La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 7

 

Qu’était devenu Yvan ? Yvan était toujours dans la maisonde santé du docteur Lambert. Il avait beau protester qu’il n’étaitpas fou, et que Madeleine n’était point un enfant chimérique de soncerveau malade. Le docteur, qu’il faisait appeler à chaque fois,souriait et répondait à ses protestations, en donnant l’ordre qu’onlui administrât une douche. On sait l’épouvante que ce traitementbarbare jette dans l’âme de ceux qui y sont soumis. Les fousreviennent momentanément à la raison. Ceux qui ne sont pas fous,saisis d’effroi, préfèrent laisser croire à une folie imaginaire.Yvan Potenieff était d’une force herculéenne. Il s’était défendud’abord, il avait lutté, il avait terrassé les infirmiers. Mais lesinfirmiers étaient secourus par d’autres, et il finissait toujourspar être renversé, garrotté et revêtu de la camisole de force.Alors, réduit à l’impuissance, il recevait la fameuse douche. Yvanavait fini par ne plus parler de Madeleine. En proie à un mornedésespoir, il avait conçu un projet : celui de s’évader. Maiscomment ? Mais par où ? La maison de santé, entourée d’unbeau jardin, et ayant tous les dehors d’une maison de plaisance,n’était, en définitive, qu’une horrible prison. Le jardin étaitentouré de hautes murailles, comme Clichy, comme Sainte-Pélagie,comme Mazas. Et, complication ténébreuse du hasard, il se trouvaitque parmi les pensionnaires du docteur Lambert, il y avait deuxdétenus, l’un pour dettes, l’autre pour un fait des plus graves.L’état de santé de ces deux hommes – dont le premier était un jeuneMoldave, écroué d’abord à Clichy à la requête d’un tailleur ;le second, un homme du meilleur monde, accusé d’escroquerie –,avait motivé leur entrée chez le docteur Lambert. Ce dernierrépondait pécuniairement du Moldave, et il avait placé auprès delui deux infirmiers qui ne le quittaient ni jour ni nuit. Ce quin’empêchait pas le tailleur farouche de payer deux de cesfonctionnaires aimables qu’on nomme les gardes du commerce, pourfaire bonne garde sous les murs de la maison de santé. Quant àl’autre détenu, l’administration prévoyante avait placé deuxsentinelles dans le jardin pour empêcher toute tentative d’évasion.Il résultait de tout cela que, de jour et de nuit la maison desanté était convertie en forteresse, et qu’il était tout à faitimpossible de songer à en sortir subrepticement. Cependant, l’amourde la liberté est si puissant dans le cœur de l’homme, que jamaisun prisonnier n’a renoncé à l’espoir de s’évader. Yvan y songea.Avec cette audace qui caractérise les peuples du Nord, il conçut unplan et résolut de l’exécuter à tout prix. Ce plan était formidablede simplicité. Il s’agissait simplement pour lui de garrotter, debâillonner l’infirmier qui couchait dans sa chambre, puis de fairesubir le même sort à la sentinelle qui se promenait dans le jardin,de lui prendre sa capote, son képi et son fusil, et de se laisserrelever, à quatre heures du matin, par un autre factionnaire. Puis,de sortir librement. Or, précisément à l’heure où la comtesseVasilika sortait furtivement de l’hôtel Artoff et se rendait chezle vicomte de Morlux, Yvan s’apprêtait à mettre son projet àexécution. L’infirmier qui couchait auprès de lui était un jeunehomme de complexion assez délicate. Mais, comme Yvan avait paru leprendre en amitié, on ne l’avait pas changé. Vers minuit, Yvan, quiavait feint de dormir dès neuf heures du soir, entendit unronflement sonore auprès de lui. C’était l’infirmier qui avait finipar succomber au sommeil. Alors Yvan se leva. Il se leva sansbruit, sur la pointe des pieds, alla vers la cheminée et y prit desallumettes. Puis, il alluma un flambeau. L’infirmier ne se réveillapas. Alors Yvan jeta un regard rapide autour de lui. Il y avaitdans un coin de la chambre une table encore chargée des débris dusouper d’Yvan. Sur cette table, on avait laissé un couteau. Lecouteau était rond par le bout, il est vrai, mais poussé par unemain vigoureuse, il aurait pénétré néanmoins dans la gorge d’unhomme. Yvan s’en saisit. Puis il revint vers le lit où dormait lejeune infirmier, et, lui posant la main sur l’épaule, il l’éveilla.Le jeune homme ouvrit les yeux et vit, tout étonné, Yvan penché surlui et armé du couteau.

