La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 38

 

– Où me conduisez-vous ? demanda Milon.

– Aux Champs-Élysées.

– Mais le maître n’y est pas ?

– Des Champs-Élysées, continua Vasilika, nous irons aufaubourg Saint-Honoré.

Vasilika disait tout cela pour gagner du temps. Mais Milon s’ytrompa. Il crut que Vasilika connaissait l’une des deux retraitesmystérieuses qu’avait Rocambole, l’une à l’angle du faubourgSaint-Honoré et de la rue de la Pépinière, l’autre rue deSurène.

– Allons ! dit-il.

Vasilika ne le quittait pas des yeux. À mesure que la voitureroulait sur le pavé – et celui de la rue du Vieux-Colombier et dela rue Bonaparte sillonné à toute heure par de lourds omnibus estinégal et occasionne de nombreux cahots –, le sang du vieux Miloncoulait plus fort. La secousse favorisait l’hémorragie. Miloncontinuait à pâlir ; il éprouvait un léger bourdonnement dansles oreilles. Quelques gouttes de sueur mouillaient ses tempes.Vasilika prit son air le plus caressant et lui dit :

– Vous êtes donc bien dévoué à ce Rocambole ?

– Certainement, dit Milon.

– Pourquoi ?

– Mais parce qu’il est mon ami, mon dieu, mon père,répondit Milon avec enthousiasme.

– Et vous haïssez tout ce qu’il hait ?

– Oh !

– Et ceux qui le haïssent ?

– Je les exterminerais tous.

Elle eut un sourire charmant.

– Mais je ne le hais pas, moi, dit-elle ; j’ai mêmeune extrême admiration pour lui.

– Vous ? fit Milon.

– Sans doute.

– Alors, pourquoi ?…

– Oui, je sais ce que vous allez me dire, fit-elle. Puisqueje ne hais pas Rocambole, pourquoi me suis-je liguée avec sesennemis ?

– Oui, dit Milon.

– Pourquoi protège-t-il Yvan, que je hais ?

– Et pourquoi haïssez-vous Yvan ? demanda Milon.

– Mais, dit Vasilika qui sut mettre subitement des larmesdans sa voix, parce qu’Yvan était mon fiancé et qu’il m’a trahie…Ah ! si vous saviez comme je l’aimais !

Le bon Milon soupira. Il ne savait que répondre à ce véritableargument ad hominem. Vasilika poursuivit :

– Je sais bien que Rocambole et vous protégez cette femmequ’il aime.

– Oh ! dit Milon, si vous la connaissiez… Elle est sibelle ! Vasilika crut devoir verser une larme. La tigresseétait devenue chatte et la chatte devenait femme. Milon futattendri. Vasilika poussa un profond soupir.

– J’ai lutté, dit-elle, je suis vaincue ; je pardonneà Yvan.

– Vous lui pardonnez ?

– Oui.

Et elle versa deux autres larmes. Le bon Milon ne songeait plusà lui, à son sang qui coulait et à ses membres quis’engourdissaient peu à peu. Milon voyait pleurer Vasilika, etVasilika était fort belle dans les larmes. Ellepoursuivit :

– Je quitterai Paris ce soir même, je m’en retournerai enRussie. Si je pardonne à Yvan, du moins je ne veux pas êtrespectatrice de son bonheur.

Milon porta la main à son front.

– Qu’avez-vous ? lui dit vivement Vasilika.

– Ma tête tourne… mes yeux se ferment… il me semble que jevais mourir… murmura Milon.

Et, en effet, il ferma les yeux et s’évanouit dans les bras deVasilika. Alors le sourire reparut sur les lèvres de latigresse.

– J’avais prévu l’événement, se dit-elle, et me voilàlibre.

En même temps elle baissa une des glaces et appela le cocher quise tourna.

– Arrêtez ! lui dit Vasilika.

