La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 39

 

Trois personnes étaient réunies dans le boudoir de la comtesseArtoff : Yvan, Rocambole et Baccarat. On avait raconté aujeune Russe tout ce qui s’était passé depuis un mois, et quelsliens unissaient le fiancé d’Antoinette, sa future belle-sœur, aupersécuteur de la véritable Madeleine. Cet entretien avait lieu àpeu près à la même heure où Vasilika, ivre de rage en constatant lasubstitution de Milon à Yvan, poignardait Beruto. Yvandisait :

– Mais enfin quel châtiment réservez-vous àM. de Morlux ? Un sourire vint aux lèvres deRocambole.

– Son châtiment, dit-il, commencera le jour où il verra lavraie Madeleine revenir de l’autel à votre bras.

– Mais quel sera-t-il ?

– Il mourra de rage.

Et comme Yvan secouait la tête d’un air incrédule, Baccarat pritla parole :

– L’amour qu’il a pour Madeleine, dit-elle, est quelquechose d’insensé et de sauvage qui a étouffé chez lui tout autresentiment.

« Cet homme couvert de sang, cet empoisonneur, cemeurtrier, qu’une seule passion dominait, la cupidité, a fait, surun signe de celle qu’il croit Madeleine, l’abandon de sa fortunetout entière. Il ne se réserve que vingt mille livres de rente. Sinous l’eussions voulu, il eût tout donné.

– Mais comment a-t-il fait cette donation ?

– Par acte authentique devant notaire. Il donne à son neveudeux millions, à Mlle Madeleine quinze cent millefrancs.

– Mais, lorsqu’il saura la vérité…

– Oh ! dit Rocambole en souriant, il l’apprendra detelle manière qu’il ne songera pas à appeler son notaire… Vousverrez…

Comme Rocambole disait cela, la porte s’ouvrit et on annonçaM. Agénor de Morlux. Agénor était un peu pâle, mais le bonheurbrillait dans ses yeux.

– C’est fait, dit-il.

– Quoi donc ? demanda Yvan.

Agénor tira de sa poche un volumineux portefeuille et en vida lecontenu sur une table.

– Ah ! dit-il, regardez… l’amour lui tient au cœur, àmon oncle. Il a tout restitué. Voyez plutôt. Voici un coupon decent vingt mille livres de rente, puis une donation au nom deMadeleine Miller, puis les titres de propriété de ses terres deBohême et de Hongrie, c’est-à-dire des terres volées à la mère dedeux pauvres orphelines.

Yvan fixait sur tout cela un œil ébloui. Baccarat dit àAgénor :

– Tout est-il prêt pour votre mariage ?

– Oui. J’ai obtenu que mon oncle ne se marierait que huitjours après moi. C’est mon père qui a insisté.

– Mon Dieu ! murmura-t-il, il me semble que je rêve.Antoinette est donc à moi, enfin !

Baccarat dit à Yvan :

– Je suis allée à l’ambassade russe, j’ai obtenu pour vousles dispenses de publication. Vous serez marié avant que personneen ait rien su.

– Et quand ?… demanda Yvan tout frémissant.

– Demain à l’ambassade. Après-demain à l’église russe dufaubourg Saint-Honoré.

– Et nous partirons sur-le-champ ?

– Sans doute.

Puis la comtesse ajouta avec un sourire :

– Où irez-vous ?

– Mais je ne sais pas… où Madeleine voudra…

– Pourquoi ne resteriez-vous pas à Paris ?

Rocambole fronça le sourcil :

– Non, dit-il, je ne le lui conseille pas.

– Pourquoi ?

– Vasilika… murmura Rocambole, qui ne prononçait jamais cenom sans une certaine émotion.

Yvan eut un sourire de dédain.

– Je ne la crains plus, dit-il.

– Non, dit Baccarat ; je suis là, moi aussi : etpuis, qui sait ?…

Et elle devint pensive ; puis, après un moment de silence,elle reprit :

– D’ailleurs, qui nous dit que cette femme ne touche pas àsa dernière heure ?

Yvan tressaillit et regarda la comtesse Artoff.

– Un homme a pris votre place dans le caveau, poursuivitBaccarat. Si Vasilika ose y descendre, cet homme a ordre del’étrangler.

