulu vous donnerune leçon, voilà tout.

– Comment ?…

– Et vous prouver que lorsqu’un homme de votre rangs’amourache d’une petite maîtresse de français, il peut lui arriverles aventures les plus désagréables. Donnez-moi la main, mon cherYvan, et pardonnez-moi comme je vous pardonne.

– Mais… ma cousine…

– Vous êtes libre, Yvan, dit-elle encore. Mais à unecondition.

– Laquelle ?

– C’est que vous ne chercherez pas à revoir cette petitefille qui vous a oublié, et qui va devenir comtesse de Morlux.

– Je veux au moins lui écrire.

– Pour quoi faire ?

– Pour lui dire le mépris qu’elle m’inspire.

– À votre aise, répondit Vasilika avec indifférence.

Puis elle le prit par la main et lui dit :

– Venez !

Elle rouvrit la porte du caveau, et tenant toujours Yvan d’unemain et son flambeau de l’autre, elle le conduisit à l’escalier quimenait des caves de l’hôtel au vestibule. Yvan était en proie à unetelle surexcitation, à un tel désespoir, qu’il la suivait avec ladocilité d’un enfant. Une fois dans le vestibule, Vasilika ouvritune porte et Yvan se trouva de nouveau au seuil de cette sallebasse dans laquelle il avait déjeuné quelques jours auparavant. Latable était toujours au milieu. Seulement, au lieu d’être couverted’une nappe et d’un déjeuner, elle supportait des plumes et del’encre.

– Écrivez, dit Vasilika.

Yvan s’assit, prit une plume d’une main fiévreuse, et traça cesmots :

« Madeleine,

« Je vous hais et je vous méprise ! Ne cherchez jamaisà me revoir. Je quitte Paris à l’instant.

« YVAN. »

Puis il tendit la lettre ouverte à Vasilika. Celle-ci la prit,toujours souriante. En même temps elle courut au mur et pressa leressort. Le plancher joua, et Yvan, éveillé et les yeux ouvertscette fois, fut précipité de nouveau dans cet abîme mystérieux quil’avait englouti.

– Cette fois, murmura Vasilika superbe de haine et blanchede colère, tu n’en sortiras pas, et je viens de te plonger vivantdans ta tombe.

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