La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 23

 

M. de Morlux, un moment courbé et frissonnant sous leregard de ce jeune homme sans tache qui portait son nom, se crutréhabilité alors. Ou plutôt sa nature perverse reprit le dessus, etil se dit :

– Allons ! j’en aurai facilement raison.

Agénor lui dit :

– Mon oncle, je ne sais pas si Madeleine vous aimerajamais. Tout ce que je sais, c’est qu’elle aime Yvan Potenieff.Encore un homme que vous avez fait disparaître.

– Moi ? continua M. de Morlux.

Et il sut donner à sa voix un tel accent de franchise que sonneveu parut ébranlé dans sa conviction.

– Cette fois, dit M. de Morlux, je crois que tuperds la tête. Tout le reste est vrai. Cela est faux.

– Êtes-vous bien certain de ce que vous avancez, mononcle ?

– Je suis certain d’une chose.

– Laquelle ?

– C’est que M. Yvan Potenieff aimait assez Madeleinepour en faire sa maîtresse.

– Mais… sa femme ?

– Non, dit le vicomte. Yvan est ambitieux et sa femme estruinée. Yvan veut épouser sa cousine.

– La comtesse Vasilika.

– Oui, dit M. de Morlux qui prit un air naïf. Etsi tu veux retrouver Yvan adresse-toi à elle.

Agénor se leva.

– Mon oncle, dit-il, je vous laisse vingt-quatre heures deréflexion et je ne démords pas de mes conditions. Je reviendraidemain à pareille heure.

Et fit un pas vers la porte. M. de Morlux le retintd’un geste. La cupidité se réveillait au fond de son cœur.

– Crois-tu donc que la fortune de ces deux jeunes fillessoit si considérable ?

– Trois ou quatre millions, qu’il vous faudra rendre, mononcle, répondit sèchement Agénor.

Et il s’en alla. Quand il fut parti, Vasilika souleva ladraperie et reparut aux yeux du vicomte.

– Eh bien ! fit-il, croirez-vous ?

– Quoi ?

– Que c’est Madeleine qui est ici ?

– Oui, je n’en peux douter. Mais…

Et elle sut donner à ce mot, qui était une restriction, uneinflexion particulière.

– Mais quoi ? demanda M. de Morlux.

– Je vous engage à vous méfier.

– De qui ?

– De Rocambole et de la comtesse Artoff.

– Si mon neveu est avec moi, je ne les crains plus, dit levicomte.

– Oui, mais votre neveu ne forcera point Madeleine à vousépouser.

M. de Morlux soupira.

– Et tant que Madeleine aimera Yvan…

M. de Morlux interrompit brusquement la comtesse.

– Trouveriez-vous donc le moyen que Madeleine ne l’aimâtplus ?

– Peut-être.

M. de Morlux regarda vivement Vasilika. Celle-ci eutun sourire railleur.

– J’ai cru un moment, à votre attitude conquérante, quevous n’aviez plus besoin de moi, dit-elle.

– Ah ! madame…

– Les hommes sont ainsi faits, reprit-elle, avec dédain…mais je vous pardonne. Notre alliance tient donc toujours.

– Mais sans doute.

– Eh bien ! dit Vasilika, écoutez-moi.

Et elle se plongea nonchalamment dans une chauffeuse et s’yarrondit comme une jolie chatte.

– Parlez, dit le vicomte.

– Supposons, reprit la comtesse, qu’Yvan voie Madeleinedans vos bras.

– Bon !

– Et que Madeleine paraisse vous aimer.

– Mais… c’est impossible !

– Tout est possible. Supposons-le donc.

– Bon ! après ?

– Yvan devient jaloux.

– Très bien.

– Yvan écrit à Madeleine une lettre irritée.

– Et puis ?…

– Il quitte la France en même temps, où il feint de laquitter, ce qui est exactement la même chose. Madeleine a un accèsde dépit, Yvan est perdu pour elle ; Madeleine a besoin deconsolation ; il lui faut un protecteur. Elle vous aimait déjàcomme un père ; elle consent à vous aimer comme un mari.

– Je ne sais pas, murmura le vicomte, mais il me semble quetout cela, si vraisemblable que ce puisse être, n’arriverajamais.

