La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 1

 

Elle était toujours en léthargie, la fille sauvage des steppes,dont Saint-Pétersbourg et la civilisation européenne n’avaient puadoucir l’indomptable énergie et les cruels instincts. Commel’avait dit le médecin que nous avons entrevu aux Champs-Élysées,un matin, la catalepsie de la comtesse Vasilika Wasserenoff offraitun caractère étrange. Elle était purement physique. Le corps étaitplongé dans un sommeil, un sommeil qui ressemblait à la mort –l’esprit veillait et avait toute sa lucidité. Pendant deux joursont eût juré qu’elle était réellement trépassée. Aucun indice,aucun signe extérieur n’accusait chez elle l’existence de la vie.Pierre le moujik, épouvanté, était allé chercher un médecin. Lemédecin, celui que nous avons vu, après une longue et minutieuseconsultation, avait découvert un battement de cœur, mais si faible,qu’il ne pouvait préciser si c’était la vie qui revenait ou lesderniers tressaillements qui précèdent la mort. Enfin, le troisièmejour, un phénomène s’était produit. La comtesse avait entrouvertles lèvres, et un souffle de voix s’était fait entendre :

– Je vis ! disait-elle.

Pierre le moujik jeta un cri de joie.

– J’entends tout ce qui se dit et se fait autour de moi,ajouta Vasilika.

Le médecin qui entendit ces paroles put alors préciser la naturede cette léthargie bizarre.

– Madame, dit-il, vous avez dû prendre quelque poisonindien.

Vasilika ne répondit pas.

– Madame, dit encore le docteur, si je savais quelle droguevous avez absorbée, je vous guérirais sur-le-champ.

Vasilika répondit :

– Je ne sais pas.

Quand le médecin fut parti, la comtesse dit :

– Pierre, sommes-nous seuls ?

– Oui, madame.

– Alors, écoute mes instructions. Je serai dans l’état oùtu me vois pendant cinq ou six jours. Mais tu agiras pour moi.

Et elle donna ses ordres à Pierre, nature intelligente etperverse, qui était bien digne de comprendre une femme commeVasilika. Or, trois jours après – c’était le cinquième de saléthargie –, Pierre rendait compte à sa maîtresse de ce qui s’étaitpassé.

– Madame, disait-il, Yvan et Madeleine se sont mariéshier.

– Après ? dit Vasilika, toujours immobile et raide surson lit, et ne pouvant, quelque effort qu’elle fît, parvenir àouvrir les yeux.

– Ils sont partis aussitôt. M. Agénor de Morlux et safemme, mariés à la même heure, sont partis également. Où vont-ils,je ne sais pas ; mais je sais que les deux couples doivent serejoindre et faire de compagnie leur voyage de lune de miel.

– Et le vicomte Karle ?

– Il est tombé foudroyé en sortant de l’église.

– Mais il n’est pas mort ?

– Clorinde l’a fait transporter chez lui et s’y estinstallée de nouveau. Quand il a repris connaissance, il a eu unaccès de rage, puis un accès d’amour furieux. Maintenant, c’estClorinde qu’il aime, Clorinde qu’il veut épouser, Clorinde qui neveut pas de lui.

– Il en mourra, dit Vasilika.

– Cela se pourrait bien, répondit le moujik d’un airindifférent.

– Et Rocambole ?

– Il fait ses préparatifs de départ. Vanda la Russel’accompagne, ainsi que Milon.

– Voilà ce qu’il faut empêcher à tout prix.

– En volant l’enfant.

– Oui.

– Je l’eusse déjà fait, mais j’attendais les ordres demadame.

– Es-tu toujours chez le carrossier Lelorieux ?

– Oui. Je travaille au traîneau, lentement, de façon àgagner du temps.

– Madame d’Asmolles est-elle venue voir sacalèche ?

– Deux fois.

– Avec son fils ?

– Oui, madame. Une fantaisie singulière s’est, du reste,emparée de l’esprit de M. d’Asmolles.

– Laquelle ?

