La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 19

 

Qu’était devenu M. Agénor de Morlux ? Depuis quatrejours qu’il était libre, Rocambole le cherchait vainement. On sesouvient que ce dernier lui avait dit en le quittant :

– Allez chez votre père et dites-lui que si on ne retrouvepas Antoinette, vous vous brûlez la cervelle.

On avait retrouvé Antoinette, mais à son tour Agénor avaitdisparu. Rocambole avait mis en campagne tous les gens dont ilpouvait disposer. Aucun n’avait pu lui rapporter des nouvellesd’Agénor. Depuis longtemps, pour tous ses amis du club desAsperges, même pour M. de Mauléon, l’existence d’Agénorétait un mystère.

Mais depuis huit jours, le mystère avait pris les proportionsd’une énigme, car on ne l’avait revu nulle part. Nous allons vousdire ce qui lui était arrivé. Vanda avait touché juste lorsqu’elleavait dit à Rocambole que bien certainement Timoléon avait dûs’occuper d’Agénor. En effet, tandis que la police, mise en éveil,surprenait le major Avatar au moment où, de retour à Passy, ilrejoignait Vanda et Madeleine à la villa Saïd, Timoléon surveillaitet faisait surveiller la petite maison de Passy. Agénor n’avait pasperdu de temps. Il était monté dans une voiture de place, disant aucocher :

– Rue de l’Université !

La voiture était descendue vers le Trocadéro. Comme ellearrivait à la hauteur du pont de l’Alma, une autre voiture l’avaitcroisée. De cette voiture partaient des cris déchirants. En mêmetemps, le cocher faisait des signes de détresse et un homme àcheveux blancs passait la tête à la portière et criait au secours.Agénor s’était arrêté. Il avait sauté en bas de son fiacre et couruvers le vieillard. Celui-ci avait dit :

– Monsieur, au nom du ciel ! qui que vous soyez… venezà mon aide !

Agénor avait pu voir alors dans la voiture une jeune femme setordant dans des spasmes nerveux.

– C’est ma fille, disait le vieillard.

La jeune femme, qui parut fort belle à Agénor, poussait des crisaffreux, se tordait, grinçait des dents et semblait en proie à ceterrible mal qu’on nomme l’épilepsie. Quelque hâte qu’il eûtd’arriver chez son père, quelque angoisse que la disparitiond’Antoinette lui eût mise au cœur, Agénor ne pouvait abandonner cevieillard et cette femme dans une pareille circonstance.

– Monsieur, lui dit le vieillard, je me nomme le colonelGuépin. Cette malheureuse est ma fille ; voici trois ansqu’elle est atteinte de cette horrible maladie. Nous sortions dechez nous, car je demeure là, tout près d’ici, dans la rue deChaillot. Son accès l’a prise subitement, et quand elle est dans depareils états, elle ne parle de rien moins que de se tuer. Eneffet, Mlle Guépin, notre ancienne connaissance,car c’était bien elle, vociférait :

– Je veux me tuer ! je veux mourir !

– Monsieur, dit Agénor, je ne puis pas vous abandonner encette situation. Je vais vous aider à reconduire votre fille chezvous.

Et il était monté sans défiance dans la voiture du vieillard,enjoignant à son propre cocher de l’attendre sur le quai. À peineétait-il monté que Mlle Guépin avait paru se calmerpeu à peu. La belle brune qui faisait le charme des tables d’hôteaux Batignolles, avait cessé d’écumer. Puis son œil avait perdu peuà peu son expression d’égarement. Puis encore, paraissant revenir àelle, elle avait regardé Agénor avec étonnement.

– Monsieur, avait dit alors le colonel Guépin, commentpourrais-je vous témoigner toute ma reconnaissance ?

Agénor n’avait pas répondu. Agénor était pressé d’arriver rue deChaillot, au domicile dudit colonel, et de l’y laisser avec safille. Agénor songeait à Antoinette, et des tempêtes bouillonnaientdans son cœur. La voiture s’arrêta. Agénor descendit le premier etse vit à la porte d’une petite maison qui n’avait qu’unrez-de-chaussée et un premier étage.

– C’est là, dit le colonel.

Mais comme Agénor saluait et s’apprêtait à s’éloigner,Mlle Guépin tourna de nouveau les yeux et jeta unnouveau cri.

– Ah ! mon Dieu ! s’écria le colonel éperdu, çava la reprendre… et les domestiques sont sortis… et nous sommesseuls…

Agénor ne pouvait plus s’en aller. Il pritMlle Guépin dans ses bras, tandis que le colonelpayait le cocher, et le renvoyait. Le colonel tira un passe-partoutde sa poche et l’introduisit dans la serrure. La porte s’ouvrit. Lecolonel passa le premier. Agénor, portant toujoursMlle Guépin qui se débattait, entra après lui. Ilse trouvait dans un petit vestibule humide et froid et dont lesmurs étaient çà et là couverts de poussière et de toilesd’araignées. Si Agénor eût été plus maître de lui, moins préoccupéet moins ému, cela l’eût frappé. Ce vestibule était celui d’unemaison qui n’avait pas été habitée depuis longtemps. Le colonelouvrit une seconde porte. Celle-là donnait sur un corridor. À peinecette porte fut-elle ouverte, que Mlle Guépin, quiétait une vigoureuse fille, se dégagea des bras d’Agénor ets’élança dans le corridor, en criant :

– Je souffre trop, je vais me jeter dans le puits.

– Ah ! mon Dieu ! exclama le colonel.

Mais déjà Agénor s’était élancé aprèsMlle Guépin. Le corridor aboutissait, non pas à unpuits, mais à une chambre toute noire dans laquelleMlle Guépin entra en courant. Agénor y pénétraaprès elle et se trouva plongé dans l’obscurité. Mais il avait eule temps de saisir Mlle Guépin par la taille. Et aumoment où il croyait l’arracher à un grand danger et l’empêcher dese jeter dans quelque abîme, la vigoureuse fille du colonel seretourna, lui jeta ses bras autour du cou et l’étreignit fortement.Le colonel arrivait par-derrière. Ce fut l’affaire d’une seconde.Agénor, surpris, plongé dans l’obscurité, fut renversé, terrassé,maintenu à terre par le père et la fille, qui, en un tour de main,le bâillonnèrent et le garrottèrent.

– Tâche de retrouver Antoinette, maintenant, ricanaMlle Guépin.

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