Yvan frissonna.

– Que voulez-vous ? fit Baccarat avec calme, il fautbien une justice mystérieuse et terrible pour ceux qui se sontjoués perpétuellement de la vraie justice. Mais comme elle disaitcela, un domestique entra tout effaré en disant :

– Madame… madame… un grand malheur…

– Qu’est-ce donc ? demanda vivement la comtesse.

– Un fiacre est là-bas dans la cour, et dans ce fiacre il ya un vieil homme à cheveux blancs évanoui et couvert de sang.

Le cocher de fiacre se désole et se tort les mains, en disantqu’il a été poignardé par une femme, il a peur d’être accusé decomplicité. Baccarat s’élança hors de son boudoir. Les trois hommesla suivirent. Rocambole arriva au fiacre le premier et reconnutMilon. Milon paraissait mort. Rocambole le prit dans ses bras et lesortit du fiacre ; en même temps, et tandis qu’il le chargeaitsur ses épaules, il dit à Baccarat :

– Il est inutile, n’est-ce pas, de chercher quelle est lapersonne qui l’a poignardé ? Décidément, madame, Vasilika estplus forte que nous…

 

Cependant aucune des blessures de Milon n’était mortelle. Lecocher, mis en belle humeur par la pièce de vingt francs, avaitmené ses chevaux si rondement, que l’hémorragie n’avait pas eu letemps de se développer. Rocambole était aux trois quartschirurgien. Il porta Milon sur un lit, déchira ses vêtements et sachemise, mit les blessures à découvert et constata qu’aucunen’était mortelle. Pendant ce temps-là, Baccarat donnait une poignéede louis au cocher et le renvoyait en lui recommandant le silence.Un cordial ranima Milon.

– Où suis-je ? murmura-t-il.

– Au milieu de tes enfants, lui répondit une voixcaressante.

Le pauvre vieux ouvrit les yeux et vit penchées sur lui, sesdeux chères petites, Antoinette et Madeleine. Puis derrière elles,leurs fiancés, et ensuite la comtesse Artoff… Et enfinRocambole !

– Maître, s’écria-t-il, je puis mourir puisque vous êtessauvé !

– Sauvé ! exclama Rocambole avec étonnement.

– Oui, d’une mort presque inévitable, murmura Milon.

– Tu as eu le délire, mon pauvre vieux.

– Mais non… maître… Vasilika me l’a bien dit.

– Que t’a-t-elle dit ?

– Si je la tuais, je vous tuais du même coup.

– Et comment t’a-t-elle expliqué cela ? ricanaRocambole qui ne pouvait se défendre d’une légère émotion.

– Mais elle m’a dit que vous étiez au pouvoir de sesgens.

– Moi !

– Et que si on ne la revoyait pas…

– Je serais assassiné, n’est-ce pas ?

– Oui, maître.

– Mais enfin, dis-nous, reprit Rocambole, ce qui t’estarrivé avec elle.

– Oh ! c’est bien simple, allez ; elle s’est bienaperçue que je n’étais pas monsieur.

Et Milon désignait Yvan.

– Et elle s’est ruée sur toi comme une tigresse ?

– Non, pas tout de suite. Elle a poignardé l’Italiend’abord.

« Puis ç’a été mon tour. Mais je l’ai prise àbras-le-corps, je l’ai renversée et je me suis emparé dupoignard.

– Et tu ne le lui as pas planté dans la gorge ?

– J’allais le faire lorsque…

– Lorsqu’elle t’a dit que j’étais en péril demort ?

– Oui, dit Milon ; ce n’était donc pas vrai ?

– Il n’y a de vrai qu’une chose, dit Rocambole, c’est quetu seras toujours un imbécile.

Milon eut un gémissement.

– Maître, dit-il, pardonnez-moi…

Rocambole haussa les épaules ; et se tourna versBaccarat :

– Tout est peut-être à recommencer, dit-il.

La comtesse Artoff était devenue grave et pensive et ne réponditpas tout d’abord. Mais Rocambole eut un éclair dans le regard.

– Eh bien ! dit-il, à nous deux !…

Et il sortit précipitamment.

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