La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 8

 

Vasilika était seule. Seule dans une pièce assez sombre quidonnait sur le jardin. Dans un coin on avait dressé un lit, et surce lit était l’enfant. L’enfant, le front toujours enveloppé debandelettes, avait la fièvre et délirait. Il y avait trois joursqu’il était en cet état – trois jours qu’il n’avait pris aucunenourriture. D’abord, Vasilika, tigresse adoucie et rentrant sesongles, l’avait accablé de caresses en lui disant :

– Ta mère va venir !…

Et l’enfant avait attendu. Puis les heures avaient succédé auxheures, et la mère n’était point venue. L’enfant s’était mis àpleurer… Vasilika l’avait enfermé et laissé seul. La peur avaitchangé les pleurs de l’enfant en cris aigus. Vasilika l’avaitlaissé crier. Puis, comme les cris continuaient et commençaient àlui agacer les nerfs, Vasilika était revenue, armée d’un fouet, lafemme sauvage qu’elle était, habituée à faire périr sous la lanièreaiguë du knout les serfs attachés à sa terre. L’enfant avait eupeur. Vasilika avait frappé, frappé plusieurs fois, frappé encore.Et l’enfant, fou de douleur et d’épouvante, s’était tu subitement.Vasilika s’en était allée en disant :

– Maintenant, si tu cries, je recommencerai.

L’enfant se l’était tenu pour dit.

Il avait pleuré silencieusement, se tordant contre les torturesde la faim, murmurant tout bas le nom de sa mère, mais n’osant lerépéter tout haut, tant il redoutait le terrible fouet. Le sommeilvint en aide au pauvre enfant. Le lendemain, il s’éveilla avec ledélire. De temps en temps, Vasilika apparaissait avec son fouet, etl’enfant, pris de vertige, se taisait. La faim commença alors, dèsla fin du second jour, cette œuvre de destruction enfiévrée etlente qu’aucune plume ne saurait traduire. Il cria et n’eut pluspeur du fouet ; puis, les cris s’apaisèrent, ses yeuxdevinrent secs, un rire nerveux passa sur ses lèvres et leshallucinations commencèrent. Tantôt il croyait voir sa mère et illui tendait les bras en souriant. Tantôt il joignait les mains avecépouvante et disait :

– Grâce ! madame, grâce ! je serai bien sage… neme fouettez pas !…

Tantôt, enfin, il se revoyait dans sa troïka, avec les chevauxemportés, et il disait au moujik :

– Laisse-moi descendre… laisse-moi, je t’enprie !…

Et Vasilika, la froide et cruelle tigresse, suivait de l’œil lesprogrès de cette agonie et murmurait :

– Ah ! pourvu que Rocambole arrive avant que l’enfantne soit mort !…

« Je veux qu’il assiste à son agonie, je veux les couchertous deux sur le même lit funèbre…

Vasilika avait quitté ses vêtements féminins. Elle s’étaithabillée en homme. Ce soir-là, assise auprès de l’enfant qui allaits’affaiblissant de plus en plus – il ne prononçait plus que desmots incohérents –, Vasilika souriante murmurait :

– Pierre le moujik a pourtant dû exécuter mesordres, et il est impossible qu’il ne se soit pas trouvésur le chemin de Rocambole. Jusqu’à présent, les gens qui m’ontservie ne m’ont servie que pour de l’argent… et ils me servaientmal… l’argent ne donne pas de zèle… Mais celui-là, il me sert pourse venger, et la vengeance donne des forces, du courage, del’intelligence, du génie. Je crois en cet homme ! Oh !fit-elle encore avec un rire de damné, Rocambole tombera dans lepiège… il y tombera… j’en suis certaine. Il aura pris Pierre à lagorge ; il lui aura intimé l’ordre, le poignard à la main, dele conduire où était l’enfant… Pierre aura demandé de l’argent… Oncroit toujours un homme qui demande de l’argent… On le paye… et ons’imagine qu’il est acheté… Ah ! ah ! ah ! Et commeelle riait ainsi, elle entendit du bruit. La pièce où elle étaitdonnait à la fois sur le jardin et sur la cour. Vasilika vit unhomme qui la traversait. La nuit était noire pourtant, mais ce quela nuit personne n’eût vu, ce que, pendant le jour personnepeut-être n’aurait remarqué, Vasilika le vit. Elle vit que l’hommequi traversait la cour traînait légèrement la jambe. Celui qui,pendant dix ans, a eu une chaîne au pied, peut faire un effortsuprême, en plein jour et en pleine rue, quand il sent peser surlui le regard de ses semblables. Mais quand il est seul, quand uneviolente préoccupation le domine, cet homme s’oublie, et la jambequi a été cerclée et qui a traîné les maillons, reprend son allurefatiguée. L’homme qui marchait ainsi – c’était Rocambole !

– Allons ! murmura Vasilika, Pierre est intelligentjusqu’au bout… et ma victime est dans le piège…

En même temps, elle se jeta derrière une draperie.

 

Rocambole était entré. Il avait refermé la porte ; ilmarchait avec précaution. Rocambole était toujours, théoriquementdu moins, de l’école des vrais bandits. Sir Williams, son premiermaître, celui qui, vingt années auparavant, lui avait dit unjour :

– Rappelle-toi bien, mon garçon, que le malfaiteur qui sesert d’un pistolet est un imbécile ! Le pistolet fait dubruit, il tremble dans la main, il arrive rarement à sonbut. Quand il l’atteint, c’est aux dépens de celui qui s’en estservi. Le poignard est l’arme de ceux qui veulent frappersûrement.

Rocambole, on le sait, n’était plus un bandit. Rocambole s’étaitrepenti, il était devenu honnête ; mais à cette heure suprême,il s’était souvenu de la recommandation de sir Williams. Ilpénétrait donc dans cette maison, qui lui était inconnue, unpoignard à la main. Après la cour était un vestibule, dont la porteétait ouverte. Rocambole y entra. Le vestibule était dansl’obscurité ; mais à l’extrémité, une bande de lumière léchaitle sol. C’était la clarté d’une lampe passant sous une porte.Rocambole alla droit à cette porte, et, comme elle résistait, il lajeta bas d’un coup d’épaule. Alors il se trouva au seuil de cettevaste pièce, au fond de laquelle était l’enfant qu’il désirait.Vasilika avait disparu. Au bruit, l’enfant se dressa et cria :Maman ! Rocambole jeta un autre cri et ne fit qu’un bond. Ilprit l’enfant dans ses bras. On eût dit une lionne retrouvant sonlionceau volé par des chasseurs. Mais, comme il se retournait ets’apprêtait à l’emporter, il s’arrêtait muet et presque terrifié.Vasilika venait d’apparaître sur le seuil de cette porte enfoncéepar Rocambole. D’une main elle tenait une paire d’épées, de l’autreelle avait un pistolet. Un pistolet qu’elle braqua sur l’enfant,disant :

– Si tu fais un pas, je le tue dans tes bras !

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