La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 5

 

Il était huit heures du soir. Rocambole était seul. Il étaitseul dans cette mansarde qu’il occupait rue de Surène, et de lafenêtre de laquelle son regard plongeait dans le vaste jardin deM. d’Asmolles. C’était dans cette chambrette qu’il avait passéde longues heures, le soir et le matin, abrité derrière lespersiennes et contemplant d’un œil humide tantôt l’enfant quijouait sous les grands arbres, tantôt la jeune mère qui prenaitl’enfant dans ses bras. Une lampe était sur la table, et Rocamboleécrivait la lettre qu’on va lire :

À madame la comtesseArtoff.

« Madame,

« Mon œuvre est accomplie, ma mission terminée. Lesorphelines ont retrouvé le bonheur et la fortune ;M. de Morlux a subi son châtiment. Il est mort cematin.

« Rocambole n’a plus rien à faire en ce monde.

« Pardonnez-moi de le quitter.

« J’avais fait jadis le serment de mourir au bagne.

« Ce serment, je ne l’ai pas tenu.

« Savez-vous pourquoi ?

« C’est que je me suis dit un jour, que peut-être jepouvais racheter une partie de mes fautes.

« Un homme est venu qui m’a dit la touchante histoire deces deux enfants persécutées ; et moi le maudit, l’homme desheures néfastes, Rocambole l’assassin, j’ai senti que le repentiret le remords n’habitaient point seuls en mon cœur. Semblable àcette étoile qui tombe au fond d’un puits par les splendidessoirées d’été, ma raison était tombée dans mon cœur impur.

« Je voulais redevenir honnête, je voulais mettre auservice du bien cette intelligence et ce courage que j’avais si malemployés jadis.

« Oui, madame, j’eus en ce moment comme un instinctchevaleresque qui s’éveillait en moi.

« Vous savez si j’ai accompli mon devoir.

« C’est fini, le damné à qui le remords avait fait trêve unmoment, courbe de nouveau la tête sous le châtiment suprême.

« La Providence n’a pas voulu que Rocambole pût avoir uneheure de paix et de repos, son œuvre accomplie.

« Elle lui a mis au cœur une passion terrible et fatale,l’amour d’un démon pour un ange.

« Ah ! ce que j’ai souffert depuis qu’elle est partie,heureuse et triomphante, au bras de son Yvan, cet époux que je luiai donné !…

« J’ai soutenu une lutte effroyable avec moi-même.

« Le Rocambole d’autrefois s’est réveillé souventrugissant, féroce, ivre de jalousie et prêt au meurtre.

« Souvent, la nuit, un cauchemar terrible m’étreignait. Jerêvais que j’étais toujours l’élève de sir Williams, le chef desValets de cœur, le meurtrier impie, l’ambitieux éhonté, affublé dutitre et du nom du marquis de Chamery.

« Sir Williams n’était pas mort.

« Il était assis sur le pied de mon lit et medisait :

« – Tu aimes Madeleine ? Mais rien n’est plussimple. Elle est riche, elle a deux millions… tu es encore jeune,tu es beau… elle t’aimera. Yvan te gêne ? Bah ! avec uncoup de poignard on tourne si facilement une difficulté !

« Je m’éveillais en jetant un cri.

« J’étais seul, assis sur mon lit, demi nu, frissonnant… etalors je m’agenouillais et je demandais pardon à Dieu et le mauvaissonge s’en allait !

« Tant que ma tâche n’a pas été accomplie, madame, j’ailutté, j’ai résisté, j’ai vaillamment combattu avec cet ennemimortel que j’appellerai la lassitude de moi-même.

« Maintenant, personne n’a plus besoin de moi.

« Le bagne lui-même, grâce à vous, ne me réclamera pas.

« Laissez-moi m’endormir dans la mort, le repos suprêmepeut-être, à coup sûr la justice absolue.

« Dieu mesurera mes crimes à mes souffrances, mes fautes àmon repentir. J’ai foi en lui.

« Adieu donc, madame !

« Quand cette lettre vous parviendra, il ne restera deRocambole qu’un cadavre déjà froid, peut-être même endécomposition, car je veux me tuer sans bruit, et n’ai mis personnedans ma confidence.

« L’arme que j’ai choisie est un poignard.

« Je me frapperai au cœur. Hélas ! vous le savez, j’aila main sûre.

« Milon et Vanda, ces deux êtres qui s’étaient dévoués àmoi, sont partis ce soir. Ils vont m’attendre à Lyon, où je doisles rejoindre.