– C’est que vous êtes amoureux, dit-elle en riant, et queles amoureux sont comme les enfants, ils deviennent sceptiques àforce de désir.

– Mais que comptez-vous faire ? demandaM. de Morlux en regardant la comtesse.

– Vous le verrez.

La voix du vieillard, ferme et sonore d’ordinaire, se prit àtrembler.

– Comment voulez-vous lui faire croire que je suis aimé deMadeleine ?

– C’est bien simple.

– Comment ? fit-il, secouant toujours la tête.

– Supposons que vous vous promeniez dans le jardin de cethôtel, un soir, au clair de lune.

– Avec Madeleine ?

– Naturellement. Vous êtes son oncle, elle vous donne lebras.

– Après ?

– À un moment donné vous lui dites :

« – Madeleine, je t’annonce une visite.

« Elle tressaille et regarde. Vous ajoutez :

« – M. Yvan Potenieff va venir ce soir même medemander votre main.

« Madeleine jette un cri de joie et vous saute au cou.

– Eh bien ? fit M. de Morlux, qui necomprenait pas encore.

– Maintenant, reprit la comtesse, supposez encore que, àune distance assez grande, Yvan ait tout vu sans rien entendre…

– Oh ! fit M. de Morlux.

– Voilà ma combinaison. Quand il vous plaira de l’essayer,vous me le direz. Adieu, vicomte.

– Vous partez ?

– Oui, je vais prendre des nouvelles d’Yvan, dit-elle avecce sourire cruel qui reparaissait sur ses lèvres chaque foisqu’elle prononçait le nom de l’homme qui l’avait dédaignée.

Madame la comtesse Vasilika Wasserenoff n’entrait point chezM. de Morlux par la grand-porte de l’hôtel, mais bien parcette porte dérobée qui donnait sur le boulevard Haussmann :c’était là qu’elle laissait sa voiture. Une Victoria de granderemise, ce qu’on appelle une voiture au mois. Une femme qui a demystérieuses affaires comme en avait la comtesse ne tient pas àêtre remarquée en courant les rues de Paris. Les chevaux et lesvoitures de Vasilika n’étaient pas sortis depuis huit jours. Ellese fit conduire rue Cassette et dit à son cocher de l’allerattendre sur la place Saint-Sulpice. Ce fut Beruto, l’Italienfidèle, qui vint ouvrir à la comtesse la porte de ce vieil hôteldans lequel Yvan avait été enseveli tout vivant.

– As-tu quelque chose à m’apprendre ?demanda-t-elle.

En même temps elle entra dans cette salle où Yvan avait séjournéet dans laquelle il s’était endormi.

– Non, madame.

– Comment est-il ?

– Toujours furieux… Il parle de vous tuer.

– C’est ce que nous allons bien voir.

Beruto regarda la comtesse avec stupeur :

– Est-ce que vous oserez descendre auprès de lui ?fit-il avec un accent d’effroi.

– Oui.

– Mais il en est arrivé aux colères de la bête fauve.

– Cela doit être.

– Il est d’une force herculéenne.

– Je le sais.

– Il se jettera sur vous, madame, et vous étouffera.

– T’a-t-il jamais fait de mal, à toi ?

– Non, mais je n’entre pas, moi. Je lui fais passer àmanger à travers le guichet de la porte.

– Eh bien ! nous verrons, dit Vasilika. Peut-êtreserai-je prudente. Prends un flambeau.

Beruto obéit. Il alluma un candélabre à trois branches et passadevant la comtesse. Ils traversèrent le vestibule, au bout duquelon voyait les premières marches d’un escalier souterrain. Berutos’y engagea. La comtesse le suivit. Quand ils eurent descenduenviron trente marches, Beruto s’arrêta :

– Écoutez donc, madame, fit-il.

Vasilika prêta l’oreille.

Des hurlements sourds, pareils à ceux d’une bête fauve prise aupiège, montaient des profondeurs de cet escalier.

– L’entendez-vous ? dit Beruto avec une sorted’effroi.

– Oui, dit la comtesse.

Et elle continua à descendre, sans que le sourire abandonnât seslèvres roses. Les hurlements continuaient.

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