La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 3

 

Qu’est devenue la troïka ? Comme on a pu le deviner, leschevaux russes ont été dressés de longue main à cet emportementsubit. Pierre le moujik a donné un coup de sifflet et les chevauxont précipité leur course avec une telle furie qu’on eût dit qu’ilsétaient réellement emballés. Le Russe jette des cris, il asu devenir pâle et se montrer effrayé. L’enfant se cramponne à lui.Les chevaux ont monté la côte avec la vitesse de l’éclair. Mais làils ont obéi à leur conducteur. Au lieu de descendre vers la grillede Boulogne, ils se sont jetés brusquement à gauche, ont pris uneallée couverte qui se dirige vers Auteuil, et qui n’est d’ordinairefréquentée que par de rares piétons. L’enfant s’est retournéplusieurs fois pour voir si son père et sa mère le suivaient.Pierre lui dit :

– Tenez-vous bien, mon jeune monsieur, je finirai par lesarrêter.

La troïka descend vers la grille d’Auteuil, passe sous le pontdu chemin de fer, vole comme une flèche le long de la grande rue,tourne la fontaine, descend la rue Boileau, arrive au quai et coupeaudacieusement l’omnibus américain. Un pont est devant eux, leschevaux russes le franchissent. Ils étaient à Auteuil, les voilàsur le territoire de Grenelle. Pierre est d’une habileté sansexemple. Il s’est jeté dans une rue qui se termine en cul-de-sacque bordent quelques masures et de grandes usines. Ce n’est pointdans ce quartier qu’on viendra les chercher. Au bout de la rue estun monceau de gravats et de boue séchée au soleil. La troïka heurtecet obstacle et verse, un des chevaux s’abat. L’enfant estprécipité du haut du siège. C’était ce que Pierre voulait. Au mêmeinstant, on entend des cris perçants. Un coupé de maître quicroisait la troïka s’est arrêté, une dame en est sortieprécipitamment. En même temps, quelques femmes du peuple, assisesau seuil de leurs masures, se sont élancées pour relever le pauvrepetit qui est tombé sur la tête et s’est fait une blessure aufront. Le sang coule ; l’enfant a fermé les yeux en murmurantle nom de sa mère. La dame du coupé est élégante et jeune. Elleparle avec l’autorité que donne la fortune et la grâce émue quisied à la beauté. Tandis que Pierre se lève et rajuste ses chevauxqu’il a fini par maîtriser, la dame, qui paraît ne point leconnaître, fait transporter l’enfant dans sa voiture. Puis elledemande au moujik quel est son nom, celui du père et sademeure ; et, devant l’attroupement qui s’est fait autour dela troïka brisée, elle dit bien haut :

– Je vais ramener cet enfant à sa mère !

Et la foule bat des mains en voyant la jeune femme essuyer avecson mouchoir le sang qui inonde le front de l’enfant. Puis le coupépart. Vasilika est arrivée à son but, et le fils deM. d’Asmolles est en son pouvoir. Mais ce n’est pas auxChamps-Élysées, comme on pourrait le croire, qu’elle a faittransporter l’enfant évanoui. Entre le Champ-de-Mars et l’esplanadedes Invalides, un nouveau quartier s’élève sur les ruines d’unecertaine quantité de constructions misérables. Là où il y avaitautrefois des marchands de vin et des logis de chiffonnierscommencent à surgir de coquets hôtels ou de belles maisons àlocataires. L’avenue de Latour-Maubourg a été prolongée jusqu’à laSeine. Mais ce quartier est désert encore. C’est là que Vasilika acherché une retraite. La belle Russe est partie, aux yeux du mondeentier ; elle a quitté Paris en plein jour, il y a troissemaines environ. Tout le monde a pu voir l’hôtel qu’elle occupaitaux Champs-Élysées mis en vente. Tout le monde, ceux qui étaientintéressés surtout à ce départ, Rocambole, la comtesse Artoff, parexemple, savent que Vasilika Wasserenoff a quitté Paris un matin,par le train express de Cologne, et qu’elle se rend à Pétersbourg.Mais Vasilika est revenue. Elle est rentrée dans Paris, lelendemain même, par un train de nuit, et c’est dans une petitemaison de l’avenue de Latour-Maubourg, à l’angle du quai, qu’elleest venue guetter sa proie. Maintenant l’enfant est en son pouvoir.Maintenant elle murmure :

– Rocambole, je te tiens !

