La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 32

 

Cette fois, Yvan comprit qu’il était pris, et il n’eut que letemps de pousser un cri. Le plancher s’était abaissé et il étaittombé d’une hauteur de quelques pieds, lentement, sur une surfacemolle qui s’affaissa sous lui. Comme il avait été subitement plongédans une obscurité profonde, il ne put définir sur-le-champ où ilétait et ce qui venait de se passer. Il n’avait vu qu’une chose,c’est que le plancher s’effondrait sous lui. Et dans cette rapidetransition de la lumière à l’obscurité, une pensée plus rapideencore s’était emparée de lui. Yvan croyait tomber dans quelqueabîme, où il se broierait sur des rochers aigus ou sur des pointesde fer. Rien de tout cela n’était arrivé. Le plancher, enbasculant, l’avait laisser choir sur une couche presque moelleuse.En même temps il étendit les mains et rencontra les parois d’unesorte de corbeille. On eût dit une benne de mineur descendant de lasurface du sol au fond d’un puits. En même temps, il éprouva cebalancement et cette légère oppression qu’occasionne une descenterapide. Puis un bruit se fit, puis un jet de lumière et la bennes’arrêta. Alors Yvan étourdi leva la tête et regarda : Ilétait dans le caveau où il avait passé tant d’heures d’angoisses.Au-dessus de sa tête brillait la lanterne. Devant lui, à unecertaine élévation, était le trou noir qui s’était éclairé tout àl’heure et par lequel il avait aperçu Madeleine, se promenant aubras de M. de Morlux, dans le jardin. Que signifiait toutcela ? Yvan n’eut pas besoin de se mettre l’esprit à latorture. Il courut à la porte du caveau. La porte était fermée.Mais le guichet était ouvert. Il eut un moment d’illusion :Puisqu’il était tombé si doucement, c’est que Vasilika ne voulaitpoint sa mort. Et alors, était-ce une dernière mystification ?Ou bien sa captivité continuait-elle ? Et il se mit àcrier :

– Comtesse ! ma cousine ! Vasilika !

Comme si elle eût attendu cet appel, Vasilika parut au bas del’escalier, à l’extrémité de ce corridor sur lequel donnait leguichet.

La comtesse n’était plus seule, cette fois. Beruto, riant d’unmauvais rire, l’accompagnait. Vasilika vint jusqu’au guichet.

– Cousin, dit-elle, je vous vais dire une histoire, avantde vous dire un éternel adieu.

Elle avait un rire cruel et bruyant aux lèvres et son regardétait farouche. Cette fois, Yvan comprit et ne douta plus. Vasilikaavait résolu sa mort. Mais quelle mort ? Elle allait le luidire, sans doute ; et, si brave qu’il fût, il sentit sescheveux se hérisser.

– Cousin, répéta-t-elle, vous voyez un squelette là,n’est-ce pas ?

– Que m’importe ! fit-il avec dédain. Je ne crains pasla mort. D’ailleurs, n’ai-je pas le cœur brisé, grâce àvous ?

– Grâce à moi est la vérité, cousin.

– Ah ! vous en convenez ? dit-il avec une ironiepleine de fureur.

– C’est moi qui ai décidé Madeleine à épouser le vicomteKarle de Morlux.

– Misérable !

– Attendez encore, mon beau cousin, reprit Vasilika, dontla voix sifflait comme une vipère.

– Que voulez-vous ?

– Je veux vous dire l’histoire du squelette.

– Je ne veux pas la savoir, moi.

– Bah ! elle vous intéresse.

Yvan s’était éloigné de la porte ; il se rapprocha.Vasilika poursuivit :

– Ce vieil hôtel était habité, il y a quarante ans, par unefemme qui trompait son mari.

– Vraiment ? ricana Yvan ivre de rage.

– Le mari s’empara de l’amant, et il en fit le squeletteque voilà. C’est à lui qu’on doit cet ingénieux appareil des glacesque vous voyez.

En même temps Vasilika frappa trois fois dans sa main. Le trounoir s’éclaira aussitôt, les glaces reprirent leurs fonctions. EtYvan dont le front était inondé de sueur, put voir Madeleine assisesur un banc de verdure, auprès de M. de Morlux, qui luitenait la main et fixait sur elle un regard de convoitise.

– L’amant, poursuivit Vasilika, put voir la femme qu’ilaimait et qui le pleurait comme mort, car elle ne savait ce qu’ilétait devenu, jusqu’à sa dernière heure.

– Horreur ! murmura Yvan.

– Mon cher cousin, reprit Vasilika toujours implacable etrailleuse, une femme comme moi ne se venge pas à demi. L’hôtel estpassé en d’autres mains. Il appartient à présent àM. de Morlux. C’est la demeure de Madeleine. Vous laverrez tous les jours, c’est-à-dire, acheva la comtesse, tant quevous vivrez.

Elle eut un rire diabolique et ajouta :

– Mais, rassurez-vous, je suis moins cruelle que le maritrompé. Je ne prolongerai pas votre supplice : vous mourrez defaim… Adieu…

Et Vasilika fit un pas de retraite. Yvan l’entendit qui disait àBeruto :

– Quelque somme que t’offre cet homme pour un morceau depain, prends bien garde ! il y va de ta vie. Du reste, jeviendrai tous les jours… et je m’assurerai que tu m’obéisfidèlement.

– Madame la comtesse peut compter sur moi, dit Beruto.

Et tous deux s’en allèrent. Yvan fut en proie alors à une sortede fièvre délirante. Madeleine était perdue pour lui. Et Yvanallait mourir. Il eut un accès de rage, puis une protestationprofonde, et il se laissa tomber sur le sol humide. Un Françaisespère jusqu’à la dernière minute. Un Russe n’espère pas. Yvansavait maintenant que Vasilika serait sans merci. Il avait vu seslèvres frangées de cette écume verdâtre qui trahit chez les peuplesdu Nord ce qu’on appelle la colère blanche. Yvan était prisonnier…Il le serait jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort il pourraitapercevoir Madeleine… Madeleine qui ne l’aimait plus, Madeleine quil’avait trahi… Madeleine, à qui il avait écrit qu’il la méprisait…Madeleine, qu’il aimait encore ! Une heure s’écoula. Yvan seheurta la tête et voulut se la briser aux murs du caveau. Mais, dèsla première tentative, un phénomène inattendu se passa. La lanternequi éclairait le caveau s’éteignit. On ne se tue pas dansl’obscurité. Une horreur nouvelle s’empara d’Yvan, et il demeuraimmobile et tout tremblant. Le trou était redevenu tout noir ;les glaces étaient masquées de nouveau. Vasilika voulait sans doutelui ménager tous les raffinements du supplice. Mais soudain unbruit se fit au-dessus de la tête du prisonnier. Et il leva lesyeux. La voûte s’était entrouverte à la place même où étaitsuspendue la lanterne. En même temps une lumière y brillait. Cettelumière éclairait cette même benne, dans laquelle il étaitdescendu, et qui était remontée aussitôt qu’il avait touché le sol.Deux hommes étaient dedans, se tenant debout. L’un d’eux avait à lamain une lampe. C’était la clarté qui avait fixé les regards d’Yvanstupéfait. La benne descendit lentement et toucha le sol. Les deuxhommes sautèrent à terre. Yvan ne les reconnaissait ni l’un nil’autre.

– Je viens vous sauver, dit celui qui tenait la lampe.

– Qui donc êtes-vous ? s’écria Yvan avec un accentintraduisible.

– Un homme que vous ne connaissez pas et dont vous ignorezpeut-être le nom. Je m’appelle Rocambole.

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