– Si tu pousses un cri, si tu bouges, lui dit rapidement leRusse, tu es mort !

L’infirmier eut peur, il se tut. Alors Yvan prit son mouchoir etbâillonna. Puis il coupa en quatre bandelettes la nappe qui setrouvait sur la table, et il lui lia solidement les pieds et lesmains. Il avait fait tout cela nu-pieds et en chemise.

L’infirmier préférait perdre sa place que d’êtreassassiné ; et il savait par expérience que les fous neplaisantent pas. Yvan, cette besogne finie, prit sur une chaise leshabits de l’infirmier et s’en revêtit. Puis il souleva l’oreillersur lequel reposait la tête du jeune homme et prit dessous untrousseau de clés. Avec ces clés, il devait sortir facilement de lamaison et gagner le jardin. Il n’avait même qu’un risque à courir,mais ce risque était grand… C’était de rencontrer un autreinfirmier, qui ne le reconnaîtrait pas pour un de ses pareils.Néanmoins, ayant renouvelé ses menaces de mort au jeune hommepétrifié de terreur, Yvan Potenieff prit le trousseau de clés,ouvrit sans bruit la porte de la chambre et sortit.

 

Yvan jouait de bonheur. La sentinelle qui se trouvait dans lejardin auprès de la petite porte par où nous avons vu le docteurLambert introduire, trois jours auparavant, son nouveaupensionnaire, était ce qu’on appelle une recrue.C’est-à-dire un paysan depuis six mois à peine sous les drapeaux,honnête et niais comme un véritable enfant de la loyale Bretagne.Faire faction dans un jardin est une véritable sinécure. Le soldats’était appuyé contre un arbre et s’était endormi. Yvan était sortide la maison sans faire aucune mauvaise rencontre. Le trousseau declés lui avait permis d’ouvrir toutes les portes l’une aprèsl’autre. La nuit était froide ; mais il faisait un clair delune superbe. Yvan s’approcha de la sentinelle. Elle dormait dusommeil du juste. Alors une idée traversa son esprit :

– Qui sait, pensa-t-il, si une de ces clés n’ouvre pas laporte de sortie ? Et il voulut passer outre. Mais lasentinelle s’éveilla et cria : Qui vive ?

Yvan revint vivement sur elle.

– Employé de la maison, répondit-il.

La sentinelle avait crié son qui vive ? d’une voixencore ensommeillée et peu vibrante. Elle n’éveilla personne. Yvanlui dit encore :

– Mon ami, vous êtes fou. Ne reconnaissez-vous donc pas monhabit ?

– Excusez-moi, dit la sentinelle.

– Je cours chercher des remèdes, dit le faux infirmier.

En même temps, il se disait que peut-être une des clés dutrousseau dont il s’était emparé, ouvrait la petite porte, etqu’alors il était inutile de faire aucune violence à la sentinelle.En effet, la première clé qu’il prit entra dans la serrure. Lesoldat, honnête et niais, le regardait faire. La clé tourna… Yvaneut un battement de cœur. Le pêne sortit de sa gâche, la portes’ouvrit. Alors Yvan se sentit défaillir de joie, et le nom de sachère Madeleine expira sur ses lèvres. Mais comme il s’élançaitdans la rue, une fenêtre s’ouvrit au premier étage de la maison etune voix cria :

– Arrêtez-le ! arrêtez-le ! c’est unfou !

C’était le jeune infirmier qui était parvenu à se délier ets’était débarrassé de son bâillon. Yvan se mit à courir. Mais unhomme qui faisait faction devant le mur extérieur s’élança à sarencontre et le prit à la gorge.

C’était un des gardes du commerce appointés par le tailleuropulent et magnifique. Cet homme regarda Yvan.

– Tu n’es pas celui que nous gardons, dit-il. Et il eut unmoment envie de le lâcher. Mais il se ravisa.

– Bah ! dit-il, il y aura toujours une prime.

Yvan se débattait en vain.

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