La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 11

 

Lorsque Baccarat rentra chez elle, elle fut alors étonnéed’apprendre que la belle Russe était entrée accompagnée par unhomme jeune et de bonne mine. Vasilika avait conduit cet homme àson appartement et s’y était enfermée avec lui. Le major Avataraccompagnait Baccarat. Tous deux se regardèrent.

– Voilà qui est étrange ! murmura Baccarat. Cettefemme a un aplomb infernal. Que veut-elle faire d’Yvan ?

– Voilà ce que j’ignore, répondit Rocambole, et voilàpourtant ce qu’il faut savoir à tout prix.

L’homme jeune et de bonne mine ne pouvait être qu’Yvan. Cela nefit pas l’ombre d’un doute pour Baccarat et pour Rocambole. Mais eneussent-ils douté un moment que le valet de chambre de la comtesseles eût raffermis dans cette croyance. En effet, le valet dechambre qui était, du reste, un insignifiant comparse, et que lacomtesse Vasilika n’avait certainement pas mis dans sesconfidences, se présenta chez Baccarat et lui dit :

– Madame la comtesse fait demander à madame si ellevoudrait être assez bonne pour monter chez elle.

Baccarat fit un signe affirmatif et le valet sortit. Alors ellese tourna vers Rocambole, qui l’avait suivie jusque dans sonboudoir :

– Vous n’avez jamais vu Yvan Potenieff ? dit-elle.

– Jamais.

– Ni moi, dit Baccarat ; et bien que j’aie passéplusieurs hivers à Saint-Pétersbourg, je ne l’ai jamaisrencontré.

La comtesse Artoff poussa alors dans le fond du boudoir uneporte qui ouvrait sur un escalier dérobé.

– Écoutez, lui dit-elle, tout le monde croit au majorAvatar, excepté Vasilika. Elle ne s’y est pas trompée une minute,et pour elle, vous êtes bien Rocambole. Il ne faut donc pas qu’ellevous revoie ici. Cependant, je tiens absolument à ce que vousassistiez à l’entretien qu’elle me fait demander.

– Comment faire alors ?

– Vous voyez cet escalier ?

– Oui.

– Vous allez le gravir jusqu’au premier étage. Là, voustrouverez un corridor au bout duquel est une porte. Cette portedonne sur un cabinet de toilette qui dépendait de l’appartement ducomte Artoff. Cet appartement est occupé par la comtesse. La portede communication entre l’appartement et le cabinet de toilette aété condamnée et masquée par une tenture semblable à celle quirecouvre les murs de la chambre à coucher. Montez sans bruit,installez-vous dans le cabinet de toilette et collez votre oreilleà la porte. Vous ne verrez pas, mais vous entendrez… Rocamboleobéit et disparut par le petit escalier, tandis que Baccaratmontait par le grand, chez la comtesse Vasilika. Elle trouva labelle Russe au coin de la cheminée de la chambre, assise vis-à-visd’un homme jeune, élégamment vêtu et qui paraissait radieux.

– Chère comtesse, dit Vasilika en lui tendant la main,voulez-vous me permettre de vous présenter mon cousin, M. YvanPotenieff ?

Baccarat salua le jeune homme, qui lui fit une révérence assezgauche. Il était habillé comme un gentleman, mais il avait quelquechose de raide et de composé dans sa tournure qui choqua lesinstincts aristocratiques de la comtesse Artoff.

– Ma belle amie, reprit Vasilika, je viens de faire ma paixavec mon cousin. Je l’ai arraché à cette maison de fous danslaquelle il avait été conduit par suite d’une mystification demauvais goût qui est l’œuvre du prince Maropoulof et d’un de sesamis, le comte Kouroff, qui me poursuit de son amour.

– Ah ! vraiment ? fit Baccarat avec une parfaiteindifférence.

Vasilika reprit :

– Il paraît que Madeleine existe réellement.

– En vérité !

– Par conséquent, si elle existe, mon cousin n’est pasfou.

– C’est logique.

– Je vous demande donc l’hospitalité pour lui jusqu’à ceque nous ayons retrouvé Madeleine.

Le faux Yvan Potenieff salua de nouveau.

– Comtesse, poursuivit Vasilika, convenez que je suis unefemme d’abnégation.

– Comment cela ?

– J’aimais mon cousin… nous étions fiancés… et je consens àrenoncer à lui.

– Chère Vasilika, murmura le faux Yvan. Ah ! si voussaviez…

– Oui, dit-elle en souriant, je sais que vous aimezMadeleine. Vous me l’avez répété deux mille fois depuis cematin.

