La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 33

 

Yvan, en effet, n’avait jamais entendu prononcer ce nom.Rocambole lui dit :

– Je suis l’ami de la femme que vous aimez.

– Madeleine ! exclama Yvan.

– Oui.

Yvan secoua la tête.

– Je n’aime plus Madeleine, dit-il, ou du moins…

– C’est elle qui ne vous aime plus, n’est-ce pas ?

Yvan prit son front à deux mains avec un geste dedésespoir :

– Vous venez me sauver, dit-il, à quoi bon ? vivresans Madeleine est pour moi impossible.

Un sourire vint aux lèvres de Rocambole.

– Monsieur, dit-il, essayez de vous calmer, de devenirraisonnable et de m’écouter attentivement.

Rocambole employait avec Yvan cet accent sympathique etcaressant et le regard fascinateur qui faisaient une moitié de sasingulière puissance.

– Que pouvez-vous donc me dire pour me consoler ?demanda le jeune Russe avec angoisse.

– M. de Morlux vous a fait passer pour fou,n’est-ce pas ?

– Oui.

– Il vous a confié à un prétendu notaire qui n’était autrequ’un médecin aliéniste ?

– Oui.

– Et le notaire vous a emmené dans sa voiture à travers lesChamps-Élysées ?

– C’est parfaitement vrai.

– Eh bien ! pendant le trajet, n’avez-vous pasrencontré une femme qui ressemblait si merveilleusement àMadeleine, que vous avez couru à elle…

Yvan jeta un cri. Un voile se déchira dans son esprit.

– Oh ! dit-il, comme suffoqué.

– Cette femme, répondit Rocambole, c’est celle-là…

– Mon Dieu ! que dites-vous ?

Pour toute réponse, Rocambole approcha le banc du trou percédans le mur. Puis il cria :

– Hé ! Beruto ! le rideau !

Le trou s’éclaira, Madeleine reparut dans la glace.

– Examinez-la bien… attentivement… froidement…encore !… Voyons, ne voyez-vous entre la vraie et la fausseMadeleine aucune différence ?

– Il n’y a que la voix, dit Yvan d’une voix tremblante, etcette voix, je ne puis l’entendre.

– Vous l’entendrez tout à l’heure…

– Ah !

– Pour le moment, dit Rocambole, il faut sortir d’ici, etau plus vite.

– Mais où allez-vous me conduire ?

– Auprès de la vraie Madeleine.

Cette fois Yvan joignit les mains, et deux grosses larmescoulèrent de ses yeux.

– Oh ! dit-il, vous êtes donc le bon Dieu ?

– Hélas ! non, répliqua Rocambole, mais je sers bienles gens que j’aime.

– Comment pouvez-vous m’aimer ? demanda naïvement YvanPotenieff. Je ne vous ai jamais vu.

– Moi non plus.

– Vous connaissez donc Madeleine ?

– Je la connais depuis huit jours. Mais je suis l’ami d’unhomme dont elle a dû vous parler.

– Milon ! s’écria Yvan.

– C’est moi, dit l’homme qui était descendu dans la benneavec Rocambole.

Yvan regarda alors le vieux colosse. Celui-ci lui prit vivementles mains.

– Vous la rendrez heureuse, n’est-ce pas ? dit-ild’une voix émue.

– Je l’aime tant ! répondit naïvement Yvan.

– Allons ! mon vieux Milon, dit Rocambole, habit bas.Comme Rocambole, Milon était couvert d’une blouse de maçon.

– Que faites-vous ? demanda Yvan.

– Il va changer d’habits avec vous.

– Pourquoi ?

– Mais parce qu’il a besoin de rester ici provisoirement àvotre place.

– À ma place ?

– Sans doute. Vous pensez bien que Vasilika n’est pas femmeà se priver du spectacle de votre agonie.

– Mais je ne veux pas d’un pareil sacrifice, s’écria Yvan.Rocambole eut un sourire.

– Oh ! soyez tranquille, dit-il. Milon sait son rôle àmerveille : il est de votre taille, il se tiendra courbé, levisage contre le mur, et il aura l’air de lutter contre lestortures et la faim. Mais rassurez-vous, on lui apportera àmanger.

– Qui donc ?

– Beruto.

– Ce misérable ?

– Oui ; le serviteur fidèle de Vasilika jusqu’àl’heure où il s’est trouvé en face de moi.

Et Rocambole ajouta avec fierté :

– On ne me trahit pas, moi, car on sait ce que je peux.

– Ça n’empêche pas, dit le bon Milon, que Noël a eu bienpeur, hier, quand vous avez fait la bascule.

– Je n’ai pas eu peur, moi, dit Rocambole. Allons !hâtons-nous.

Ce fut l’affaire de quelques minutes. Yvan changea de vêtementsavec Milon, et celui-ci se coucha dans un coin du caveau.

– Tu ne te retourneras pas, au moins ? ditRocambole.

– Jamais.

– Et tu pousseras des gémissements et des cris inarticulésquand un bruit de pas dans le corridor t’avertira de la présence deVasilika.

– Oui, maître.

– Mais, dit Yvan, il peut se faire que Vasilika entre dansle caveau.

– Alors, tant pis pour elle.

Yvan regarda Rocambole :

– Écoutez, dit celui-ci, j’ai fait le serment de ne verserde sang qu’à la dernière extrémité. Tant mieux pour la comtesse sielle se trompe pendant les cinq ou six jours qui me sontnécessaires pour mettre Madeleine et vous à l’abri de sa haine.

« Tant pis si elle reconnaît l’erreur.

– Que voulez-vous dire ?

– Beruto a ordre de la poignarder.

Yvan frissonna.

– À moins que je ne l’étrangle, moi, dit Milon.

– Filons ! dit Rocambole.

Il fit monter Yvan dans la benne et tendit la main à Milon.

– Adieu, mon vieux, dit-il, on te délivrera dans sixjours.

– Le jour du mariage ?

– Oui.

Yvan tressaillit d’espérance, Rocambole frappa trois coups dansla main, et la benne remonta.

Deux secondes après, Rocambole et Yvan se trouvaient dans unesalle basse d’où l’on voyait dans le jardin. Les fenêtres étaientouvertes, mais les persiennes tirées.

– Ne faites pas de bruit, dit Rocambole.

Et il l’entraîna vers l’une des croisées. Dans le jardin, onentendait la voix de M. de Morlux toujours assis sous unberceau de verdure avec celle qu’il croyait être Madeleine.

– Oh ! dit-il, ce n’est pas sa voix.

– Non, dit Rocambole, c’est celle de Clorinde, la filleperdue. Venez. Il jeta un manteau sur les épaules du jeûne Russe etl’entraîna hors de la salle basse, lui fit traverser la cour,ouvrit la porte de la rue, et tous deux s’éloignèrent rapidement.Au coin de la rue de Vaugirard et de la rue Cassette, un fiacreattendait stores baissés.

– Ne vous évanouissez pas de bonheur, dit Rocambole.

Et il ouvrit la portière.

Deux bras l’enlacèrent, une bouche vermeille s’appuya sur sonfront, et une voix enchanteresse murmura :

– Ah ! je te revois enfin !…

Yvan retrouvait la vraie Madeleine, et Rocambole, montant à côtédu cocher, lui dit :

– Rue de la Pépinière, chez la comtesse Artoff !

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