La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 3

 

Il y eut entre Baccarat et Rocambole un moment de silencepoignant. Il était là, cet homme dont les mains avaient étésouillées de sang et que le repentir avait fini par toucher ;il était là, tremblant, éperdu, semblable à un enfant abandonné parsa mère. De grosses gouttes de sueur inondaient son front livide,et sa bouche crispée annonçait la violence de cette tempête quibouleversait son âme. Enfin il eut un éclat de rire fiévreux,sardonique, comme celui d’un damné. Et relevant la tête :

– Comprenez-vous cela, madame ? dit-il. Moi ! levoleur, le meurtrier, l’assassin ; moi, l’imposteur et leparjure ; moi, dont les épaules ont été meurtries si souventpar le bâton des argousins… j’ai un cœur !… Un cœur qui bat,un cœur dans lequel un rayon de l’amour, cette chose divine, esttombé, comme le soleil éclaire parfois un cloaque immonde. Le jouroù ce cœur, que je croyais mort, s’est éveillé, j’ai voulu lepercer de ce poignard que je tenais tout à l’heure à la main. Maisj’avais une mission à remplir ! Moi mort, tout était perdupour ces deux enfants ! Alors j’ai lutté, alors j’ai combattu,alors j’ai eu peur de la défaite. Car je ne suis pas sûr de moi,car je ne réponds pas qu’à quelque moment fatal mon regard ne selève impur et outrageant sur cet ange…

Il s’arrêta un moment, puis il reprit d’une voixsourde :

– J’ai alors pensé à vous, madame. La femme qui, jadis, aterrassé Rocambole brisera comme un verre M. Karle deMorlux.

– Je le ferai, dit Baccarat simplement.

Il eut un cri de joie.

– Ah ! je le savais bien, murmura-t-il ens’agenouillant devant elle.

Il ouvrit sa redingote et retira de sa poche de côté unportefeuille qu’il tendit à Baccarat.

– Vous trouverez là-dedans, lui dit-il, toutes les notes,toutes les indications nécessaires.

Baccarat prit le portefeuille.

– Mais, dit-elle, il me faut des renseignements de vivevoix.

– Demandez, madame, je répondrai.

– M. de Morlux a un frère ?…

– Oui, le père d’Agénor.

– Il faut donc épargner celui-là ?

– Vous pensez bien, reprit Rocambole, que c’est cetteconsidération qui a dicté ma conduite. Je pouvais, ce matin même,dire au juge d’instruction : Voici les preuves de l’assassinatde la baronne Miller ; saisissez-en la justice etfrappez ! Mais c’eût été déshonorer Agénor, c’eût été rendreimpossible son union avec Antoinette.

– C’est juste, dit Baccarat.

– Il faut donc que M. de Morlux soit frappé, maisqu’il le soit sourdement, sans bruit, sans éclat, et par une mainqui se substituera un moment à la Providence et à la justice. C’estpour cela que je suis venu à vous.

Baccarat fit un signe d’assentiment. Puis ellecontinua :

– M. de Morlux ne sera pas frappé seul.

– Qui donc partagera son châtiment ?

– Une femme qui vit sous mon toit et qui m’a trompéeindignement.

– La comtesse Vasilika ?

– Oui.

Rocambole parut réfléchir.

– C’est donc elle, dit-il enfin, qui a fait enfermer YvanPotenieff comme fou ?

– Oui, d’accord avec M. de Morlux.

– Vous le délivrerez, n’est-ce pas ?

– Oui, répondit Baccarat.

– Maintenant, madame, reprit Rocambole, voulez-vous faireappeler vos gens et me faire arrêter ?

Il disait cela sérieusement, avec son calme habituel, etBaccarat ne put douter de sa sincérité. Aussirépondit-elle :

– Je ne ferai rien de ce que vous me demandez.

– Vous… ne… voulez pas ?

– Non, je ne veux pas que vous retourniez au bagne,dit-elle froidement.

Et, comme il faisait un pas en arrière :

– Écoutez, dit-elle. Vous, mieux que personne, vous savezce que j’ai été et ce que je suis. Fille perdue autrefois, je mesuis repentie, réhabilitée, et les portes du monde se sont ouvertespour moi. L’expiation est là et non ailleurs.