L’enfant évanoui a été placé sur un lit. Vasilika lui donne dessoins. D’ailleurs la blessure est légère et ne saurait avoir desuites fâcheuses. Enfin l’enfant revient à lui s’écrie :

– Où suis-je ? Où est maman ?

Et il regarde Vasilika avec de grands yeux étonnés.

– Mon petit ami, répondit Vasilika, remerciez le bon Dieu,car vous avez failli mourir.

L’enfant se souvient et murmure :

– Les chevaux qui galopent… la troïka… Pierre… j’ai eu bienpeur.

– Et votre mère aussi, sans doute, mon petit ami.

Et Vasilika l’embrasse avec une feinte effusion.

– Où est-elle donc, maman ? demande encorel’enfant.

– Elle viendra vous chercher ce soir.

Il regarda encore Vasilika et lui dit :

– Mais qui es-tu donc, toi, madame ?

– Une amie de ta mère, mon enfant.

– Mais, je ne t’ai jamais vue…

– C’est que tu ne me reconnais pas.

Il porte la main à son front :

– Oh ! j’ai bien mal, dit-il.

Vasilika lui a entouré la tête d’une bandelette imbibéed’arnica ; elle l’a pansé avec l’adresse d’un chirurgien et lasollicitude d’une mère.

– Ce ne sera rien, lui dit-elle, demain, tu serasguéri.

– Mais je suis donc chez toi, madame ?

– Oui, mon ami.

– Pourquoi maman n’est-elle pas là ?

– Parce qu’il ne faut pas qu’elle te voie ainsi meurtri, ilfaut qu’elle te retrouve avec ton joli visage, mon petit ami.

Ce raisonnement paraît fort sage à l’enfant :

– Tu as raison, madame, dit-il. Mais quand serai-jeguéri ?

– Demain.

– Bien vrai ?

– Je te le promets.

Et l’enfant, que la fatigue, l’émotion et la douleur ont brisé,finit par s’endormir.

 

La nuit est venue. Un homme se présente à la maison de l’avenuede Latour-Maubourg. C’est Pierre.

– Eh bien ? lui demanda Vasilika.

– Tout s’est passé comme nous l’avions précisé, ditPierre ; je suis resté plus d’une heure à l’endroit où j’avaisversé la troïka : ce qui a permis à M. d’Asmolles deretrouver nos traces.

« Il avait perdu beaucoup de temps, mais à force de serenseigner à tout le monde, il avait fini par me rejoindre. Madamed’Asmolles était à demi morte de terreur.

« – Où est mon enfant ? disait-elle.

« Les bonnes femmes du quartier l’ont rassurée en luidisant qu’une élégante dame l’avait pris dans sa voiture pour leramener chez ses parents. M. d’Asmolles et sa femme sontrepartis à toute vitesse avec l’espoir de retrouver le petit garçonà l’hôtel. Comme bien vous pensez, j’ai ramené les chevaux où jeles avais pris, la troïka chez Lelorieux, et je me suis sauvé.Lelorieux perd son contremaître et M. d’Asmolles soncocher.

Vasilika, tout en écoutant le récit du moujik, avait passé dansun cabinet de toilette attenant à son boudoir. Quelques minutesaprès, elle en ressortit habillée en homme. Sa haute taille, sesformes délicates et nerveuses se prêtaient à merveille à sondéguisement. On eût dit un adolescent qui prend sa premièreinscription de droit.

– Va me chercher un fiacre ! dit-elle au moujik, etsouviens-toi qu’en mon absence, tu me réponds de cet enfant sur tatête.

Mais Pierre ne bougeait pas et semblait se demander pourquoi samaîtresse s’habillait en homme.

– Sais-tu où je vais ? dit-elle en souriant.

– Non, maîtresse.

– Je vais rue des Martyrs, au gymnase Paz, prendre uneleçon d’armes.

– Une leçon ?

– Eh ! sans doute. Crois-tu que je veux poignarderlâchement Rocambole ? Non, non ! il vaut mieux que cela.Je veux le tuer d’un coup d’épée… loyalement… après qu’il se seradéfendu… Je veux que son châtiment suprême consiste à mourir de lamain d’une femme !

Pierre sortit pour obéir.

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