La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 43

 

C’était le jour du mariage d’Agénor et d’Antoinette.M. Karle de Morlux et Madeleine, sa femme future, y devaientassister. Le vicomte Karle de Morlux était devenu, en quelquesjours, un petit vieillard aux trois quarts hébété qui n’avait plusqu’un but, une idée fixe, une marotte, épouser Madeleine.Madeleine !

C’est-à-dire Clorinde, qu’il prenait pour elle…

La vraie Madeleine, la belle et chaste sœur d’Antoinette, n’eûtpas su jouer ce rôle étrange que Clorinde, soufflée par Rocambole,avait si bien tenu. Elle n’eût pas eu des pudeurs exagérées et desréticences pleines de désirs, et de ces poses chastes où mord lavolupté la plus cynique. Madeleine, la vraie, celle qui aimaitYvan, aurait eu horreur de ce vieillard, et elle l’eût repousséavec indignation. Clorinde, courtisane rusée, s’était fait un jeude l’amour qui venait d’éclater sous ces cheveux blancs, comme lecratère d’un volcan s’entrouvre tout à coup sous la neige. Elles’était fait un jeu cruel de le voir à ses pieds, essayant de luifaire oublier cet Yvan qu’elle ne connaissait pas. Peu à peu, elleavait feint de se consoler de l’abandon du jeune Russe, elle avaitlaissé ses deux mains dans les mains ridées du vieillard… elle luiavait quelquefois sauté au cou avec élan, lui disant :

– Ah ! vous êtes bon, mon oncle… et je sens que jefinirai par vous aimer.

Et cet amour insensé continuait son œuvre de lente destructionet prenait le vieillard dans tout son être et par tous les pores.Il aurait fallu les voir courir Paris tous deux, en voiture fermée,car il était jaloux avant de la posséder, pour acheter unecorbeille de mariage qu’eût enviée une princesse. Et comme il avaitsigné tout ce qu’elle avait voulu ! comme il s’étaitdépouillé, lui l’avare, l’âpre voleur de successions, au profit dela vraie Madeleine Miller ! Il ne s’était rien réservé. Etpuis, comme il faisait maintenant tout ce qu’elle voulait, Clorindelui avait dit qu’elle ne voulait se marier qu’après Agénor etAntoinette, et il y avait consenti. Donc, ce jour-là, c’était lejour du premier mariage.

– Mon bon oncle, dit la fausse Madeleine, en entrant dansla chambre de son oncle, es-tu prêt ?

Elle le tutoyait maintenant. Karle de Morlux était vêtu de noirdes pieds à la tête. La fausse Madeleine s’était fait une toilettedélicieuse de simplicité.

– Oui, mon enfant, répondit-il.

– Eh bien ! partons… Tu sais qu’il y a loin de la ruede la Pépinière à Saint-Thomas-d’Aquin.

C’était à Saint-Thomas-d’Aquin que se mariait Agénor. Tous deuxmontèrent en voiture découverte et traversèrent Paris comme unéclair. Le printemps était venu, les Champs-Élysées étaient verts.Les marronniers des Tuileries en fleurs, un gai soleil brillaitdans l’azur. M. de Morlux, durant cette course rapide,soupirait comme un jouvenceau.

– Qu’as-tu donc, mon oncle ? demanda la fausseMadeleine.

– Je voudrais être plus vieux de huit jours.

Elle lui jeta un sourire à damner un saint.

– Tu es donc bien pressé, dit-elle, de me voir ta petitefemme ?

Ils entrèrent dans l’église. Agénor avait voulu se marier sansbruit et sans pompe. Une vingtaine de personnes, tout au plus,assistaient au mariage. Agénor de Morlux aperçut son père,agenouillé et pleurant, dans le chœur. Deux femmes du peuple, lamère Philippe et la belle Marton, s’étaient placées dans l’ombred’un pilier. Toutes deux pleuraient aussi, mais c’était debonheur.

Agénor avait pour témoins le marquis de B… et son amiM. de Marigny. Deux hommes que M. de Morlux neconnaissait pas, étaient les témoins de la mariée. Karle etClorinde entrèrent dans l’église, mais, chose étrange ! nul nefit attention à eux. La cérémonie fut courte. Moins d’une heureaprès, Agénor et Antoinette passèrent au bras l’un de l’autre etsortirent de l’église. À la porte était un briska de voyage atteléen poste. C’était la voiture des jeunes époux. Oùallaient-ils ? C’était le secret de leur bonheur. Agénor sejeta dans les bras de son père qui fondait en larmes. Mais il fitun pas en arrière lorsque Karle de Morlux s’approcha.

– Adieu, mon oncle, dit-il froidement.

Le vicomte ne remarqua pas qu’Antoinette et la fausse Madeleinen’échangeaient qu’un salut glacé. Le vicomte était pétrifié.

– Viens, mon oncle, lui dit Clorinde.