Et Vasilika poussa un soupir et murmura :

– Allons ! j’épouserai le comte Kouroff.

Baccarat, silencieuse, se disait :

– Cet homme est plutôt laid que beau : de plus, il al’air commun… Si c’est Yvan Potenieff, comment a-t-il pu inspirerune semblable passion ?

Puis elle regarda Vasilika en souriant, et lui dit :

– M. Yvan Potenieff est ici chez lui, chère belle,comme vous y êtes chez vous. À propos, vous savez que mon mariarrive demain ?

– Le comte Artoff ?

– Peut-être même ce soir.

– Ah ! fort bien, dit Vasilika, qui, malgré elle,laissa percer sur sa physionomie une vague inquiétude.

Cette inquiétude n’échappa point à Baccarat, qui pensa quepeut-être le comte Artoff connaissait Yvan Potenieff. Elle échangeaquelques mots encore avec le faux Yvan et Vasilika, puis elle seretira en leur disant :

– Je vous laisse à vos épanchements de famille. Comtesse,vous descendrez dîner, n’est-ce pas ?

– Mais sans doute.

– Et M. Potenieff aussi ?

Le faux Yvan salua avec la même gaucherie. Baccarat descendit aurez-de-chaussée de l’hôtel où se trouvait son appartement ;mais ce fut pour gagner le petit escalier qu’avait suivi Rocamboleet rejoindre celui-ci. Rocambole se retourna au frou-frou de larobe de Baccarat, posa un doigt sur ses lèvres et lui dit toutbas.

– Écoutez !

En même temps il l’attira vers la porte condamnée, à traverslaquelle on entendait distinctement la voix de Vasilika et celle deson prétendu cousin. Tous deux parlaient russe. Mais Baccaratcomprenait le russe aussi bien que Rocambole. N’y avait-il pasdouze ans qu’elle s’appelait la comtesse Artoff ?

– Madame, lui dit Rocambole à l’oreille, avez-vous lu unelettre de Madeleine à sa sœur, qui se trouvait dans le dossier queje vous ai remis ?

« Dans cette lettre, Madeleine disait qu’elle avait entenduson cher Yvan dire qu’il ne l’aimait plus et se résignait à épousersa cousine.

– C’est vrai.

– Or, savez-vous qui elle avait entendu ? Un homme quiavait exactement la même voix que M. Yvan Potenieff, undomestique gagné par le père d’Yvan, pour jouer cette abominablecomédie.

– C’est l’homme qui l’a outragée à l’auberge du Sava ?demanda Baccarat qui savait maintenant par cœur l’histoire deMadeleine.

– C’est l’homme que vous avez vu tout à l’heure, réponditRocambole, et qui s’apprête à jouer une seconde fois le rôled’Yvan.

– Il ne le jouera pas longtemps, dit Baccarat avec unsourire qui donna le frisson à Rocambole.

 

Le faux Yvan Potenieff se tira assez bien de son emploi degentilhomme russe pendant le dîner. Vasilika était calme etsouriante. La comtesse Artoff paraissait prendre le faux Yvan trèsau sérieux.

– Monsieur Potenieff, lui dit-elle, quand on eut servi lecafé, votre cousine est une belle paresseuse qui aime à fumer sescigarettes dans son fauteuil. Moi, au contraire, j’aime à marcher.Voulez-vous me donner le bras, nous allons faire un tour aujardin.

– Allez, comtesse, dit Vasilika en allumant sacigarette.

La comtesse Artoff jeta un burnous de cachemire sur ses épauleset prit le bras du faux Yvan. La nuit était tiède, et la lunebrillait au ciel. Baccarat emmena son cavalier sous les grandsarbres du jardin ; puis elle l’entraîna dans une petite alléebien touffue et bien sombre, au bout de laquelle se trouvait unpavillon dont, l’été, elle faisait un cabinet de travail.

– Voulez-vous voir mes livres ? dit-elle.

– Volontiers, répondit-il.

On voyait de la lumière dans le pavillon.

– Qui donc est là ? demanda le faux Yvan.

– Sans doute ma femme de chambre, répondit la comtesseArtoff.

En même temps, elle poussa la porte et fit entrer son cavalier.Le faux Yvan fit trois pas en avant, puis il s’arrêta brusquement.Il se trouvait face à face avec deux grands laquais, armés chacunde ce terrible fouet que les Russes appellent le knout.

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