« Dieu me pardonnera ce dernier mensonge.

« Mademoiselle Miller, c’est-à-dire madame de Morlux, etmadame Potenieff ont assuré le sort de Milon et celui de Noël, quim’a fidèlement servi.

« Je vous recommande Vanda.

« Je vous recommande aussi ce malheureux qu’on a renvoyé aubagne, et que nous appelions le Bonnet vert.

« Vous êtes assez puissante pour lui faire obtenir un jourune commutation de peine, et je suis certain que vousl’obtiendrez.

« Adieu, madame. Adieu, Baccarat !

« Vous, la femme réhabilitée, vous, la Madeleine repentieet sanctifiée, priez pour moi.

« ROCAMBOLE. »

Quand il eut écrit cette lettre, Rocambole la plia et lacacheta. Puis il ouvrit son paletot et en tira de la poche de côtéun long stylet à deux tranchants. C’était son instrument de mort.Il se leva et s’approcha de la fenêtre.

– Mon Dieu ! murmura-t-il, je voudrais bien la voirune fois encore… pauvre et bien-aimée Blanche… toi que j’ai appeléema sœur…

Chose étrange ! Le jardin était silencieux… le jardinparaissait désert. Aucune lumière ne brillait derrière lespersiennes. Où donc étaient la vicomtesse d’Asmolles, et son mari,et son enfant ?

– Ils dînent en ville, sans doute, murmura Rocambole avecun soupir. Dieu ne veut pas que ma main faiblisse. Allons !adieu, adieu pour toujours… je ne les verrai plus.

Et il retourna vers la table et prit le poignard. Mais soudainla porte s’ouvrit. Rocambole jeta un cri et recula. Une femme étaitsur le seuil – Vanda !

– Toi ! toi ! toi ! exclama Rocambole.

– Moi ! dit-elle.

Elle se jeta sur lui et lui arracha son poignard. En même temps,derrière Vanda apparut Milon. Milon qui pleurait etdisait :

– Vanda avait bien raison d’avoir de sinistrespressentiments et de ne pas vouloir partir. Maître, maître, vousn’avez pas le droit de vous tuer.

Rocambole eut un éclair de colère dans les yeux.

– Sortez ! dit-il, sortez tous deux, je vous chasse,car vous avez osé me désobéir.

– Et nous te désobéirons encore, dit Vanda avec fermeté. Tun’as pas le droit de te tuer.

– Sortez !

– Dieu défend d’abandonner la vie, reprit Milon.

– Sortez ! répéta Rocambole.

Vanda se mit à genoux.

– Maître, dit-elle, je sais pourquoi tu veux mourir… Jesais quelle passion terrible te mord le cœur… Eh bien !accepte ce châtiment suprême comme la dernière épreuve… Ton pardonest au bout… Après les hommes qui t’ont fait grâce, Dieu te feragrâce aussi… Milon et moi nous resterons auprès de toi… Nous seronstes esclaves… nous te servirons à genoux… nous te parleronsd’elle…

– Tais-toi ! s’écria Rocambole, ne blasphème pas.

Milon, lui aussi, s’était mis à genoux :

– Maître, dit-il, mes enfants sont heureuses à cette heure,mais qui peut répondre de l’avenir ?

– Leurs maris les protégeront.

– Maître, vous ne pouvez vous tuer…

– Et si je le veux, moi !

Et Rocambole, en ce moment, fut superbe de domination. Vanda etMilon se courbèrent sous son regard étincelant.

– Qui donc a besoin de moi, maintenant ? fit-il. Quidonc peut me dire : Vous n’avez pas le droit de chercher lerepos dans la mort ?

– Moi, dit une voix de femme au seuil de la chambre.

Rocambole recula, pâlit, chancela et d’une voixétouffée :

– Ah ! je me sens mourir…

La femme qui venait d’entrer, la femme qui fit un pas versRocambole frissonnant, était une pauvre mère en pleurs. C’étaitBlanche de Chamery, c’était madame la vicomtesse Fabiend’Asmolles.

– Vous ! vous ! fit-il en tombant à genoux.

Elle posa sa main sur son épaule et lui dit d’une voixbrisée :

– Je sais tout, et je sais que vous n’êtes pas mon frère…Mais je sais aussi que vous m’aimiez comme si j’étais votre sœur…et je viens vous dire : Non, vous n’avez pas le droit de voustuer, car on m’a volé mon enfant !

Rocambole jeta un cri terrible et se redressa rugissant et l’œilen feu. Le lion se réveillait !

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