– Que voulez-vous dire ? fit-il tout tremblant.

– Je veux dire, répondit-elle d’une voix solennelle, que nile bagne ni les tortures que vous avez éprouvées jusqu’icin’étaient la véritable punition de votre passé. L’expiationvéritable, celle à laquelle vous êtes condamné, par laquelle vousmériterez peut-être un jour le pardon de tous ceux qui furent vosvictimes…

Elle s’arrêta un moment et regarda Rocambole. Rocambole étaitpâle et frissonnant, et il baissait les yeux comme un condamné àl’heure du dernier supplice.

– C’est cet amour que vous ressentez, vous, créaturesouillée, pour un être d’une pureté absolue.

Il eut comme un gémissement et murmura :

– Aurai-je donc la force de souffrir ?

– Vous puiserez cette force dans le sentiment de votrepassé, et vous l’accepterez comme le châtiment suprême.

– Ah ! dit-il, j’ai pourtant bien souffert déjà,madame ! Et il joignait les mains en suppliant.

Mais Baccarat, inflexible, répondit :

– Vous souffrirez plus encore. La douleur est comme le feu,elle purifie !

Il releva la tête, et son œil morne et plein de larmes eut toutà coup un éclair.

– Vous avez raison, dit-il ; je souffrirai et jecontinuerai à servir la cause du bien.

Baccarat lui tendit la main.

– Je vous veux pour allié, dit-elle.

Il prit cette main, mais il n’osa la porter à ses lèvres.

– Mais savez-vous bien, madame, que je puis être repris unjour ou l’autre ?

Baccarat eut un sourire.

– Venez avec moi, dit-elle.

Elle prit un des flambeaux de la cheminée, ajoutant :

– Et ne faites pas de bruit.

Alors elle ouvrit une porte dérobée qui donnait sur un couloirconduisant à la serre.

– Je vais vous mettre en sûreté, provisoirement du moins,dit-elle en l’entraînant.

Au bout du couloir, elle ouvrit une autre porte, et Rocambole sevit au seuil d’une petite chambre d’ami.

– Vous allez rester ici, lui dit la comtesse ; vous neferez pas de bruit. Demain, vers midi, je viendrai vous voir, etpeut-être vous apprendrai-je bien des choses.

 

Les lassitudes physiques triomphent souvent des angoissesmorales. Il y avait si longtemps que Rocambole ne dormait plus,qu’il se jeta tout vêtu sur le lit que lui offrait Baccarat et s’ytrouva bientôt étreint par un lourd sommeil. Le jour ne l’éveillapoint. Le soleil passant à travers les persiennes, vint brûler sonvisage pâli, et ses yeux ne se rouvrirent point. Enfin le bruitd’une clé tournant dans la serrure le tira de sa léthargie.Baccarat venait d’entrer. Elle était en toilette du matin, et ondevinait qu’elle était déjà sortie.

– Écoutez-moi bien, lui dit-elle.

Il se mit debout devant elle et attendit.

– Vous pouvez sortir librement, reprendre le nom du majorAvatar, aller au club où on vous a présenté.

– Que dites-vous ? exclama-t-il avec un étonnementprofond.

– La vérité.

– Mais… la police ?…

– Un grand personnage que j’ai mis en jeu a obtenu ce matinmême, en répondant de vous, corps pour corps, qu’on vous laissâttranquille pendant un temps donné. Puis, acheva Baccarat, peut-êtreserez-vous gracié quelque jour.

Il tomba à genoux et murmura :

– Je crois que je rêve.

– Ce n’est pas tout, dit-elle. Écoutez encore… J’ai passéle reste de la nuit à prendre connaissance des notes contenues dansvotre portefeuille.

– Ah !

– Grâce à elles, je suis au courant de tout. Je sais queMilon est innocent.

– Et pourtant, murmura Rocambole, il retournera aubagne ; car, à présent que vous avez fait une paix provisoireavec la police, je ne puis plus rien pour lui.

– Vous vous trompez, dit Baccarat.

Alors elle ouvrit la porte toute grande, et un homme parut surle seuil. Rocambole jeta un cri. Cet homme, c’était Milon.

– À l’œuvre donc, maintenant ! leur dit Baccarat àtous deux.

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