– Il veut faire construire une troïka de poste et l’attelerensuite à la russe. La troïka, avec mes conseils et son habileté,Lelorieux la construira certainement. Mais ce sont les chevaux quine sont pas faciles à trouver.

– Il faut prendre les miens. Ils sont tout dressés.

– Madame la comtesse oublie que M. d’Asmolles connaîtla comtesse Artoff.

– Non, mais je t’indiquerai le moyen de faire acheter leschevaux à M. d’Asmolles sans qu’il sache qu’ils viennent demoi.

– Je serai le cocher, alors, et rien ne sera plus facileque de voler l’enfant.

Vasilika dit encore :

– J’entends bien sonner la pendule et je compte lesheures ; mais je me suis embrouillée dans mes calculs, etcomme je ne puis ouvrir les yeux, je ne sais pas quand il fait jouret quand il fait nuit, de telle sorte que je ne sais au justedepuis combien de temps je suis dans cet état.

– Depuis six jours, madame.

– Rocambole m’avait dit que je recouvrerais l’usage completde mes sens et de mes mouvements au bout de cinq jours.

– Il s’est trompé, dit le moujik ; mais j’ai entenduce matin une conversation du docteur avec son collègue qui m’afrappé.

– Que disaient-ils ?

– C’était le docteur qui parlait.

« – Ces cas de catalepsie sont si rares en Europe,disait-il, que la science est obligée d’hésiter. Lecurare, poison indien, amène quelquefois des résultatssemblables à celui que nous avons sous les yeux. Si la comtesseVasilika avait absorbé du curare, je la guérirais à l’instantmême ; mais si cette catalepsie a une tout autre cause, leremède que j’emploierais contre les effets du curare latuerait.

– Ah ! il a dit cela ? dit Vasilika.

– Oui.

– Et a-t-il parlé de ce remède ?

– Un coup de lancette dont la pointe aurait été trempéedans de la strychnine.

Vasilika garda un moment le silence. Puis elle ditenfin :

– On peut bien risquer sa vie quand il s’agit de se venger.Pierre, tu seras mon médecin.

– Moi, madame ?

– Il faut que tu te procures de la strychnine et unelancette.

– Mais… madame…

– Et à l’instant même, ajouta Vasilika. Quand doit venir lemédecin ?

– Ce soir.

– Quelle heure est-il ?

– Midi.

– Va ! ordonna Vasilika.

Pierre le moujik sortit. Une heure s’écoula. Pendant cetteheure, Vasilika acheva de ruminer ses projets de vengeance. Elleparlait et elle entendait. Tout le reste de son corps était endormicomme dans la mort. Elle entendit donc au bout d’une heure la portedu boudoir se rouvrir.

– Est-ce toi ? demanda-t-elle.

– C’est moi, répondit Pierre.

– As-tu la lancette ?

– Oui, maîtresse, ainsi qu’un flacon de strychnine.

– Alors, à l’œuvre !

– Mais, madame, je puis vous tuer…

– Obéis, esclave !

– J’obéirai, murmura Pierre.

– Retrousse les manches de ma robe, mets mon bras à nu,ordonna encore Vasilika. Est-ce fait ?

– Oui, madame.

– Pique une de mes veines.

Pierre hésita une seconde encore. Puis il trempa la lancettedans le flacon de strychnine et piqua la veine indiquée parVasilika. Le même phénomène qui s’était produit lors de larésurrection d’Antoinette se reproduisit alors mais rapide,instantané, foudroyant !… Vasilika rouvrit brusquement lesyeux. Puis son corps fut en proie à un brusquetressaillement ; ses membres raidis retrouvèrent leursouplesse, le cœur battit précipitamment, le visage pâle se colora,et un quart d’heure après Vasilika se dressait sur son lit, et deson lit, sautait sur le parquet pleine de vie et de force, l’œilétincelant et son indomptable énergie au cœur. Vasilika avaitretrouvé son corps. Vasilika sortait de ce long sommeil avec unevigueur nouvelle, et Vasilika venait de condamner Rocambole.

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