Et elle l’entraîna vers sa calèche qui l’attendait au coin de larue du Bac. Le vicomte monta en voiture, regardant toujours lafausse Madeleine avec cette admiration hébétée qu’elle avait sibien développée en lui.

– Où allons-nous ? balbutia-t-il.

– À l’église russe, répondit-elle.

– Hein ! pourquoi ?… fit-il étonné.

– Nous allons assister à un autre mariage…

– Lequel ?

– Tu verras… viens…

– Mais qui donc se marie ?…

– Yvan Potenieff, dit Clorinde.

M. de Morlux était aux trois quarts idiot déjà ;sans cela, il eût peut-être deviné toute la vérité.

– Ventre à terre ! dit Clorinde au valet de pied quiferma la portière.

La calèche passa les ponts, traversa la place de la Concorde,monta les Champs-Élysées, et quelques minutes après elle arrivait àce bijou d’architecture orientale, de ce temple à la coupole doréequ’on appelle l’église russe. Là il y avait foule de fringantséquipages et de carrosses armoriés. L’église était pleine.

– Viens, mon oncle, viens ! dit Clorinde.

Le vicomte avait reconnu dans les voitures qui étaient à laporte, les équipages de toute la haute société russe, entre autresla Victoria de la comtesse Artoff. Il entra dans l’église, etsoudain il tressaillit des pieds à la tête. Clorinde le tenaittoujours par la main.

– Viens ! répétait-elle, viens donc, mononcle !

Le chœur de l’église était vide encore pourtant, le prêtren’était pas à l’autel ; les futurs époux n’étaient pointagenouillés encore sur le coussin de velours où ils allaientéchanger leurs anneaux. Mais ce qui avait fait tressaillirM. Karle de Morlux, c’étaient trois personnes qui setrouvaient à la porte de l’église, tout près du bénitier, deuxhommes et une femme. Le premier de ces deux hommes était Milon, levieux serviteur qu’il avait fait envoyer au bagne. L’autre était lemajor Avatar. C’est-à-dire Rocambole. Et quant à la femme,M. de Morlux, les cheveux hérissés, l’avait reconnueaussi. C’était Vanda, la compagne fidèle de Rocambole, la femmeintrépide qui lui avait arraché Madeleine une première fois. Quidonc mariait-on dans cette église, que ces trois personnages s’ytrouvaient ? Mais tout à coup la porte de la sacristies’ouvrit et les futurs époux entrèrent dans le sanctuaire.M. de Morlux jeta un cri terrible, un cri qui fitretentir les voûtes de la chapelle et causa une immense rumeurparmi la foule. Yvan Potenieff et la vraie Madeleine venaient des’agenouiller devant le prêtre. Et M. de Morlux, seretournant, vit Clorinde qui riait, comme rit une fille perdue quijette le masque. Et de sa voix éraillée, avec un regard cyniqueelle lui dit :

– Tu la trouves mauvaise, n’est-ce pas, mononcle ?…

M. de Morlux, foudroyé, tomba sur les genoux et fermales yeux.

– Il est frappé à mort, murmura Rocambole à l’oreille deVanda.

On emporta M. de Morlux évanoui hors de l’église.Clorinde suivait.

En ce moment, un homme s’approcha d’elle, c’était lepeintre.

– Viens-tu ? lui dit-il.

Elle regarda Rocambole qui était sorti de l’église russe.Rocambole dit au jeune homme :

– Je vous demande quarante-huit heures encore,monsieur.

Le peintre savait tout sans doute, car il s’inclina d’un airrésigné. Et Clorinde reconduisit à son hôtel M. de Morluxévanoui.

 

Quand, une heure après, les jeunes époux sortirent de l’église,Vanda, qui tenait dans ses mains la main de Rocambole, sentit cettemain trembler, puis devenir froide comme si elle eût été glacée parla mort.

– Maître, dit-elle, ce n’est pas l’homme que tu viens defrapper, ce n’est pas M. de Morlux qui souffre comme undamné, c’est toi.

– Tais-toi ! dit Rocambole d’une voix brisée.

Puis il osa lever un dernier regard sur Madeleine qui partait aubras de son cher Yvan, une larme jaillit de ses yeux et ilmurmura :

– Mon Dieu ! votre justice est inexorable et lechâtiment est sans bornes…

– Viens, maître, viens, mon ami, mon époux, mon Dieu !s’écria Vanda avec enthousiasme. Je serai ton esclave, je teservirai à genoux… viens !

Et tous deux se perdirent dans la foule. Mais Milon, le visageinondé de larmes, courut après eux.

– Maître, dit-il, mes enfants sont heureux et n’ont plusbesoin de moi.

« À présent, je vous appartiens !

Et comme les deux forçats et la femme perdue cherchaient à sedérober à tous les regards, une autre femme à qui Dieu avaitpardonné depuis longtemps, fendit la foule, s’approcha deRocambole, lui prit la main et prononça un mot unique :

– Rédemption.

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