La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 37

 

Beruto tomba en poussant un cri.

– À moi, Milon !

Milon était déjà debout. Seulement il était dansl’obscurité ; mais il se précipita du côté où la voix s’étaitfait entendre. Comme on le pense bien, il y avait eu depuis troisjours, entre Beruto et son prisonnier, une entente parfaite, etMilon avait joui d’une foule de privilèges. Le soir, quand Berutoétait bien certain que Vasilika ne viendrait pas, il allait ouvrirà Milon, et Milon montait se coucher dans un bon lit. La porte ducaveau n’était plus fermée à double tour : un simple verrousuffisait à la maintenir.

Ce qui fait que Milon s’était rué sur la porte, la fit sauterd’un vigoureux coup d’épaule et tomba sur Vasilika, dont les yeuxétincelaient à travers les ténèbres. Milon était vigoureux autantqu’il était grand, et il étreignit Vasilika si fort qu’elle jeta uncri de douleur. Mais elle se dégagea lestement et frappa au hasard,car elle avait toujours son stylet au poing. Milon répondit par uncri. Vasilika se sauva. Milon blessé la poursuivit. Elle montal’escalier des caves en courant ; Milon le gravit derrièreelle. Comme elle en atteignait la dernière marche, le colosse lasaisit :

– Ah ! misérable ! dit-il.

Elle se retourna et frappa encore. Et comme une couleuvre, ellelui glissa des mains une seconde fois et s’élança dans levestibule. Là, il faisait jour. Là, s’appuyant au mur etbrandissant son poignard, elle put voir Milon tout sanglant – carpar deux fois elle l’avait frappé, à l’épaule d’abord, au brasensuite –, Milon, qui s’était arrêté et allait de nouveau se ruersur elle avec une brutale impétuosité.

– Si je ne le frappe au cœur, se dit Vasilika, si je ne letue pas d’un seul coup, je suis perdue : il m’étranglera.

En effet, Milon, aveuglé par la fureur, en proie à une douleurviolente, s’élança de nouveau sur elle en disant :

– Le maître m’a commandé de te tuer.

Vasilika bondit avec la souplesse d’une panthère ; sonstylet brilla. Milon jeta un cri encore. Mais il demeura debout etses bras de fer s’arrondirent comme un étau autour de la taillemince et nerveuse de la belle Russe. Le stylet, dirigé vers lecœur, avait glissé entre les côtes, déchirant les chairs, mais nepénétrant pas. Et, cette fois, Vasilika, serrée contre la poitrinede Milon, à demi étouffée, laissa échapper son arme meurtrière. Enmême temps, le géant la saisit et la renversa sous lui. Puis, luiposant son lourd genou sur la poitrine, il étendit la main, ramassale stylet, et Vasilika le vit briller au-dessus de sa tête. Le sangde Milon l’inondait.

– Tu vas mourir, lui dit le géant.

Si Vasilika eût perdu la tête en ce moment terrible, elle étaitmorte. Mais Vasilika demeura maîtresse d’elle-même.

– Tue-moi, dit-elle, mais tu ne sauras rien.

Le bras levé de Milon retomba sans frapper. Puis le colosse laregarda d’un œil hébété. Vasilika lui dit :

– Il n’y a personne dans cet hôtel ; j’ai tué Beruto.Je suis en ton pouvoir ; et la seule chance de salut quej’avais m’échappe, puisque ce poignard est passé de mes mains dansles tiennes.

– Ma petite dame, dit Milon, si vous voulez faire uneprière je ne m’y oppose pas ; mais je vous jure qu’après jevais vous tuer. Le maître l’a dit.

– Celui que tu appelles le maître, c’est Rocambole,n’est-ce pas ?

– Oui.

– Eh bien ! dit Vasilika, tu peux me tuer, ma mortsera vengée.

Le naïf Milon éprouva une si vive émotion de ces paroles que songenou cessa de peser sur la poitrine de Vasilika et qu’il se levatout effaré. Vasilika se leva pareillement. Mais Milon avait lestylet à la main et il était toujours le maître de la vie deVasilika. La Russe lui dit :

– C’est toi qu’on appelle Milon ?