Et elle sauta lestement à terre. Le fiacre était sur le quaid’Orsay, un peu avant le palais Bourbon. Cet endroit est désert lematin et le soir, surtout les jours de mauvais temps… Et ce jour-làle ciel était gris et le vent froid. Vasilika avait vivement baissétous les stores avant de descendre. La portière refermée, elle ditau cocher :

– Mon ami, voilà vingt francs ; vous allez reconduirecet homme, qui est mon domestique, à l’hôtel. Je m’appelle lacomtesse Artoff et je demeure rue de la Pépinière.

Le cocher était trop haut perché sur son siège, pours’apercevoir que Milon était évanoui.

– Ah ! un moment, dit Vasilika.

Elle ouvrit vivement la portière et ramassa son poignard, quiétait tombé de la main de Milon sur le tapis du fiacre. Puis ellefit mine de sonner à la porte cochère de l’ambassade d’Espagne. Uncocher de fiacre à qui on donne vingt francs croit tout ce qu’onlui raconte et fait tout ce qu’on lui dit. Celui-là enveloppa doncses deux chevaux d’un coup de fouet, et continua son chemin sanss’inquiéter davantage de la prétendue comtesse Artoff. Vasilika leregarda s’éloigner et ne se remit en marche que lorsqu’elle le vits’engager sur la place de la Concorde.

– Si cet imbécile ne meurt pas pendant le trajet,murmura-t-elle, songeant à Milon, les belles mains de la comtesseArtoff lui feront la charpie.

Un éclair passa dans ses yeux :

– À nous deux maintenant, mon Rocambole ! dit-elleavec un accent de rage sourde, à nous deux ! ce n’est plus lavie d’Yvan qu’il me faut, c’est la tienne !… Tu viensd’hériter de toute la haine que je lui portais.

 

Vingt minutes après, les rares cavaliers qui descendaient oumontaient l’avenue des Champs-Élysées, voyant cette femme élégantequi suivait à petits pas la contre-allée qui borde le Cirque et lethéâtre des Folies-Marigny, se seraient fort peu doutés qu’ellevenait tout à l’heure de donner trois coups de poignard à une sortede géant. Vasilika était calme. La tigresse avait rentré sesgriffes. Comme elle allait traverser l’avenue, elle fut obligée des’arrêter pour laisser passer un phaéton attelé de deux grandstrotteurs. Elle leva la tête et tressaillit. Un homme, jeuneencore, d’une rare élégance, conduisait, ayant à côté de lui unravissant bébé de quatre à cinq ans ; Vasilika le reconnut.C’était Fabien d’Asmolles, le mari de Blanche de Chamery, cettefemme qui avait cru si longtemps que Rocambole était son frère. Lebébé, c’était cet enfant que Vasilika avait désigné au génieinfernal de M. de Morlux. Et Vasilika, tandis que lephaéton s’éloignait dans un nuage de poussière, abaissa vivementson voile, tandis qu’un mauvais sourire passait sur ses lèvres.

– C’est là qu’est ma vengeance ! pensa-t-elle.

Elle pressa le pas, et regagna son petit hôtel de l’avenueMontaigne. Là, il n’y avait plus qu’un homme sur qui elle pûtcompter. Cet homme, c’était Pierre le moujik. Pierre le faux Yvanque la comtesse Artoff avait fait bâtonner et à qui Vasilika avaitrefusé justice. Mais la Russe lui avait dit ensuite :

– Patience ! tu seras vengé !

Et Pierre le moujik avait des tempêtes dans le cœur. Vasilika,rentrée chez elle, le fit appeler :

– Veux-tu toujours te venger ? dit-elle.

– Oh ! oui, fit-il.

– Que faut-il faire ?

– Selle un cheval, monte l’avenue au galop, descends auBois, cours d’une allée à l’autre, jusqu’à ce que tu aies rattrapéun grand phaéton à trois, brun, attelé de deux chevaux noirs, etdans lequel tu verras un homme et un petit garçon.

– Bien, maîtresse. Après ?

– Après, tu suivras le phaéton, tu observeras et tuviendras me dire ce que tu auras vu et observé.

Pierre sortit pour obéir.

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