– Oui.

– Tu es dévoué à Rocambole ?

– Jusqu’à la mort.

– Eh bien ! tue-moi, et Rocambole mourra du même coupde poignard.

Milon secoua la tête.

– Oh ! vous voulez m’enjôler, dit-il, mais je ne vouscrois pas.

– Peu importe ! Frappe…

Et elle offrit sa poitrine, avec une telle résolution que Milonhésita.

– Écoute-moi bien, poursuivit-elle, et puis tu feras ce quetu voudras.

Milon saignait par ses trois blessures comme un bœuf échappé del’abattoir ; mais ses forces ne le trahissaient pointencore.

– Parlez, dit-il.

– Je ne hais pas Rocambole, moi, reprit Vasilika ;mais je hais Yvan.

– Nous l’avons sauvé, répondit Milon.

– Je le sais. Mais en le sauvant, Rocambole s’estperdu.

– Mais non, dit Milon, qui était logique. Non, parce que jevais le sauver.

Vasilika avait une imagination d’enfer ; elle combinait etexécutait en quelques secondes tout un plan de bataille.

– Tu vas voir, dit-elle, que tu te trompescomplètement.

Le sang-froid de cette femme, sa beauté, sa voix qui savaitdevenir harmonieuse et caressante, tout cela troublait Milon et luiamollissait le cœur en dépit de la douleur physique qu’iléprouvait. Vasilika poursuivit :

– Je te vends la vie de Rocambole en échange de la miennequi t’appartient en ce moment.

Milon de plus en plus naïf s’écria :

– Mais la vie du maître est donc en danger ?

– Si je meurs, il mourra…

– Oh !

– Écoute, reprit-elle : je me doutais de la trahison.Je suis venue ici pour la constater. Un homme qui m’aime est auprèsde Rocambole. Si cet homme ne m’a pas revue dans une heure, il lepoignardera.

Milon eut peur.

– Qui sait si vous ne mentez pas ? dit-il.

– Veux-tu la preuve que je te dis la vérité ?

– Oui.

– Cherche une corde, bâillonne-moi et garrotte-moi. Puissors, va chercher un fiacre. Tu y monteras avec moi, je teconduirai là où Rocambole est en péril.

Milon donna dans le piège.

– Je n’ai pas besoin de vous attacher, dit-il. Venez avecmoi. J’ai été au bagne, je ne crains pas d’y retourner. Vousmarcherez devant moi. Si vous faites mine de vous échapper, je vousplante le poignard entre les deux épaules.

– Soit, dit Vasilika.

Elle entra dans cette salle du rez-de-chaussée où était lafameuse trappe, se regarda dans une glace, et en un tour de mainrajusta sa coiffure et fit disparaître le désordre de sa toilette,occasionné par la lutte qu’elle venait de soutenir. Puis, regardantMilon :

– Tu as l’air d’un boucher, dit-elle.

Et du doigt elle lui montra un grand manteau qui avait appartenuà Beruto et que celui-ci avait laissé sur un meuble. Milon le pritet s’en enveloppa pour cacher le sang qui le couvrait. Puis il sedirigea d’un pas chancelant vers la porte de la cour. Vasilika lesuivait. En route, Milon se dit :

– Je pourrais bien être blessé à mort. Il me semble quetout mon sang s’en va. Mais je suis fort, et j’aurai bien le tempsd’arriver.

Il ouvrit la porte et dit à Vasilika :

– Donnez-moi le bras. Je ne veux pas que vous m’échappiez.Vasilika obéit et sentit qu’il chancelait en marchant. Alors ellepressa le pas. Comme ils franchissaient le seuil du vieil hôtel, unfiacre – chose rare ! – passait à vide dans la rue Cassette.Milon fit un signe au cocher qui s’arrêta. Tous deux ymontèrent.

– Aux Champs-Élysées ! dit Vasilika.

Le fiacre partit. Milon éprouva un étourdissement et sentit queson sang coulait à flots. Vasilika le regardait pâlir. Mais Milon,de sa main crispée, serrait toujours le poignard.

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